Procès Monsanto : le retour vers la raison ?

Le procès Dewayne « Lee » Johnson c. Monsanto (et autres) – un verdict à près de 290 millions de dollars – est entré dans la phase de l’appel. La juge Suzanne R. Bolanos a donné de premières indications sur ses intentions. Le soufflé retombe.

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Procès Monsanto : le retour vers la raison ?

Publié le 18 octobre 2018
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Par André Heitz.

Les médias, particulièrement français, se sont déchaînés après le prononcé du verdict du jury californien dans l’affaire qui oppose un jardinier, M. Dewayne Lee  Johnson, à Monsanto, Wilbur-Ellis et d’autres. Schadenfreude ! Quelle merveilleuse nouvelle : Monsanto (et les autres, constamment oubliés dans l’affaire) a été condamné à payer près de 290 millions de dollars à M. Johnson, dont les avocats (prédateurs) ont plaidé que son mycosis fongoïde – une forme de cancer non hodgkinien – avait été causé par le glyphosate.

Une première réduction du verdict en bonne voie

Monsanto et al. ont fait appel et la première audience a eu lieu le 10 octobre 2018.

Avant l’ouverture de l’audience, la juge Suzanne R. Bolanos, devant laquelle la cause avait été plaidée en première instance, a rendu un tentative ruling, un projet de décision ou une décision provisoire dont le résumé est comme suit :

« La motion du défendeur [Monsanto et autres] pour un JNOV [jugement nonobstant le verdict] s’agissant des dommages punitifs est ACCEPTÉE ; à défaut, la motion du défendeur pour un nouveau procès s’agissant des dommages punitifs est ACCEPTÉE. La Cour entendra les arguments sur la motion du défendeur pour un JNOV et un nouveau procès s’agissant de la responsabilité. »

La justice est imprévisible, mais la première partie de ce résumé laisse entendre que les 250 millions de dommages punitifs infligés à Monsanto (et d’autres) vont s’évaporer. Et la deuxième qu’il y a de bonnes chances qu’il en soit de même pour le reste.

Il y a le projet de décision, mais aussi la motivation. Selon le Code civil californien, des dommages punitifs peuvent être accordés si le défendeur a été coupable de (traduction littérale) « oppression, fraude ou malice ». Selon la juge, le plaignant ne s’est pas acquitté de son obligation de produire des « éléments de preuve clairs et convaincants ».

En bref, plaignant et défendeurs s’accordent à dire qu’il y a un ensemble de données scientifiques parmi les plus importants pour une substance dans le monde. Mis à part le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), tous les régulateurs du monde continuent à trouver que les herbicides à base de glyphosate sont sûrs et non cancérogènes. La monographie du CIRC n’a pas pu influencer l’état d’esprit de Monsanto car elle a été publiée après que le diagnostic de mycosis fongoïde de M. Johnson a été posé.

En outre, les efforts constants de Monsanto pour étudier et tester ses produits à base de glyphosate ne sont pas compatibles avec un constat d’indifférence délibérée. Le plaignant n’a apporté aucune preuve (le texte est vigoureux : « failed to present any evidence ») que Monsanto a agi de manière odieuse :

« Le plaignant allègue que Monsanto a refusé de mener les études recommandées par le Dr Parry dans les années 1990. Les dossiers montrent que Monsanto a en définitive mené tous les tests sauf un et en a diffusé publiquement les résultats. Le plaignant a aussi suggéré que Monsanto a tenté de « polluer » la littérature scientifique en écrivant anonymement [ghostwriting] des articles à l’appui des produits à base de glyphosate. Le plaignant cite essentiellement Williams (2000) et Kier & Kirkland (2013). Mais les employés de Monsanto sont mentionnés comme contributeurs de ces articles et il n’y a aucune preuve que ces articles contiennent des déclarations matériellement fausses sur le plan scientifique. […] »

Que retenir de ce paragraphe ? C’est un démontage en règle d’une bonne partie des théories extravagantes qui ont fait les choux gras du quotidien Le Monde et de bien d’autres médias sous le vocable « Monsanto Papers ».

Et le verdict de responsabilité ?

La Cour demande aux parties de plaider sur cinq points dont la possible exclusion du témoignage d’un médecin parce que « son diagnostic ambivalent [differential] est juridiquement insuffisant pour établir un lien de cause à effet », ainsi que l’inconduite de l’un des avocats lors de la plaidoirie finale (il avait évoqué la nécessité de « changer le monde », le fait que l’industrie du tabac avait consenti à payer des dommages, et « le champagne dans la salle du Conseil de Monsanto ») et la légalité du calcul de la compensation des dommages futurs non économiques (31 millions sur les 39).

