Gilets jaunes : Révolution française et individualisme post-moderne

Les Gilets jaunes ne sont le nom de jacqueries prérévolutionnaires qu’en apparence. Ils symbolisent, dans sa version abrupte, le croisement explosif de la Révolution française et de l’individualisation de la société mondialisée.

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Gilets jaunes by Thomas Bresson (CC BY 2.0)

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Gilets jaunes : Révolution française et individualisme post-moderne

Publié le 14 décembre 2018
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Par Alain Faure.
Un article de The Conversation

Les sondages montrent que, passé l’effet de surprise, la révolte des Gilets jaunes a été favorablement perçue dans la société française. Principalement parce que les reportages sur les mobilisations des ronds-points et les réseaux sociaux ont su mettre en image, de façon saisissante, l’évidence d’inégalités et de souffrances perçues comme croissantes et intolérables. La révolte s’est accompagnée de la conviction que les élites en étaient la cause première.

Il s’agit d’abord, pour reprendre les termes du psychanalyste Boris Cyrulnik, de la contagion d’un trauma sur un ennemi collectif fantasmé. L’effet boule de neige sur des revendications très variées relève du même scénario émotionnel : les Français descendent dans la rue pour protester contre les difficultés et les injustices qui les affectent personnellement, presque intimement. Cette perception sensible rend leur colère sincère et communicative. La politique se retrouve, au premier degré, à l’épreuve des émotions. Et l’indignation se nourrit du même constat sans nuance que tous ces maux viennent globalement d’un État surplombant, d’élus arrogants, de taxes excessives et d’une finance internationale dévastatrice.

Les réflexes conservatoires des France du milieu et d’en haut

Il y a beaucoup de bon sens et quelques vérités crues dans la mise en récit et en connexion de ces exaspérations. Mais il est pour le moins curieux que peu d’analystes ne relient cette vague d’indignation de la France dite d’en bas avec les comportements et réflexes conservatoires relativement comparables qui caractérisent, depuis une quinzaine d’années, les France du milieu et d’en haut.

La différence est essentiellement esthétique : les premiers n’ont pas les bons codes de conduite, ce sont des exclus du système, ils semblent désordonnés et parfois violents, ils se méfient des élus et des syndicats, ils argumentent souvent à l’emporte-pièce.

Les seconds sont au cœur du jeu politique traditionnel des arènes de l’action publique, ils parlent avec civilité, ils sont en phase avec les médiateurs sectoriels, ils relaient les résistances sur des critères raisonnés, ils disent Non et ils font bloc face à toute proposition de réforme aux motifs argumentés et chiffrés des acquis menacés, d’une redistribution inégalitaire, des laissés-pour-compte et d’un avenir incertain.

Le Non systématique du récit républicain

De nombreux indices convergent pour faire l’hypothèse que c’est ce nonisme systématique qui a provoqué l’échec des réformes engagées sous le quinquennat de François Hollande. Et c’est ce qui a permis le succès en trompe-l’œil d’Emmanuel Macron en 2017 : dans une France de résistance au changement mais divisée, seul le petit segment des électeurs séduits par un récit optimiste de sortie de crise par les réformes a su tirer sa carte du jeu (avec seulement 24 % des suffrages exprimés au premier tour).

Mais le mouvement des Gilets jaunes nous rappelle le récit républicain majoritaire depuis trente ans d’abord adossé à une convergence de craintes, de corporatismes, de conservatismes et de replis territoriaux.

Tous les Français sont des citoyens du nombril ! Ils croient certes dur comme fer à un modèle providentiel universaliste construit au sortir de la Deuxième Guerre mondiale – l’État jupitérien qui décide de tout reste l’alpha et l’oméga des requêtes qui sont adressées à Emmanuel Macron –, mais ils sont aussi les produits d’une période postmoderne particulièrement narcissique et individualiste.

Un véritable tournant émotionnel

Les Gilets jaunes ne sont le nom de jacqueries pré-révolutionnaires qu’en apparence. Ils symbolisent beaucoup plus sûrement, dans sa version abrupte, le croisement explosif de la Révolution française et de l’individualisation de la société mondialisée.

Dans cette tourmente inédite, ils illustrent un tournant émotionnel sans précédent concernant nos façons de concevoir et de se représenter le bien commun. L’apprivoisement des passions était au cœur de la définition de la citoyenneté et de la social-démocratie made in France (le fameux pacte républicain adossé aux négociations corporatistes). Il partait du principe que les politiques publiques se construisaient dans la délibération, les compromis raisonnés et la définition de référentiels partagés. Dans tous les pays du monde, cette rationalisation s’est ainsi traduite par une responsabilisation croissante des grandes collectivités territoriales, et donc une différenciation des solutions apportées.

