La Suisse va-t-elle voter contre « les juges étrangers » dimanche ?

Un entretien avec Pierre Bessard, directeur de l’Institut libéral, le think tank suisse qui défend la liberté individuelle.

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La Suisse va-t-elle voter contre « les juges étrangers » dimanche ?

Publié le 22 novembre 2018
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Contrepoints – Une initiative populaire appelée officiellement « pour l’autodétermination » et officieusement « le droit suisse au lieu de juges étrangers » sera soumise au vote des Suisses ce dimanche 25 novembre. De quoi s’agit-il exactement ?

Pierre Bessard – Il s’agit d’une tentative d’inscrire dans la Constitution fédérale la primauté du droit suisse sur le droit international, en cas de conflit entre les deux. Ce qui semble à première vue judicieux du point de vue de la subsidiarité relève en réalité de l’électoralisme : l’Union démocratique du centre (UDC), un parti aux relents nationalistes, a réuni les 100.000 signatures nécessaires pour pouvoir soumettre au vote cette proposition.

Du fait que les citoyens suisses peuvent modifier en tout temps la Constitution à travers des initiatives populaires, et que ces modifications contredisent parfois le bon sens, l’UDC vise de fait à entériner une dictature de la majorité, indépendamment des décisions prises. Pour ce qui est de la centralisation politique à proprement parler, le texte, au-delà de la propagande, n’a pas de portée concrète, dans la mesure où les Suisses continuent de pouvoir s’opposer, par référendum, à toute proposition dans ce sens, à l’instar d’une adhésion à l’Union européenne, opposée avec de bonnes raisons par 92% des citoyens selon les sondages.

Remettant en cause les quelque 600 accords économiques liant la Suisse à ses partenaires internationaux, l’initiative pourrait-elle constituer une menace pour l’économie suisse ?

Il faut différencier ici les déclarations de campagne, qui sont forcément dramatisées et destinées à provoquer une réaction (voter non), et la réalité. Si ce texte devait malencontreusement être adopté, il faudrait s’attendre à une application pragmatique, si bien qu’il serait peu susceptible de représenter une menace pour l’économie suisse.

Cependant, la politique extérieure, et notamment le libre-échange, a toujours été une prérogative gouvernementale en Suisse, dans la mesure où la liberté économique (hormis l’agriculture) est la norme. Si des initiatives démagogiques de type protectionniste venaient à être acceptées à l’avenir, il en résulterait une remise en question de la sécurité du droit, ce qui serait bien sûr dommageable. D’une manière générale, l’acceptation de l’initiative serait un mauvais signe, car elle serait le reflet d’une victoire du sentiment sur la raison.

Le résultat de cette votation pourrait-il mettre en péril ou au contraire protéger la démocratie directe à la suisse ?

Cette initiative ne change rien aux institutions de la démocratie directe. Elle tend plutôt à affaiblir la séparation des pouvoirs et l’État de droit, dans le sens où elle décrète que la majorité a toujours raison. C’est un absolutisme profondément illibéral. Benjamin Constant, Tocqueville ou John Stuart Mill nous ont mis en garde contre la règle de la majorité, qui peut aboutir au pire despotisme et à la pire intolérance.

La Suisse n’est pas libérale grâce à la démocratie directe, mais grâce à la culture politique qui s’est imposée au dix-neuvième siècle et a prévalu pendant longtemps, et au niveau institutionnel, à la concurrence fiscale et réglementaire entre les États fédérés. Dans l’histoire, la démocratie directe joue un rôle de limitation du pouvoir des politiciens, en les empêchant de faire trop de bêtises.

Dans un contexte d’État-providence, où le climat d’opinion a été largement social-démocratisé, la démocratie directe peut s’avérer hautement problématique, en instaurant une tyrannie du statu quo s’opposant à toute réforme, ou en succombant aux artifices émotionnels et aux politiques symbolistes de partis visant uniquement à accumuler des voix.