Plus important :

Les deux parties s’accordent à dire que les preuves épidémiologiques sont insuffisantes pour étayer un constat de responsabilité. La Cour peut-elle accorder un nouveau procès sur la base d’un manque de preuves épidémiologiques à l’appui du verdict ?

Il semble que la réponse est dans la question.

Et maintenant, les médias ?

L’AFP a produit une dépêche bien partielle et donc partiale, avec les qualificatifs idoines : l’herbicide est forcément « controversé », le premier jugement est « historique », Monsanto n’a pas plaidé mais « exhorté la magistrate d’un tribunal supérieur »… Elle a été reprise par de rares journaux comme la France Agricole, ou, sous un curieux titre, « Procès Roundup : Monsanto plaide pour alléger sa lourde condamnation », Bourse Direct ou Le Point.

Y en aura-t-il d’autres, et particulièrement ceux qui, Le Monde rubrique Planète en tête, s’était déchaînés en août dernier ?

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  • le terme controversé est assez drôle..
    c’est un peu comme dire qu’une personne est accusée de quelque chose…en laissant à penser bien sur qu’on doivent la voir comme coupable..

    le boulot des journalistes n’est il pas d’enquêter pour trancher les controverses…

    controverse
    nom féminin
    Discussion sur une question, une opinion.
    Controverse scientifique.
    synonymes : polémique

    • Controversé est le nouveau nom du Diable. Il faut bannir ce qui est controversé, nous dit Carrefour dans ses pubs. Bientôt, ce sera aussi enseigné dans les écoles. L’opposition à la pensée unique étatique sera controversée, et ses tenants bannis eux-aussi. Cela permet de s’affranchir de la science et de la justice…

    • Refuser les produits « controversés » est plus dans l’air du temps que n’accepter que les bon produits. Cela fait « Résistance » ! Du marketing, quoi.

  • Le problème vient de l’inculture crasse des décideurs d’une part et des ayatollah du lobby vert ignorants, sans parler de celle de la presse qui raconte n’importe quoi..
    La carcinogenèse d’une substance est mis en evidence par un protocole d’etude toxicologique très précis.
    Ce type d’étude est effectué sur 2000 rats , ventilés en groupes, traités a des dosages différents, nourris et pesés chaque jour pendant 2 ans, puis sacrifies et analysés post mortem organe par organe par des pathologistes spécialisés.
    Ce type d’etude est généralement suivie en amont par la Food & drug administration , depuis les protocoles jusqu’au rapport final..
    on est très loin d’études universitaires menées sur 3 rats dans un labo avec des protocoles fantaisistes..

    Ce qu’il faut savoir c’est que les labos sont rémunérés par un brevet qui dure 10 ans et leur assure l’exclusivité de l’exploitation de la molécule..
    Une fois passée cette période l’exclusivité tombe et tout le monde peut fabriquer et commercialiser le produit..c’est le cas du glyphosate
    Les labos peuvent etre tentés de « tuer » une molécule afin de leur substituer une nouvelle spécialité entraînant une nouvelle période
    couverte par le brevet
    A la sortie de l’aspartame il a fallu tuer la saccharine tombée dans le domaine public, un vague médecin dans le Colorado a donc émis des doutes et publié ses mise en garde sur la capacité de carcinogenèse possible de la saccharine .. a l’époque çà a suffit
    Premier contrat aspartame avec coca cola 7 milliards de dollars.. vous voyez le schéma?
    bref, dans cet affaire je ne sais pas si c’est monsanto lui meme qui
    veut tuer le glyphosate tombé dans le domaine public pour le remplacer par une nouvelle spécialité brevetée(qu’il aurait dans ses cartons.. ou le lobby du bio qui veut effrayer le consommateur lambda pour le capter, ou les ayatollah verts qui profitent mécaniquement de l’agitation des millénaristes qu’ils contrôlent pour jouer un rôle politique.

    Il n’est pas impossible d’ailleurs que les trois objectifs aillent dans le meme sens et que se soient des alliés objectifs a leurs corps défendant..

    • Oui il s’est passé la même chose pour le fréon et l’hoax du trou dans la couche d’ozone. Fréon qui coutait 2 € le kg à été remplacer par des « gaz » brevetés coutant 40 € le kilo. Belle opération.

