Quand l’État joue avec les nerfs du monde de la copropriété !

Plongée dans l’imbroglio de la loi Elan.

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Réflexion à l'Arsenal by Franck Vervial (CC BY-NC-ND 2.0)

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Quand l’État joue avec les nerfs du monde de la copropriété !

Publié le 28 octobre 2018
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Par Gilles Frémont et Nafy-Nathalie.

Pour réformer la copropriété, on parlait de loi. Puis on a annoncé des ordonnances. On a donc attendu des ordonnances qui ne sont pas venues, du moins pas pour le moment. Par contre on a eu des bribes de réformes dans une loi que l’on a intitulée la loi ELAN, qui a été annoncée comme LA grande loi logement de notre gouvernement. Comprenne qui pourra.

À quoi ressemble le volet copropriété de la loi ELAN ?

Le volet copropriété de la loi Elan résulte d’un mauvais compromis politicien entre le Sénat et l’Assemblée nationale contraints de se réunir en Commission mixte paritaire. L’Association Nationale des Gestionnaires de Copropriété (ANGC) avait fait, ainsi que d’autres, des propositions d’amendements que l’Assemblée nationale a écartées au prétexte que tout le régime de la copropriété serait revu par voie d’ordonnances.

Tout semblait donc bouclé sauf que le Sénat a fait de la résistance. Il a rejeté le principe même des ordonnances en évoquant les principes de la démocratie puis il s’est mis à voter des amendements et, par un tour de passe-passe surprenant, il a fini le 16 octobre par accepter l’habilitation du gouvernement à faire des ordonnances, mais dans un article 60 devenu « 215 et suivants » dans l’indifférence générale. Sans commentaire.

Un recours devant le Conseil constitutionnel a été déposé contre la loi Elan par une majorité de députés de l’opposition au motif qu’elle serait une régression par rapport aux lois actuelles du littoral. Mais il est assez symptomatique que personne ne se soit attaché à un pareil recours concernant les dispositions relatives à la copropriété comme si finalement cette dernière n’intéressait personne ; et après tout, pourquoi le ferait-elle ? Il n’y a en effet que 8,4 millions de logement en copropriété en France.

Aujourd’hui, on se retrouve donc avec un curieux mélange : d’un côté quelques amendements à la loi du 10 juillet 1965 sur des points très particuliers, et de l’autre côté de grandes ordonnances qui n’étaient pas voulues mais qui ont été votées et sont annoncées comme ambitieuses et réformatrices sans que l’on sache pour le moment en quoi. Cette situation n’a rien de rassurant.

Les immeubles en copropriété sont régis par la loi du 10 juillet 1965 et son décret d’application. Les lois diverses qui s’entassent (SRU, ALUR et ELAN) ne font qu’en modifier certaines dispositions.

Qu’est-ce que la loi ELAN modifie à la loi de 1965 ?

  • Droit de jouissance privatif sur parties communes

Ainsi la définition du droit de jouissance privatif sur parties communes (exemple de l’usage d’une cour commune enclavée dans un logement) reste succincte. Quels travaux a le droit de faire, ou pas, le propriétaire bénéficiaire du droit de jouissance ? Est-ce que la copropriété peut monnayer l’attribution de ce droit ? Autant de questions toujours sans réponses. La question du droit de jouissance temporaire et personnel (autorisation donnée à un Monsieur X de se garer dans la cour) n’est même pas évoquée.

  • Représentation aux assemblées générales

De même, la problématique des pouvoirs donnés, sans consigne de vote, par les copropriétaires absents aux assemblées générales, afin d’y être représentés, n’est toujours pas réglée. La loi Elan précise maintenant que le syndic ne peut pas se les attribuer, ce que l’on savait déjà.

Elle ajoute qu’il ne peut pas non plus les distribuer mais ne dit pas qui le peut et dans quelles conditions. Alors, que vont faire les syndics qui les reçoivent ? Les jeter ? Les poser sur un coin de table en attendant qu’un copropriétaire lambda les prenne ? Les remettre au président du conseil syndical ou à celui du bureau de la réunion ou au copropriétaire qui détient le plus de tantièmes ou celui qui en a le moins ? Mystère.

Un copropriétaire pourra aussi voter par correspondance aux assemblées générales avec un formulaire qui sera précisé par décret et qui lui permettra de formaliser ses votes. La loi Elan précise que si une résolution a évolué de manière « substantielle », le vote par correspondance sera considéré comme un vote contre. Que signifie « substantielle » ? La notion est subjective. Qui va trancher ? Qui sera responsable ? Le président de séance ? Le secrétaire de séance qui est souvent le syndic ? S’il y a une responsabilité, il y a une sanction normalement. Mais laquelle ? Personne ne sait.

