L’art de la communication financière : le contre-exemple de Caterpillar

Les dirigeants d’entreprises cotées doivent réaliser que l’alignement du cours de bourse de leur entreprise sur sa valeur fondamentale repose sur leur capacité à raconter aux analystes une histoire pertinente.

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L’art de la communication financière : le contre-exemple de Caterpillar

Publié le 29 novembre 2018
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Par Stéphanie Jalabert.
Un article de The Conversation

Cet article s’inscrit dans une série consacrée à l’art de la communication financière, un outil hautement stratégique de la relation entre les CEO et leurs investisseurs. La communication financière exige en effet un exercice de style qui doit conjuguer confiance et vision stratégique réclamée par les uns, et transparence et crédibilité jugées par les autres. L’histoire racontée aux investisseurs au-delà des chiffres doit donner une vision globale et sur le long terme des forces de l’entreprise. Mal exécuté, cet exercice peut avoir des conséquences dramatiques qui font plonger le titre boursier de l’entreprise concernée en un claquement de doigts. C’est ce que nous allons voir dans le premier cas abordé dans cette contribution : celui du groupe industriel de génie mécanique américain Caterpillar en 2018.


Le 24 avril 2018, le nouveau CEO du groupe Caterpillar, Jim Umpleby, accueille les participants à la conférence de présentation des résultats du 1ᵉʳ trimestre. Jim Umpleby n’est pas un outsider. L’histoire de Caterpillar, ses enjeux économiques et stratégiques, il les connaît et les vit depuis 35 ans au sein de l’entreprise. Il commence son intervention en se félicitant : « je suis très fier de la manière dont notre équipe a su capitaliser sur les améliorations des conditions de marché pour délivrer une augmentation des ventes et de nos revenus de 31 % comparé au 1er trimestre 2017. Notre équipe a aussi réalisé le meilleur profit de 1er trimestre depuis la création de Caterpillar, il y 93 ans ».

En passant la parole à son directeur financier, il est loin de se douter de la réaction du marché à cette performance historique. Après une première augmentation de 4 % en début de séance, le titre clôture à – 6 %. Cette journée sera finalement la pire journée de Caterpillar sur les marchés financiers depuis 2015. Quelle est l’origine de cette dégringolade et d’une telle réaction des marchés ? Les annonces du président Trump début mars 2018 concernant les nouveaux tarifs douaniers sur les importations américaines d’aluminium ont pourtant déjà été intégrées dans les prévisions 2018-2019 de Caterpillar. Alors quoi d’autre ?

Les bons résultats passés ne dissipent pas les inquiétudes sur le futur

Le 19 octobre 2018, Jim Umpleby prend à nouveau la parole pour présenter les résultats du 3ᵉ trimestre 2018. Comme en avril, il commence par la performance financière historique du groupe :

Nous avons généré un bénéfice par action de 2,88 dollars, ce qui représente le plus important bénéfice par action de toute l’histoire de Caterpillar. C’est le troisième trimestre consécutif que notre société délivre un tel résultat. C’est une progression de 47 % si l’on compare au troisième trimestre 2017.

Mais le marché n’est pas davantage convaincu qu’en avril : à la fin de la journée, le titre a perdu 7,5 %, la pire journée boursière depuis 2011 pour Caterpillar. Sur l’ensemble du mois d’octobre, c’est une perte cumulée de 15 % car le titre a commencé à dévisser avant l’annonce des résultats du 3e trimestre. Depuis le début de l’année, on parle d’une chute cumulée du cours boursier de 35 %… Autrement dit, la communication de Jim Umpleby semble donner l’illusion du chef d’orchestre sur le Titanic qui continue de jouer pour distraire les passagers alors que le bateau coule.

C’est l’exemple même d’un discours mal calibré auprès d’investisseurs qui attendent surtout que le CEO dissipe les inquiétudes quant à l’avenir du groupe. Plutôt qu’adopter une approche prospective, Jim Umpleby se focalise sur un résultat financier décrit comme un point historique. Le cadeau fiscal du président Trump, qui a baissé l’impôt sur les sociétés de 35 à 21 %, permet d’ailleurs de comprendre une partie de ce résultat, qui ne relève pas de la création de valeur intrinsèque par l’entreprise. Cette performance semble donc difficile à reproduire dans les prochains mois, voire les prochaines années.

Comment gérer les coûts dans le futur : et la digitalisation ?

En outre, si l’on considère les incertitudes des relations commerciales entre la Chine et les États-Unis, il est entendu que les coûts opérationnels vont continuer à augmenter. Caterpillar a bien prévenu ses revendeurs que les prix de leurs matériels allaient augmenter de 1 à 4 % en janvier 2019 (provoquant au passage des commandes importantes aux prix 2018), mais cela ne constitue pas une stratégie de long terme. L’avenir de l’entreprise est d’ailleurs la grande absente de la communication financière : la digitalisation et les véhicules autonomes ne font l’objet que de deux phrases dans le discours du dirigeant… et rien n’est dit sur la formation du personnel ou encore sur le futur format organisationnel de l’entreprise avec ces nouvelles technologies.

À la fin de la présentation, la première question fait d’ailleurs référence à une déconnexion entre les commentaires du CEO, qu’un analyste qualifie de « constructifs et encourageants », et la conjoncture haussière des coûts due, entre autres, à la tension économique entre les États-Unis et la Chine. Si le nouvel ordre mondial s’organise autour d’un repli protectionniste (Brexit, politique de Trump, etc.), les tensions sur les échanges commerciaux, et les remontées des taux des banques centrales, les entreprises ne pourront pas indéfiniment augmenter les prix pour compenser les augmentations de coûts. Elles devront aussi impérativement réinventer leur modèle, innover et créer de nouvelles opportunités de maîtriser leurs coûts, notamment grâce à la digitalisation.

