Témoignage : ma vie à échéance

Comment nouer les deux bouts lorsqu’on est indépendant en France, pendant que l’argent « public » est dépensé sous vos yeux ?

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Témoignage : ma vie à échéance

Publié le 8 novembre 2018
- A +

Par Renaud Tavilasse1.

Depuis plus de 18 ans, je travaille à mon compte. Je dessine, pour mes clients, des logos, sites web, illustrations et infographies. Je travaille seul, sans commercial ni comptable. Comme des millions d’autres, je suis confronté au poids des prélèvements obligatoires : taxes, cotisations et impôts divers constituent mon quotidien.

Une vie sur le fil.

Quand un client règle en retard, le stress et les factures s’accumulent, et la sensation d’être dans l’impasse grandit. L’administration, et son alliée de circonstance, la banque, ne font aucun cadeau. Chaque faux pas se paie cash. Par des frais supplémentaires bien sûr, mais aussi et surtout par une tension permanente, modérée, intense ou insupportable, selon le calendrier.

Chaque investissement nécessaire — par exemple l’achat de matériel ou de logiciel —, est reporté. Chaque fantaisie ou dépense exceptionnelle, même minime, est soupesée en fonction des échéances. Même un livre à 10 euros, souvent nécessaire pour continuer à se former et à progresser, ne peut être acquis sans y penser trois fois. Souvent l’achat est différé. En fin de mois, les mensualités du crédit immobilier approchent, avec une régularité de métronome. En début de trimestre, les cotisations sociales arrivent. En automne, ce sont les taxes foncière et d’habitation, les cotisations retraites et les impôts. La sérénité, elle, ne vient jamais.

L’argent public vient bien de quelque part

Alors il y a parfois la CAF, qui me gratifie d’un peu d’oxygène, avec quelques euros de prime d’activité, souvent avec un ou deux mois de retard. Cet argent bienvenu est accueilli avec prudence : s’il y a eu erreur, de ma part ou de celle de l’administration, je devrai bien sûr le rendre, plus tard, quand ça ne sera pas le moment. L’ayant connue, je sais que cette situation est une source supplémentaire de stress et de doutes. Mais pas d’inquiétude, cet argent sera de toute façon rendu.

La régularité des échéances contraste avec l’imprévisibilité et la fragilité de ce métier. Parfois les clients hésitent et reportent leurs projets. Parfois les budgets ne sont pas là. Parfois un retard imprévu, ou involontaire, ajoute encore de la fumée à la brume.

Les yeux rivés sur le compte en banque, qui n’est toujours pas crédité alors que les lettres à fenêtre et les menaces s’empilent, il est difficile de se projeter. Je vis au jour le jour. Calme, disponible et si possible souriant pour ma fille de 3 ans, j’ai la tête encombrée par les échéances.

Mes soucis, mon argent, mes questions

Tous les jours, je vois que les fruits de mes efforts s’envolent. Je ne sais où, je ne sais pour qui. Tous les jours, je vois de l’argent gâché, englouti dans des projets dont personne ne veut, des projets qui ne doivent leur existence qu’à la volonté d’agir pour sembler actif, de parler pour faire parler, de dépenser pour se justifier. Un rond-point à plusieurs centaines d’euros, richement décoré, pour deux rues sans trafic. Une plancha connectée dans un jardin public, que personne n’utilise. Un apéritif avec traiteur, une inauguration, toute cette énergie dont je me sens privé quotidiennement, s’éloigne je ne sais où, je ne sais pour qui. Parfois une photo dans le journal municipal : les élus locaux sourient et se félicitent d’avoir si bien agi.

L’argent, qui n’est que le résultat de milliers d’efforts et de sacrifices, a forcément été bien utilisé.

La plancha, c’est sympa ! Mais pas pour moi

Ce samedi soir, fin juillet, il fait chaud. Toutes les familles ont investi le jardin public, occupant, coude contre coude, toutes les tables de pique-nique. On a sorti les sodas, les chips, les barquettes de salade froide et quelques bouteilles de rosé. Les enfants courent et crient, les ados tombent amoureux, et les autres tentent de trouver un peu de fraîcheur à l’ombre des acacias. La terrasse de la pizzeria est bondée, il n’y a plus une seule table disponible avant 22 h. Au milieu de cette foule fatiguée et détendue, trône notre plancha connectée. Froide. Vide.