Toujours concernant les assemblées générales, il sera possible d’y assister maintenant par visioconférence. Cela ne pose pas de problème pour une ou deux personnes en visioconférence. Mais comment fait-on, techniquement, si 50 personnes veulent participer à la réunion en visioconférence ? Pour le moment, cela reste ingérable.

Chaque époux peut prendre des pouvoirs en assemblée générale. La jurisprudence l’avait déjà dit en toute logique puisque les époux, tout comme une indivision, ne constituent pas une personne au sens juridique du terme.

Le mandataire en assemblée générale a toujours le choix entre cumuler 3 pouvoirs ou prendre des pouvoirs dont le total des tantièmes est limité à X % des voix de la copropriété. Le seuil de 5 % qui existait est simplement augmenté à 10.

  • Fonds travaux

Le fonds travaux reste toujours aussi mal monté et inexploitable. En copropriété, le critère de l’utilité détermine les votants et les payeurs. Le fonds travaux appelé en charges communes générales était inexploitable pour des travaux spéciaux (ascenseur ou bâtiment par exemple). La loi ELAN a eu l’heureuse idée de permettre l’utilisation de ce fonds pour des travaux sur parties communes spéciales. C’est magnifique !

Enfin, cela pourrait l’être mais il reste un problème de taille… la loi n’autorise pas à appeler en fonds en charges spéciales. Pour donner un exemple, cela revient à financer des travaux d’ascenseur sur la base des tantièmes généraux. C’est absurde et contraire à l’esprit du critère de l’utilité, critère essentiel en copropriété. Autrement dit, on se retrouve avec un fonds en théorie utilisable mais inapplicable en pratique.

D’autres nouveautés jettent le trouble :

  • La loi rajoute à l’article 3 qui définit ce que sont les parties communes : « tout élément incorporé dans les parties communes ». Est-ce que cela signifie par exemple que l’interphone privatif du médecin à l’entrée de l’immeuble reste privatif s’il est en saillie mais devient partie commune s’il est encastré dans la façade ? Cela va être drôlement compliqué à gérer pour le syndic et risque aussi d’entraîner des problèmes sérieux d’esthétique. En effet, les copropriétaires pourraient décider de ne plus donner d’autorisation d’encastrer quoi que ce soit dans les parties communes (fils, équipements).
  • Pour voter des travaux, il existe plusieurs majorités possibles. Pour résumer grossièrement, il y a la majorité des voix exprimées (la majorité des tantièmes des présents et représentés) et la majorité absolue (majorité des tantièmes de l’ensemble de la copropriété). La tendance législative des dernières années est de diminuer les majorités de vote afin de permettre de faciliter le vote des travaux. Les travaux d’entretien se font à la majorité des voix exprimées en réunion. Mais pourquoi diable alors ce gouvernement a-t-il décidé de compliquer le vote des travaux qui sont à la fois d’entretien et d’économies d’énergie en les faisant voter à la majorité des voix de l’ensemble de la copropriété ? C’est incompréhensible de les rendre plus difficiles à voter et cela va dans le sens contraire des objectifs écologiques revendiqués par la réforme.

Place du syndic

Une chose est cependant assez significative. C’est la place du syndic dans la loi ELAN.

La loi Alur en 2014 comportait de nombreuses dispositions contraignantes pour le syndic, comme les pénalités pour la fiche synthétique, le pré-état daté non facturable sans accord préalable du copropriétaire, et bien sûr le contrat type qui privait les copropriétaires et le syndic de toute liberté contractuelle.

Avec la loi Elan, on continue de s’acharner sur le syndic dont on soupçonne maintenant le concubin (après le conjoint, les enfants, petits-enfants, parents et grands-parents) de vouloir s’accaparer des pouvoirs en AG.

On le soupçonne également maintenant de vouloir faire de la rétention de documents. Une pénalité de retard lui sera infligée s’il tarde à donner un document, par ailleurs déjà accessible sur l’extranet du cabinet, au conseil syndical. Les rapports entre le professionnel et ses clients vont forcément en pâtir.

Quelques nouveautés intéressantes

Quant aux nouveautés intéressantes, elles concernent 3 points :

La loi ELAN consacre la jurisprudence sur la naissance d’un syndicat de copropriété à la livraison du premier lot.