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  •  » La primauté du droit suisse sur le droit international en cas de conflit pourrait remettre en cause les 600 accords économiques liant la Suisse à ses partenaires internationaux  »
    Rien que ça !
    Quelqu’un pour développer ?
    N’est ce pas la primauté du droit français à faire chier le monde qui envoie les gilets jaunes (entre autres) sur les rond-points ?

    • en gros si le droit suisse predomine, tout accord avec un autre pays va etre mit sur la selette puisque ca voudra dire que les autres pays acceptent que leur cas soit jugé par un juge suisse.

      Prenons l inverse. un litige entre la France et la suisse. le juge qui decide est francais et se base sur les lois francaises. Quelle est la probabilite que son jugement ne soit pas biaise en faveur de la France ?

      • Bonjour cdg
        Si j’ai bien compris, le droit international s’applique à un pays parce que le gouvernement du dit pays à signé un traité et reconnaît celui-ci. Cela ne me parait pas dément que ce qu’un gouvernement fait, il puisse aussi le défaire.
        Cf le Brexit où la GB dénonce le traité intereuropéen. Evidemment au niveau du droit cela entraine une cascade d’effets secondaires désagréables.
        Après cela devient un rapport de force. La suisse combien de division ? (Staline©).

      • Tous les accords ne seront pas mis sur la sellette. Seuls ceux qui contredisent notre Constitution devraient être renégociés ou résiliés.

        Pour exemple, nous avons accepté l’interdiction des minarets. Si la CEDH venait à nous interdire d’interdire les minarets, la CEDH pourrait (devrait) être résiliée. Idem pour le renvoi des criminels étrangers (2 initiatives non ou mal mises en application par l’Assemblée nationale, tout comme celle voulant limiter l’immigration).

        Il est donc clair que certains accords poseront problème, mais on est loin des 600 annoncés par les opposants. Quant à l’affirmation que cette initiative ne change rien aux institutions de la démocratie directe, laissez-moi en douter.

        Si, comme en Suisse, on considère que le peuple a son mot à dire et que les conseillers nationaux et aux Etats sont là pour appliquer les décisions du peuple, cela veut dire que la Constitution est au-dessus de tout. Sinon il n’est plus nécessaire de voter vu qu’il n’y aurait plus d’obligation de respecter la volonté populaire.

        Quant à moi, au contraire de l’auteur, je préfère une dictature de la majorité (le peuple) qu’une dictature de la minorité (les élus).

        Ce sera donc un grand OUI le 25 novembre.

        • Bonjour P’tit Suisse
          C’est plus clair comme cela. La constitution, en effet est la plus haute loi (fondamentale), et en cas de conflit avec des traités extérieurs, la constitution doit primer.
          Encore faut-il que la constitution ne change pas tout le temps comme en France, suivant l’humeur du pouvoir en place, sinon une majorité de circonstance peut tordre le droit à son avantage.

          • Que le peuple puisse décider, expérimenter, se tromper, changer d’avis – liberté, responsabilité, construction collective d’un univers légal,avec possibilité de retour si constat d’échec – moi je trouve ça plutôt sain.
            Ne vivant pas en Suisse, j’ai du mal à entrevoir les inconvénients du système, s’il en a.

          • La constitution ne changera que suite à une initiative populaire. Les initiants, pour que leur initiative soit votée par les citoyens, doivent recueillir 100’000 signatures en 18 mois, dès le moment où ils ont déposé leur texte à la chancellerie fédérale.

            Et il faut savoir qu’il n’y a que 22 initiatives qui ont été acceptées sur 213 qui ont fait l’objet d’une votation, sur 125 ans.

            • @P’tit Suisse
              Bonsoir,
              J’espère pour vous que vous allez pouvoir contrer ces petites attaques à votre pays du fait de l’Europe.
              D’ailleurs j’ai eu vent qu’elle voulait vous imposer sa vision concernant vos armes à feu et que des députés aurait déjà acté ce fait, sans vous demander votre avis. Où en êtes-vous ?