Aujourd’hui, les nombrils sont en train de reprendre le dessus et de mettre à mal la confiance dans la démocratie représentative. Ce sont les larmes du métier d’individu qui deviennent surdéterminantes, entrevoyant le monde au filtre simplifié des réseaux sociaux, avec force coups de cœur et coups de gueule, dans l’ivresse émotionnelle des souffrances propres à chaque trajectoire personnalisée et loin de ce qui fait toute la complexité de l’imaginaire politique collectif.

L’intensité du trauma interdit, pour l’instant, toute forme de résilience et toute perspective de dessein partagé.


L’auteur a codirigé récemment avec Emmanuel Négrier « La politique à l’épreuve des émotions » (PUG, 320 p.). Carnet de recherche, enigmes.hypotheses.org.

Alain Faure, Directeur de recherche CNRS en science politique, Université Grenoble Alpes

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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  • L’auteur ne sait pas de quoi il parle : alors il divague en élucubrations oiseuses pour plaquer ses petites théories sur une réalité qui lui échappe.

    • avoir une théorie, plutôt une interprétation , est une chose pourvoir en apporter la preuve de sa véracité est autre chose. Depuis le début des gens cherchent à analyser qui sont les gilets jaunes et ce qui les motive et c’est typiquement quelque chose dont je n’ai rien à faire… le vrai problème des gilets jaunes est que la liste de leur revendications est trop longue voire contradictoire… sympathiques car ce sont souvent des gens modestes…mais qui peuvent en un instant devenir violents…

      sur le principe je n’aime pas qu’on restreigne mon droit d’aller où je veux faire mes courses etc…
      alors si ils veulent faire la révolution qu’ils brûlent des préfectures..et s’attendent à se faire tirer dessus par la police..soit;.. sinon c’est un mouvement politique ..et la politique du blocage et du chantage aux gens qui ne sont pour rien dans leur malheur est inacceptable..

      les filets jaunes mettent le doigts sur tout ce qui ne va pas? certes oui… mais ils en redemandent.

      • @ jacques lemiere
        Il faut tenir compte que ce « mouvement » des gilets jaunes ne revendiquait aucune soumission à quoi que ce soit sauf contre la surtaxe du carburant! Après sont arrivés des porte-parole, des revendications listées, et des « récupérateurs » alléchés! Tout ça sans assemblée générale, sans leader choisi, sans motion ou pétition signée. Donc les gilets jaunes sont certes un mouvement populaire, mais parler en leur nom n’est pas fondé. Les différentes interprétations ne sont en rien confirmées par les participants, mais ça met en lumière ces prosateurs qui, eux, ont compris (comment?) ce que les GJ voulaient. Franchement, ce n’est pas fiable!

  • je suis toujours surpris par l’utilisation de « l’individualisation de la société mondialisée », souvent regardée comme une relation de cause à effet, alors qu’elle est plutôt concomitante. Il me semble que c’est après l’adoption internationale des droits de l’homme que les citoyens ont commencé à envisager les droits de chaque minorité comme primant sur ceux de la communauté – la revendication du droit à la différence me semble la première source de l’individualisation de la société.

  • Il est aberrant de voir the conversation publié régulièrement sur ce site.
    Je dirais : « the conversation, le croisement explosif entre l’idéologie et le ressentiment acrimonieux »
    Ça donne la bêtise, non ?

    • Je précise que ce monsieur, Alain Faure, est directeur de recherche au CNRS. En sciences politiques.
      Tout cela nous rassure pleinement sur cette institution.

      Je ne veux pas faire de morphopsychologie de bazar – cela me ramènerait à peu près au niveau de l’article ci-dessus – mais la photo affichée par ce monsieur sur son site web me semble en phase étroite avec sa finesse d’esprit

  • L’auteur oublie un élément essentiel: l’immigration!
    Quand on exporte nos usines et qu’on importe chômage et immigrés, et que les hlm sont distribués aux immigrés en grande partie faisant fuir les autochtones et donc augmenter la pression immobilière, on a tous les ingrédients pour le mécontentement.