La morale de l’histoire : il faut donner du sens aux projets

Même si le bénéfice par action est un indicateur important de la création de valeur, il n’est pas le seul dans l’équation à résoudre par les analystes et investisseurs, pour valoriser une entreprise. Jim Umpleby semble être passé à côté de l’exercice. Si dans l’« histoire » racontée par les CEO, les analystes et investisseurs ne sont pas capables d’envisager la capacité pour les entreprises de se projeter dans le futur et de créer de la valeur, tous les efforts fournis jusqu’à présent pour démontrer une santé financière, seront balayés. Michel Albouy, professeur à Grenoble école de management, le résume parfaitement dans cette phrase : « au-delà de la simple communication financière obligatoire, l’histoire va permettre de donner du sens aux projets des dirigeants, d’associer les actionnaires à la vie de l’entreprise et, in fine, de s’assurer de leur fidélité ».

Les dirigeants d’entreprises cotées doivent donc réaliser que l’alignement du cours de bourse de leur entreprise sur sa valeur fondamentale repose sur leur capacité à raconter aux analystes une histoire pertinente : celle d’une vision et d’une stratégie de création de valeur future, dont ils auront envie de faire partie. La communication n’est pas qu’une affaire de chiffres, sinon les directeurs financiers seraient tous CEO…

Stéphanie JALABERT, Adjunct Professor, International University of Monaco

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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  • Le patron de caterpillar me fait penser à Macron (la santé financière en moins) d’ou la grogne : l’absence d’une vision et d’une stratégie de création de valeur future, dont les gens auront envie de faire partie.

  • Putain, c’est pourtant pas compliqué !
    Qu’est ce que je dois vendre ?
    Qu’attendent les actionnaires, qu’est-ce qu’ils veulent entendre ?
    Le profit futur, c’est tout, en plus c’est une promesse, il ne faut donc pas se gêner.

    • @ Homo Orcus
      Oui, mais le propos est idiot! Bien sûr que le passé très productif ne vous dit rien de l’avenir, mais personne d’autre ne sera plus fiable!
      L’article est un plaidoyer pour l’optimisme et l’espoir basé sur l’inconnu, ce n’est pas convaincant! Et écrire « La communication n’est pas qu’une affaire de chiffres, sinon les directeurs financiers seraient tous CEO… », c’est prendre les analystes et les investisseurs pour des naïfs!
      C’est la vieille tradition française qui prétend que la qualité du discours suffit à convaincre: en France, sans doute, ailleurs, c’est bien moins certain!
      Non, le blabla, c’est bien, mais les faits et réalités, c’est bien mieux!
      La valeur de l’action qui monte et descend, ce n’est que normal et multifactoriel!
      Oui, si ça monte, je peux prendre mon bénéfice, donc je vends; comme je ne suis pas tout seul, ça descend! Logique! Pas besoin d’être analyste pour ça!
      En bourse, on achète quand c’est bas pour vendre quand c’est haut! Ça, c’est payant!

  • Caterpillar fabrique de très bons produits, qui fonctionnent au gas oil en général, sont rustiques et faciles à entretenir. Ce sont des soutiers du système, dont on aura besoin même (et surtout) quand tout le reste aura été électrifié, digitalisé et dématérialisé. Par exemple pour produire le lithium de manière économique. Le plus grand risque pour eux serait un concurrent chinois. Merci aux analystes financiers de faire baisser le cours de l’action, je vais rapidement en acheter quelques unes.

  • Client et actionnaire de CAT, une entreprise bien gérée aux produits performants et durables (vous trouvez des pièces pour des engins de 30ans) je déplore ce genre d’article destiné à nuire à l’entreprise, probablement téléguidé par ses concurrents coréens.

    • @ Kansas beat
      C’est quoi l’économie si ce n’est une science humaine expliquant parfois bien le passé mais prévoyant l’avenir à 50% de chances de se tromper (comme moi, si je connais le sujet! Sinon, je ne joue pas!).

    • @Kansas beat
      Tout à fait d’accord avec vous et avec Jamboree. La tendance actuelle, qui fait confiance aux projets futurs politiquement corrects et bien coûteux-fumeux plutôt qu’au track-record et au souci de la satisfaction du client, c’est certainement à la mode. Quand c’est sur les marchés financiers, ça laisse l’investisseur libre de tirer profit de son bon sens et de son scepticisme envers la vente d’illusions. Quand c’est pour un candidat aux présidentielles, c’est moins favorable aux gens raisonnables…

  • « Les dirigeants d’entreprises cotées doivent donc réaliser que l’alignement du cours de bourse de leur entreprise sur sa valeur fondamentale repose sur leur capacité à raconter aux analystes une histoire pertinente »

    La seule histoire pertinente qu’attendait les actionnaires étaient soit de délocaliser, soit de vendre la boite à un chinois.

    En fait, ce qu’attend l’actionnaire d’un boite comme Caterpillar, c’est une rentabilité maximale, au-delà même de ses possibilités et survie future. Car l’actionnaire assure son capital dans les GAFAM. Pas pour les bénéfices – il en met toujours plus qu’il n’en retire mais « parce que trop gros pour couler ».

    Et donc, nous avons des méga entreprises pour qui l’argent ne coute pas. Et des petites entreprises, qui sont sur le fil.

    Voyez la valeur boursière des GAFAM, comparée avec les entreprises énergétiques !

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