Elle a coûté 7000 euros. Qui a payé ? La commune, l’agglomération, le département, la région, l’État, l’Europe. Nous tous. Je songe à ces 1000 euros qui m’ont souvent manqué. Devant renouveler mon matériel, j’ai pu parfois épargner cette somme, tant bien que mal, pendant plusieurs mois, souvent au prix de vacances. Tant de fois j’ai dû me résoudre à la voir disparaître, avec un chèque à l’ordre du Trésor Public. Je savais alors que pendant plusieurs mois encore, je devrais faire tourner des logiciels récents, nécessaires à mon métier, sur cette machine hors d’âge. Dix ans, une éternité. Je savais que je perdrai du temps, je savais que je devrai bricoler et réaliser l’impossible avec des bouts de ficelles, je savais que, peut-être, je refuserai certains contrats.

Depuis des années je perds une énergie folle dans de telles « occupations ». Je reste persuadé que dans cette commune de 5 000 habitants, nous sommes au moins 7 à faire ces chèques assassins, régulièrement, et à remettre à plus tard ce qui nous permettrait d’avancer. Nous restons cloués au sol, sous un joug invisible, à reporter sans cesse nos ambitions, à sacrifier notre temps, nos compétences et nos vies.

Les vaches à lait en ont marre

Il n’y a absolument rien d’original dans ce constat. Des milliers d’agriculteurs, commerçants, artisans et tant d’autres vivent des situations parallèles. Songeons à tous ces ruisseaux amers de découragement, s’écoulant sans bruit, jour et nuit, partout dans le pays. Pensons à toutes ces belles énergies gâchées, ces enthousiasmes arrêtés, ces projets remis à jamais, et à ces insomnies quotidiennes. Il y a aussi ces moments, nombreux, où le travail est là, pressant, mais où l’envie a disparu. Qui calculera le coût social et économique de toutes ces résignations ?

À l’hôpital, il manque du personnel. Les patients appellent longtemps depuis leur chambre avant qu’une infirmière épuisée vienne à leur secours. Les urgences médicales sont un couloir où les chariots se bousculent ; les personnes âgées attendent parfois six heures d’angoisse avant de connaître leur diagnostic.

Les policiers se trouvent  démunis dans les quartiers dits sensibles. Ils sont trop peu nombreux, trop peu formés, mal équipés pour affrontés ce qui se passent sous leurs yeux.

La maison de retraite, elle, n’a plus de chambre libre.

J’ai dû acheter des mouchoirs en papier (1,50 euros) pour ma fille, lors de sa rentrée en maternelle.

Mais une plancha publique, connectée et froide, m’attend quelque part.

  1. L’auteur, connu de la rédaction, écrit sous pseudonyme
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  • la politique Française dans toute sa splendeur…..n’oubliez pas de payer aussi votre CFE , en décembre , au moment des fêtes , ça tombe bien hein…..

  • Je n’ai pas compris le sens de l’article. Il y a trop de planchas en France ? Je comprends que c’est un problème majeur.
    Etant à mon compte également, vous m’auriez parlé des erreurs régulières de l’URSSAF, des cotisations sociales astronomiques, des CFE ou autres taxes qui ne cessent de s’empiler ou des réglementations à n’en plus finir, je vous aurais suivi, mais votre complainte, littéraire et non factuelle ne me parle pas.

    • @ bs
      Un littéraire s’exprime comme un littéraire et vous vous exprimez autrement, comme vous pouvez. A chacun son mode d’expression. Le votre est parlant malgré sa pauvreté, ou grâce à sa concision, c’est selon, celui de l’article est parlant autrement. Les deux expriment la même réalité et les deux doivent être entendus. Le pire, c’est quand l’entrepreneur qui la vit est désespéré au point de ne plus rien en dire.

    • L’auteur met en rapport les prélèvements obligatoires écrasants avec l’absurdité et la vanité de certaines dépenses publiques, ce que symbolise la plancha. N’hésitez pas si vous avez d’autres questions.

    • La plancha froide, c’est là ou part votre dos tondu par l’état. Rien qu’à la voire, vous devriez vous sentir léger comme un cabri, surtout votre larfeuille ❗ L’auteur réalise la boucle.

    • Le sens de l’article est pourtant clair. Et la plancha symbolise un tas de choses. Si vous n’avez pas compris demandez à quelqu’un de « littéraire » dans votre entourage de vous en expliquer le message. Pourtant je croyais que nous avions tous -au niveau de l’enseignement secondaire- un minimum de formation littéraire. Cet article mêle des éléments factuels à une perception subjective et personnelle de la situation. C’est ce qui en fait sa force et son intérêt. A mes yeux en tout cas.

    • Il dit qu’il en a marre de se faire enfiler. C’est pourtant très clair.

  • Article criant de vérité. Je comprends l’amertume de l’auteur et je la partage. L’argent public est devenu comme de l’alcool pour les organismes qui en vivent : ils en sont tellement intoxiqués qu’ils leur en faut toujours davantage, jusqu’au délire,

    La question est de savoir comment les sevrer de ces orgies de dépenses inconsidérées qui ruinent les efforts de tant d’entrepreneurs abusivement pressurés pour les financer.

