Les devoirs d’un journaliste

Les journaux perdent des lecteurs partout dans le monde. Le journaliste doit pouvoir comprendre la source de cette crise s’il espère avoir une chance de l’endiguer.

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Les devoirs d’un journaliste

Publié le 4 novembre 2018
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Par Emmanuel Brunet Bommert.

Notre époque est en proie aux doutes. La superstition conduit des gens honnêtes à repousser une vérité pour lui préférer des croyances sans fondement. Le journaliste est en première ligne face à cette réalité. Son travail étant de faire démonstration de la vérité, tout rejet de celle-ci remet son métier en question. On le remarque dans la déconnexion de plus en plus manifeste entre la profession et le public, mais aussi dans l’effondrement des ventes de quotidiens.

Les professionnels mésestiment la façon dont pensent ceux à qui ils s’adressent et peinent donc à leur faire une démonstration efficace. Dans le même temps, le public conteste les arguments qu’on lui présente. Les raisons de sa défiance varient, mais se résument comme suit.

Le public ne pardonne pas la propagande

Premièrement, les scandales sanitaires et politiques n’ont pas cessé depuis le début du XXe siècle. Les populations se souviennent que des journalistes et des médecins leur ont présenté le tabac comme étant sans danger, s’ils ne conseillaient pas d’en consommer. Elles n’ont pas pardonné la propagande qui faisait de l’amiante une matière miraculeuse. Les totalitarismes ont prospéré grâce au soutien d’experts réputés.

Bien évidemment, l’accumulation a nourri la méfiance du public envers les scientifiques et conséquemment les journalistes. On ne peut pas simplement cacher cette réalité sous le tapis en traitant ceux qui se méfient d’imbéciles. Ils ont de bonnes raisons d’être suspicieux et le scepticisme n’a rien de maléfique.

Moins d’instruction, plus de manipulation

Deuxièmement, alors que le niveau d’instruction des populations ne cesse d’augmenter chaque année sur le papier, on remarque en réalité qu’il diminue dans les faits. Les gens sont de moins en moins bien éduqués.

Les connaissances en mathématique sont frappées d’un net repli. La culture scientifique est souvent déficiente, malgré les records de réussite aux examens. Le niveau en langue a régressé en France au point qu’il est désormais plus commun de rencontrer quelqu’un qui ne sait pas écrire correctement, que le contraire.

Les méthodes de la démonstration ne sont plus assimilées et sans elles, les gens n’ont pas les outils pour séparer le vrai du faux. Ils sont donc à la merci des manipulateurs.

Le formatage de la pensée à l’école

Troisièmement, notre pays se transforme chaque année davantage en société de privilèges. C’est-à-dire qu’on doit de plus en plus se « payer » l’autorisation de faire quelque chose pour en avoir le droit. Le problème se ressent dans l’éducation, où l’étudiant ne poursuit pas des études dans le but d’obtenir une instruction, mais avec pour objectif de s’acheter le privilège d’exercer un métier.

Cet effet se remarque si intensément que le simple fait que le baccalauréat soit un peu difficile est assimilé à une injustice, puisque ne pas l’avoir condamne à n’exercer que des professions considérées comme moins prestigieuses.

L’école n’enseigne plus aux méthodes, mais prépare les candidats aux examens permettant d’obtenir les privilèges dont ils auront besoin pour vivre. L’enseignant donne à ses élèves les bonnes réponses à mémoriser, mais n’a plus le temps d’instruire aux moyens de déterminer leur exactitude par eux-mêmes.

Ceux qui sortent de ces institutions sont formatés à accepter ce qu’on leur dit, sans contestation. Les arguments d’autorité ont dès lors une efficacité maximale.

Le journaliste ne peut plus affirmer, il doit expliquer

Devant ce constat, on remarque surtout que le journalisme moderne est assez mal préparé. Le métier est plus que jamais nécessaire dans la lutte contre l’ignorance et la manipulation. On confie aux professionnels du secteur la lourde charge d’informer leur public. Seulement, ils peinent à réussir quand les populations n’ont plus les outils pour comprendre.

La stratégie du journaliste doit s’adapter à cette réalité. Il ne peut plus se contenter d’affirmer certains concepts comme des évidences, mais doit aussi justifier pourquoi ils le sont.