    • Pour le glyphosate, vu l’absence de remplacement sérieux, on peut sans trop s’avancer innocenter le concept de la manipulation des escrolos par un industriel proposant un tel remplacement.

  • Cette alternance des verdicts est le résultat direct du système judiciaire US, dans lequel le premier degré est devant un jury populaire, toujours prêt à « punir » les vilaines entreprises, alors que l’appel a lieu devant des juges professionnels qui disent le droit.

    • @ Lucx
      Pourquoi ainsi stigmatiser les jurys populaires américains en les présentant, à la française, comme des anti-grandes et vilaines entreprises à punir?
      Je crois, au contraire, que les Américains sont plutôt fiers de travailler pour un groupe de dimension multinationale!
      La rumeur s’est révélée fausse: il n’y a pas lieu d’en vouloir aux jurés d’avoir été au courant de la rumeur! Et si le procès est refait, d’autres jurés décideront!

  • On parie combien que rien de tout de cela ne sera dans la presse mainstream ? Ou une indignation généralisée, un hurlement contre la pression des lobbies et des pleurs de pauvres petits escrologistes qui voient le juteux moyen de pression leur filer entre les doigts.

  • oui on pense souvent que le lobbyiste traîne autour des décideurs .. mais pas que ..
    souvenez vous du « joint venture » improbable monté aux états unis
    entre l’industrie des margarines et les traitements du cholestérol..
    on sait aujourd’hui que cette histoire d cholestérol est bidon médicalement parlant , c’est prouvé..

    Mais dans cette histoire on a la maladie sensée etre soignable , et l médicament la margarine.. cela a enrichi tout le monde

    aujourd’hui c’est plus globalisé , on a le bio (qui est parfaitement bidonné) et la culture traditionnelle qui serait mauvaise pour la santé, les abeilles, le réchauffement, la totale .. dans l’intervalle on vend 30% plus cher..pour l’instant
    donc il faut bien aller vers les réseaux sociaux pour défendre le bien (plus cher) contre le mal (la nourriture qui a fait notre generation qui serra celle ayant vécu le plus longtemps dans ce pays depuis toujours)
    dans la lutte commerciale , vendre c’est tuer l’autre , d’ailleurs carrefour qui a bien pigé çà importe son bio et va casser le zadiste moyen..n mettant le bio au meme prix , on se marre
    C’est de bonne guerre

    • @ claude henry de chasne
      Oui, de bonne guerre! Mais pas très français!
      Je soupçonne fort la paysannerie française de se diriger vers le bio de proximité pour ce sur-coût qui permettra encore de survivre à de petites fermes à l’ancienne, parce que la France, qui ne craint pas trop de tricher avec les lois et règles de l’U.E. ou de les appliquer le plus tard possible pour ne pas troubler la population, préfère se dire obligée d’obéir à Bruxelles plutôt que d’assumer le fait d’avoir bien signé pour l’application de ces lois et règles, assemblée nationale et sénat inclus!

      L’axiome devient: la France n’est pas réformable (mais est vétuste) mais le pauvre pouvoir parisien est « obligé » par Bruxelles de réformer mais le moins possible et le plus tard possible (ou il fait semblant).

      Pas en France, je vois tous les jours mon voisin, fermier, gérer, seul, ses terres et ses étables avec un jeune pour donner un coup de main si nécessaire. Bon, il ne manque pas de technologie, évidemment et il connait aussi les ficelles, mais il fait bien plus que survivre!

  • Vous avez déjà vu quelqu’un de gauche reconnaître une erreur ou un mensonge? Pas moi, donc Le Monde comme d’hab occultera ou continuera à calomnier.

    • c’est normal voyez vous, ce qui compte c’est la « cause », la vérité c’est « accessoire »…

      • @ Laurent
        Oui et c’est aussi la croyance qu’avec un beau discours on va noyer le poisson!
        Qui est encore dupe sinon les auditeurs abonnés de D.de Villepin ou de J.L.Mélenchon?

  • Quand je veux une réponse honnête sur ce genre de sujet (herbicides, pesticides, ogm, perturbateurs, viande rouge, huile de palme, ..) je vais voir les avis de Hervé This et d’Alfred Bernard, la plupart du temps ils délivrent les mêmes conclusions .. et ça me prend 15 minutes pour clore le sujet.

  • J’espère que le jardinier ne s’et pas trop lâché,la banque risque de le rattraper

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