Elle s’aligne aussi sur le droit commun et la réforme de 2008 des prescriptions pour les actions personnelles qui sont passées de 10 ans à 5 ans.

Elle crée aussi un nouveau type de copropriétaires, ceux issus du bail réel solidaire. Ce bail, en vue de favoriser la mixité sociale dans les immeubles, génère des droits réels immobiliers sur de très longues durées et est assimilé par la loi Elan à une forme de mutation. Les ménages intermédiaires qui bénéficieront de ce bail pourront participer aux assemblées générales, voter sur tous les points qui les concernent mais aussi donner leur avis sur les points qui ne les concernent pas. Les seules impossibilités de votes du preneur seront, pour résumer rapidement, relatives au modification du règlement de copropriété qui restent la prérogative du bailleur. Le bailleur quant à lui a la possibilité de voter et de s’opposer sans qu’aucune charge ne puisse lui être réclamée.

L’article 59 interpelle de manière inquiétante

Cet article 59 porte uniquement sur les copropriétés dégradées permettant l’expropriation des propriétaires dans des syndicats incapables de pourvoir à leur conservation. C’est vrai qu’il existerait 15 % d’immeubles dégradés en France et que c’est beaucoup trop, mais il reste néanmoins 85 % de copropriétés en bonne santé ; on peut donc s’interroger sur cette manie de nos politiques de faire des législations entières pour des épiphénomènes et de trouver normal de les décliner sur tout le parc.

Tous les immeubles ne sont pas dégradés. Tous les copropriétaires ne sont pas des mauvais coucheurs. Mais le fait de donner à l’État encore plus de facilité pour exproprier un propriétaire, quand il considère que l’entretien de l’immeuble n’est pas à la hauteur de ses espérances, dans le contexte actuel d’inflation d’obligations de travaux, n’est pas pour rassurer.

Quand elles ne font pas que consacrer la jurisprudence, les modifications de la loi Elan concernant la copropriété sont pour leur majorité inabouties. Elles donnent l’impression d’avoir été rédigées à la va-vite, et bâclées.

Le principe de la modification du régime par les ordonnances est maintenu pour le moment. Personne ne sait comment les amendements et les ordonnances s’articuleront. Est-ce que les nouvelles dispositions légales relatives à la copropriété ne seront pas modifiées ou supprimées ? Le flou reste le plus total.

Une première ordonnance devrait avoir lieu dans un peu moins de 12 mois pour réformer la gouvernance et le champ d’application de la loi en fonction de la nature et la taille de l’immeuble. Plusieurs régimes en copropriété coexisteraient.

Une seconde sortira dans 24 mois pour réformer le Code de la copropriété. Actuellement ce que l’on appelle « Code de la copropriété » n’est qu’une reprise de la loi de 1965. Alléger la loi et la rendre plus accessible est une bonne idée.

Aujourd’hui la loi de 1965 comprend 34 000 mots. Le Grecco avait proposé un projet de loi de 17 000 mots qui semble ignoré par le législateur avec la logique qui veut que, s’il n’hésite pas à missionner des professionnels et à financer un travail d’études et de recherches au frais du contribuable, il n’hésite pas pour autant à balayer ses conclusions sans même s’y attarder. Il est probable que le ministère de la Justice, en charge des ordonnances, l’ignore aussi.

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  • Dire qu’ils ne sont que 577 députés, plus les assistants et les stagiaires, pour produire des textes aussi géniaux !

  • Comme on dit chez nous : ils sont tellement …. qu’il n’y a qu’eux qui ne le savent pas . Et ça , nous nous l’avons compris depuis longtemps .

  • Vu le nombre de député présent à l’assemblée nationale.. 1 député par département cela suffit .. Ex : lors du vote de la loi sur la hausse de la CSG des retraités ,
    il y était présent 57 députés le résultat :: 43 pour 14 contre … donc la suppression de 450 députés , reduirer la dépense inutile du budget de la dépense publique …Pour les sénateurs idemme… ils peuvent parler de l’absentéisme dans les entreprise ; ils en sont le parfait exemple … quand aux 2 charlots des finances , vous perder 1000 euros sur l’année , je ne perd pas de pouvoir d’achat ?
    ils ont un gros problème avec les chiffres ..
    Et bien j’ai une solution , tout ces sois-disants
    élites vu leurs efficacité..Je propose qu’ils soient PAYE au SMIG vu leurs résultats !!!
    c’est pas avec ces guignols que nous allons nous en sortir ! ! !

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