Une superstition est comme un parasite. Elle s’insinue dans l’esprit et se travestit en vérité. Elle ne peut pas être fausse. Celui qui est contaminé trouvera toujours d’excellentes justifications à ses contradictions. Puisque le journaliste fait des démonstrations, il lutte à son échelle contre ce genre d’afflictions. Son rôle n’est pas de « profaner le sacré », mais bien de protéger la seule chose qui mérite qu’on la considère comme telle, la vérité.

Le journaliste doit être sévère avec lui-même

Cependant, les journalistes sont tout autant touchés que leur public. Ils ont été éduqués par les mêmes institutions. Leurs proches les ont formatés dans le même genre de méfiance qu’eux. Les superstitions se sont infiltrées dans leurs esprits. Ils sont donc vulnérables et se retrouvent parfois, et souvent malgré eux, dans le camp des manipulateurs. Leurs opinions jettent la confusion entre « agir pour le bien » et « démontrer la vérité ».

Sauf que leur tâche n’est pas de rendre le monde meilleur, mais de fournir aux gens une image exacte de la réalité, afin qu’ils puissent prendre la bonne décision. C’est le public qui va agir et changer les choses.

En conséquence, les professionnels de la presse ont le devoir de réserver la plus grande part de leur sévérité pour eux-mêmes. Ils doivent s’assurer que leur maîtrise des méthodes de la démonstration est toujours optimale.

Pas un concept, même et surtout celui qu’on présente comme incontestable, n’est au-dessus d’une critique. Le meilleur intellectuel du monde peut se fourvoyer sur certains sujets ou manquer de jugement à quelques occasions. Le journaliste a la charge de relativiser l’autorité d’une réputation, y compris la sienne. Sa notoriété lui viendra de son efficacité mais ne doit jamais servir d’argument.

On s’attend de lui qu’il ne soit pas familier, parce que la familiarité encourage les réactions émotives. L’émotion est un terreau fertile pour la superstition et le but n’est pas d’en faire la culture mais de l’éradiquer. On n’utilise pas les sentiments pour créer des exemples qui parlent aux gens, comme preuves, parce qu’une émotion prendra le sens qu’un manipulateur intelligent voudra bien lui donner.

Dès lors qu’il contrôle sa propre ignorance, qu’il maîtrise ses opinions et que sa compétence linguistique lui permet de faire une démonstration que n’importe quel public comprend, sa tâche sera un succès. Le journaliste est dès lors en mesure de contrecarrer la défiance populaire et de faire enfin reculer l’ignorance.

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  • quel devoir , aucun . les journalistes sont assujettie à beaucoup de retenue …il faut préserver sa place …. nous sommes devenu mefiant et le matraquage de l’information continue .. là, c’est le pompon final … 24 sur 24 répété , l’overdose !!!

  • on a tout simplement changé d’ère , on est passé de « Gutenberg » a « marconi », c’est pus difficile pour les journalistes car ils sont de ce fait confrontés a leurs lecteurs, en temps réel

  • dans tout les corps de métier , tout ce qu’on demande , c’est qu’il soit pratiqué honnêtement et correctement ; les journalistes ont fait le choix de ne pas mordre la main qui les nourrit ( avec nos sous ) ; à charge pour eux d’en assumer les conséquences…..celles d’avoir de moins en moins de lecteurs ;

  • Quid du journalisme d’investigation?
    Les journalistes d’aujourd’hui n’exercent plus leur vocation première, à savoir, investiguer, enquêter et vérifier leurs sources.
    Ils se contentent de balancer les dépêches, c’est tout.
    Quant à leur supposée maîtrise de la langue, à l’écrit comme à l’oral, on a compris depuis longtemps que ce n’était plus qu’un lointain souvenir: mais ce n’est pas très grave, puisqu’ils s’adressent à des gens de même niveau qu’eux, tout va bien.
    Il ne nous reste plus, à nous pauvres lecteurs dotés d’une once d’intelligence et de compréhension, de zapper, d’aller de journal en journal, pour tenter de séparer le bon grain de l’ivraie et essayer d’en tirer la substantifique moëlle et l’info juste.
    Pas prête encore à avaler n’importe quelle connerie des lors qu’elle est estampillée « vu à la télé «  ou « entendu à la radio ».
    Pas plus qu’à me faire laver le cerveau par tous les sachants qui sont sûrs de penser mieux que moi, d’avoir raison et de tenter de m’imposer leurs vues…

  • Aux dernières nouvelles en matière de formatage des esprits par l’éducation Nationale, il est prévu que dans les nouveaux programmes les professeurs de Français vont devoir traiter des sujets aussi polémiques que celui des migrants sous l’angle du héros et la théorie des genres.
    Comme pour les journalistes, il y aura ce qu’il faut officiellement dire sans nuances pour avoir un devoir bien noté et ce que les gens pensent.