              • Perdu. RIP la démocratie suisse.

                Dorénavant, si le vote citoyen ne plaît pas à Bruxelles ou à nos politocards, ils s’en remettront à la CEDH ou la CJUE qui pourra faire annuler n’importe quelle modification de notre Constitution acceptée par la majorité des votants. Je m’attends à ce que très rapidement certains aillent batailler à la CEDH pour réintégrer l’autorisation de construire des minarets en Suisse.

                En ce qui concerne les armes à feu, nos députés et sénateurs ont en effet pris acte des ordres de Bruxelles, tout en voulant nous faire croire qu’ils n’ont pas TOUT accepté et qu’ils ont obtenu un accord favorable à nos coutumes (ce qui est bien entendu faux). Mais ne perdons pas espoir : la Fédération Suisse de Tir, ainsi que diverses autres organisations ont lancé un référendum contre cette loi (50’000 signatures à trouver) et nous devrions voter sur ce sujet. Mais comme dit plus haut, avec le vote d’hier, les accords de Schengen, même s’ils ne respectent pas notre Constitution, font force de loi. Donc même si les suisses refusaient ce changement de loi, il va être repris tel quel.

                De mon côté, étant tireur et donc personnellement concerné, je pense que ce sera la dernière votation à laquelle je participerai, pour la forme.

          • C’est déjà le cas : la Constitution est la plus haute loi de notre République.

            Aucun traité international ne peut être ratifié s’il est contraire à la Constitution.

            Et si on veut conclure un traité international contraire à notre constitution – par exemple les différents traités européens – on modifie notre constitution pour qu’elle soit compatible.

            Et il n’y a plus de désaccord entre Constitution et engagements internationaux. Simple.

            • @AxS
              Bonsoir,
              Notre Constitution est un brouillon, voire un paillasson. Ceux qui ont été élus pour en être les garants -constitutionnellement parlant- n’ont eu de cesse de la bidouiller pour qu’elle colle à leur desseins.
              Il y a des textes au-dessus de la Constitution, ils forment le bloc constitutionnel et sont au nombre de 5, dont la DDHC de 1789, le préambule de la Constitution de 1946, la charte de l’environnement et deux autres que j’oublie.
              Sarkozy, en tant que garant de la constitution et de la voix des français qu’il représentait, à signer un traité européen pour lequel les citoyens avait clairement exprimé leur refus.

  • Contrairement a l auteur, je pense que la democratie directe empeche justement une tyrannie de la majorite. Car il est tres facile d organiser un referendum et donc de bloquer (au moins temporairement) une loi qui vous deplait. ceci force le gouvernement a developper le consensus afin d eviter des referendums a Repetition Sans compter qu un referendum en theorie gagne sans Probleme peut se retrouver perdu (cf le dernier en France).
    Il peut y avoir des effets bizarres (ex referendum sur les minarets alors qu il y en a 3 ou 4 en suisse) mais c est un garde fou efficace pour eviter les derives des gouvernants. Par ex, les JO on ete enterre en suisse (par contre les parisiens vont passer a la caisse et le reste de la France aussi) et une crise comme les gilets jaunes se resoudrait par un referendum et non par l occupation de rond points …

    PS: d apres les sondage, l UDC va perdre son pari et son initiative (referendum) va perdre

    • « une crise comme les gilets jaunes se resoudrait par un referendum et non par l occupation de rond points »
      Ça, j’en rêve. Au lieu de ça, on a une représentation nationale, via l’AN, qui ne représente plus rien, 6 mois après les élections, et une démocratie « cause toujours » pilotée par un gus, le Président, qui fait pas grand chose de ce qu’il a promis et pond des décisions inattendues…

    • @ cdg,

      Ne pas confondre les référendum qui consiste à bloquer une loi votée par le parlement et les initiatives populaires qui consistent à inscrire une nouvelle loi dans la constitution. C’est cette dernière qui souvent est utilisé par des esprits totalitaires pour imposer des lois liberticides en essayant de rallier une majorité pour qu’elle s’ impose contre les droits des minorités. Heureusement que le peuple vote le plus souvent avec sagesse mais pas toujours.