  • C’est quoi, une plancha connectée ?

      • Oh p… !
        Dès le départ elle a été conçue pour être financée par l’argent volé !
        Le cahier des charges déjà : fabriquons un truc que les acheteurs n’auront pas a payer de leur poche !
        D’ici qu’ils se fassent passer pour des mécènes, trop forts les gars qui ont bien compris le système !
        L’Alsacien dit:
        « àlt wie’n a kua,
        lehr’sch ìmmer noch d’r zua  »
        (Même vieux comme une vache, tu apprends toujours de nouvelles choses)

        • Comme ont dit « Tous les matins, il y a un con qui se lève… il suffit de le trouver ! » Et quand le con en question fait ses conneries avec le pognon des autres… sky’s the limit

          •  » sky’s the limit  » ? I’m not quite sure…

             » Two things are infinite: the universe and human stupidity;
            regarding the universe, I did not acquire absolute certainty.  »
            A. Einstein

            (Deux choses sont infinies: l’univers et la bêtise humaine; en ce qui concerne l’univers, je n’ai pas acquis de certitude absolue.)

            Par ailleurs, quelqu’un qui réussit à faire financer ses conneries par les autres, est il vraiment con ?
            -vous avez deux heures…

      • 3000€ pour un bibelot pareil …

  • Quand l’Etat devient l’ennemi des forces vives de la nation, il y a du souci à se faire…

  • Ce témoignage est tellement criant de vérité…
    Quand on se lève tous les matins pour gagner son pain, mais qu’on vient vous en taper plus de la moitié! Comment ne pas être écœuré?
    Ce gaspillage, cette gabegie des « pouvoirs publics » est de plus en plus criante et entre les dépenses inutiles comme les décorations de ronds points (voire même certains ronds-points eux-mêmes), et les réceptions en tout genre aux frais de la princesse, je me pose vraiment la question de savoir comment tout cela va pouvoir s’arrêter…

    • j avoue que je suis très mal a l aise tellement c’est réel. j’ai envie de pleurer pour ce monsieur. mais je suis certain que l’Etat trouverai une taxe sur les larmes…Courage l’ami, il y a une fin a tout.

  • Très petit entrepreneur (TPE) à mon compte, je souscris totalement à ce constat si parlant… et merci pour la plancha, y compris à 1984 qui nous a fourni le lien aboutissant à  » la Chose  » : oh, fan de chichourle, il y a de sacrés poètes shadokkiens pour concevoir des trucs pareils ! Ce serait rigolo si ce n’était pas avec nos sous.

  • Une solution à cette situation dans laquelle nous met l’état : ne pas être honnête.
    Par exemple, pour l’auteur de cet article, oublier certaines factures émises (+ 20% de TVA) dans sa compta et demander aux clients concernés de régler autrement (en tous cas sur un autre compte que celui de l’entreprise) pour que les paiements n’apparaissent pas . . . . si un jour, un contrôle fiscal détecte cet « oubli », invoquer que des factures ont été « égarées » ; le droit à l’erreur existe, l’état étant lui-même une erreur !

    • « ne pas être honnête »
      Ce que vous suggérez n’est pas malhonnête mais illégal, nuance!
      Résister à la spoliation légale est risqué, courageux, vertueux et honnête.

      • et salement réprimandé. si seulement un valeureux hacker pouvait juste « perdre » les dossiers des contribuables dans les bases de données du fisc de pu*te

  • Je pense que vous faites ce que tous les indépendants sont contraints de faire pour arriver à survivre: lorsque cela est possible, vous ne déclarez pas tout… C’est l’exil fiscal de ceux qui n’ont pas les moyens de partir. Ce pays se désagrège…

  • J’ai la solution;
    vous êtes jeune, vous êtes qualifiée , quittez l’europe ..
    Allez en Amérique du sud ,en Amérique du nord, en inde, en Asie , en Australie , en nouvelle Zélande ..

    bref vous vivez dans un pays socialiste , d’autres pays n le sont
    pas , fuyez !
    c’est votre seule chance d’en sortir

  • de tout coeur avec vous….on est combien avec ces mêmes soucis? combien à ne pas acheter de fringues depuis au moins 5 ou 6 ans parce que le fins de mois sont tendues? combien à se résoudre à ne pas aller chez le médecin pour des soucis de santé par économie? combien à ne pas partir en vacances et continuer à travailler pour rembourser son crédit immobilier que la banque refuse de réévaluer parce que vous êtes précaire professionnellement? ………beaucoup de smicards sont comme moi, à survivre plus qu’a vivre..au quotidien.

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