  • Cet article me laisse vraiment dubitative que ce soit en terme d’arguments que de conclusions. Les scandales, il y en a toujours eu depuis les joyaux de la Reine, en passant par Panama, Stavisky etc . Le niveau d’éducation : celui de ce que l’on appelle les élites a effectivement baissé, mais dire que le niveau moyen général de la population a baissé.? « Acheter le droit de » : ça a toujours été, rien de neuf . « L’enseignant donne à ses élèves les bonnes réponses à mémoriser » c’était encore pire avant. Etc..Etc . Ce qui a changé c’est la multiplicité des médias, le matraquage d’informations (en live sur le smartphone), la possibilité de « courtcircuiter » les sources « officielles » auparavant uniques et le tout dans un climat de surenchères, de scoops et de violences. Le devoir du journaliste va être de se faire respecter au milieu de la cacophonie et là effectivement il a du boulot.

    • ben voila…pas d’éléments pour étayer son opinion de la part de l’auteur. il illustre d’une certaine façon le mal qu’il veut dénoncer…que je suppose bien réel.. mais la seule chose qui me parait évidente est la médiocrité intellectuelle crasse des journalistes.

      • Lire les media suffit pour constater qu’il a raison! Nous nous plaignons suffisamment sur ce site de la désinformation que nous subissons de leur part. L’élection au Brésil vient de la démontrer une fois de plus. Qui a été poignardé, Haddad ou Bolsonaro? Et c’est ce dernier que l’on accuse d’être un fasciste et de vouloir instaurer la dictature? Les seules dictatures en Amérique sont de gauche: Venezuela, Nicaragua, Cuba! Bolsonaro n’est pas d’extrême droite, contrairement à leurs accusations, puisqu’il est député démocrate-chrétien! Donc cas de désinformation flagrant et surtout des calomnies envers un homme qui leur déplaît car pas de gauche!

  • « les gens n’ont pas les outils pour séparer le vrai du faux. Ils sont donc à la merci des manipulateurs. »
    En fait, c’ètait le but…

    • Le manque de culture de la génération actuelle est bien le problème. Ils ne sont pas capables de comparer avec ce qu’ils ont appris puisqu’on ne leur a rien appris, et surtout pas d’analyser et de réfléchir. Ils répètent comme des ânes ce qu’on leur dit, et ne se rendent pas compte que ce sont des âneries!

  • On est surtout passés d’un temps où les journalistes étaient payés par leurs lecteurs à un où les journalistes sont payés par leurs annonceurs.

    • oui c’est vrai, la question est de savoir pourquoi les journaux indépendants ont disparu ou presque.
      Pas certain qu’un « bon » journal aux yeux de l’auteur trouverait des lecteurs.. pas certain non plus que la médiocrité du lectorat soit en cause. Mais pourquoi ne pas aller voir dans d’autres pays ayant conservé ou améliorer leur éducation si le m^me phénomène est en cours..

      ça reste un article d’opinion pas un bon travail « journalistique » selon les propres critères de lauteur?

    • et le contribuable

  • Michel0 est par l’ETAT , niche fiscal a peu près 7600 euros pas mal pour fermer sa gueule … les collabos du 21emes siecles ..!!!

    • Oui, l’état est un annonceur un peu particulier dans son mode de financement, mais pas tant que ça dans ses attentes envers les journalistes : faire passer le message. Je l’incluais dans ma définition des annonceurs.

  • Le rôle du journaliste est essentiel aux hommes de l’Etat: bourrage de crâne et culpabilisation des créateurs de richesses pour qu’ils acceptent de se faire tondre sans broncher.

  • le problème est alors l’éducation nationale? alors?

  • S’ils n’ont pas compris c’est qu’ils ne le veulent pas, comme le montre bien les media aux USA ou en France. Le Figaro qui était autrefois un journal sérieux qui informait ses lecteurs est devenu tout aussi trompeur que le Monde et Libération, diffusant la bonne parole sur tous les sujets, sans s’inquiéter une seconde de la vérité!

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