  • Encore un libéral en peau de lapin qui pense que la liberté individuelle et la subsidiarité devraient être subordonnés à la technocratie, pour protéger le peuple de ses tendances populistes…
    Bref je comprend surtout cet article comme « en vrai c’est plutôt bien, mais comme c’est promu par l’UDC (qui sont des méchants de droite quoique souvent libéraux) alors je suis contre (sinon mes collègues de gauche prendraien penseraient du mal de moi) ».

    Assez naze, quoi…

    • @ Franz,

      l’UDC est un parti qui fait du libéralisme à la carte. Ce parti est assez libéral sur les question d’économie mais l’est beaucoup moins sur les questions agricoles et sur les sujets de sociétés ( drogue, immigration, droit du mariage, burqa, service militaire obligatoire etc… )

  • Tout à fait d’accord avec les Suisses. « Charbonnier est Maître chez lui »;

  • L’auteur pourrait-il développer sa théorie de la dictature de la majorité dans le cas de l’initiative NoBillag de l’an dernier (la plus importante votation de ces 80 dernières années), par exemple? Une majorité qui s’oppose à la violence de l’état est-elle de même nature qu’une majorité qui s’en sert?
    La votation est un outil important pour maintenir le « check and balance », mais a dramatiquement montré ses limites: pour l’initiative No Billlag, il fut impossible de lutter contre ses adversaires, finançés à hauteur de 2Milliards de francs d’impôts annuellement. Et la législation suisse actuelle est largement un copié-collé de celle fabriquée par les bureaucrates de Bruxelles, contre le voeux, plusieurs fois, clairement et majoritairement exprimé, par la population de rester en dehors de l’EU.

    • Vous avez raison, même si vous êtes loin du copié-collé véritable.
      Mais la pression de la pieuvre européenne sur l’économie suisse est monstrueuse, et c’est par là que le poison est distillé.
      La politique suisse pure pourrait faire la nique à l’Europe, mais la mainmise de Bruxelles sur les échanges économiques, a même d’imposer des règles scélérates pour permettre l’accès au marché de l’UE pour les ‘réfractaires’, a conduit le gouvernement fédéral à d’immenses concessions pour ne pas nuire à ses entreprises, donc à ses citoyens.
      Quand à ‘no billag’ (taxe audiovisuelle), on ne peut pas toujours gagner, mais pensez à ‘ no vignette à 100chf ‘, ça réconcilie avec les « Volksinitiative »…
      Hopp Schwyyz !

  • Cet article de contrepoints.org semble relater un problème d’application d’une convention signée entre la Confédération Helvétique et un autre pays.
    Indépendamment de la nature du litige, cet article a valeur de symbole en ce que la convention en question objet du litige a été remise en cause par une simple volonté d’un ensemble de citoyens se saisissant d’un problème sous la forme d’une pétition et provoquant une « votation » sur un sujet donné.
    Et, l’auteur de poursuivre « les citoyens suisses peuvent modifier en tout temps la Constitution à travers des initiatives populaires »….
    Voilà donc ce qui est une démocratie directe dan un régime libéral.
    Imaginez ce qui pourrait être la transposition en France d’une telle démocratie directe associée à un régime libéral…..
    A mon avis l’imposture de la Macronerie n’aurait même pas durée 6 mois après l’élection présidentielle!……

  • j’espère mais n’ crois pas trop.
    J’ai arrêté de lire l’article à « une dictature de la majorité », épouvantail qui le destine de façon certaine à la poubelle, pour être en plus favorable à une uniformisation de la normes quand le libéralisme défend la concurrence des normes, et leur production à l’échelon le plus proche de l’individu.

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