  • Je veux bien que l’on parle de « tournant émotionnel », mais il n’est pas sûr que l’émotion aut grand chose à voir quand on a moins de 1000€ par mois.
    Dire que  » les nombrils sont en train de reprendre le dessus et de mettre à mal la confiance dans la démocratie représentative » est quelque oeu insultant. Constater que la démocratie représentative ne fonctionne plus n’est pas un manque de confiance, mais la constatation 1) du nombre des élus par rapport à celui de votants, 2) que sont systématiquement promus des individus formatés et déconnectés du réel.

    • Exact. Cet universitaire n’a pas envisagé une seconde que des gens vivant à la campagne, gagnant le smic, vivant déjà dans la difficulté financière, ne peuvent tout simplement pas encaisser à la veille de l’hiver lorsqu’il faut remplir les cuves de fioul pour se chauffer, une augmentation. L’addition est déjà lourde. De plus il leur faut prendre la voiture pour aller travailler! Auparavant on a eu droit à une augmentation de 11% du gaz en 2 mois et une de l’électricité. Trop c’est trop! La baisse du pouvoir d’achat de l’essentiel pour les plus modestes est conséquente et inadmissible, quand l’état non seulement refuse de baisser ses dépenses, mais les augmente tous les ans!

    • si l »émotion devant les étiquettes du marché

  • On se croirait sur BFM ou Cnews !

  • Il n’y a pas d’opposition entre le nombrilisme individualiste et la croyance en l’Etat jupitérien. Celui-ci sape les solidarités traditionnelles de la société en plaçant l’Etat en médiateur et organisateur de la solidarité (et en bâclant le job.)
    Il n’y a pas plus individualiste qu’un ressortissant d’un Etat soviétique ou révolutionnaire: ses actions sont centrées sur la survie à court terme dans un environnement intensément imprévisible et répressif. Exemple des délations familiales etc.

  • Rarement lu un article aussi nul. Normal de la part d’un universitaire du CNRS. En France la démocratie représentative a disparu, les élus formant une caste oligarchique dédaignant leur devoir! Ils ne représentent plus le peuple mais leur propre intérêt, comme on le constate avec les députés LaREM qui auraient dû depuis longtemps corriger les dérives monarchiques autoritaires de Micron. Ils ont été élu en affirmant gouverner autrement, or ils gouvernent comme leurs prédécesseurs, donnant des ordres au peuple!

    • @ Virgile
      On est d’accord: la France n’est pas démocratique!

      • Comme beaucoup d’autre chose depuis quelques années, le totalitarisme porte un nouveau nom : ils appellent ça « volontarisme politique ».

        • volontarisme auquel les retraités vont répondre par la gréve de la consommation et pan 20 milliards de TVA en moins

          • çà semblait malin a bercy de taper dans les retraites, mais sans la consommation des retraités … tout les commerces s’écroulent

            • Les retraités français bénéficient d’une situation favorable jamais encore rencontrée dans notre histoire, avec une retraite prise à 60 ans sur la base de 37,5 années de cotisations, et avec pour certains des cotisations qui étaient au début de leur carrière inférieures de 50 % aux nôtres.
              – Alors taper sur les retraites me semble moral, et nous assaisonner avec les pauvres retraités de base (qui souvent n’ont rien cotisé ou se sont fait arnaquer par le RSI), cela me laisse froid : il suffit de placer une trappe inférieure.
              – Je me permets cela car on voit trop souvent des plaintes émanant de retraités qui veulent nous faire croire qu’ils sont les dindons de la farce, dans un pays où les jeunes n’ont pas facilement un emploi stable, mais bénéficient de centaines de milliers de décharges sauvages à retraiter, avec une dette aussi…

              • 50% aux vôtres? a temps de travail égal? aides égales? en commençant a bosser a quel age?

                des jeunes qui travaillent 35 h avec 5 semaines de congés et 20 jours de RTT qui et qui pleurnichent?
                le retraités du privé , eux, on payé lourdement leur retraite,s »attaquera eux va faire baisser la consommation et monter le chomage , vous verrez les résultats assez tôt sur le chomage, elle est là l’erreur monumentale de macron , pas ailleurs
                si les plus jeunes veulent gagner leur vie faut bosser plus , mieux et se former en permanence il n’y a pas de secret

                • L’age de début du travail importe peu au regard du nombre d’années de cotisations, le nombre annuel d’heures de travail a effectivement diminué, corrigeant une partie du déséquilibre, mais l’intensité du travail a changé (on n’a plus les ouvriers faisant un concours d’apéros avant le repas de midi).
                  Les RTT de 20 jours ne me semblent pas être dans la loi : je pense qu’être à la retraite n’autorise pas tout, par ailleurs, votre réponse ne traite pas les questions d’endettement et de pollution…

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