Élections en Bavière : les jours (politiques) d’Angela Merkel sont comptés

La situation actuelle était très largement prévisible, ce qui fait dire à certains, notamment au sein de la CSU, qu’Angela Merkel est la principale responsable du fiasco du 14 octobre.

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Élections en Bavière : les jours (politiques) d’Angela Merkel sont comptés

Publié le 17 octobre 2018
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Par Jonathan Frickert.

Ce dimanche ont eu lieu les très attendues élections régionales en Bavière, bastion historique de la droite allemande. Les conservateurs de la CSU, parti frère de la CDU d’Angela Merkel et dirigé par l’actuel ministre de l’Intérieur, ont essuyé un revers dans un scrutin marqué par la montée prévisible des Grünen et de l’AfD.
Une nouvelle débâcle aux allures d’épilogue pour la chancelière qui vit depuis 3 ans une période de fortes turbulences dans un contexte de crise migratoire et identitaire et qui pourrait bel et bien se terminer très rapidement par sa démission.

La fin d’une hégémonie

En effet, avec un score de 37 %, la CSU perd la majorité absolue, essuyant son pire résultat depuis 68 ans. Les Grünen, avec 17,5 %, font figure de grands gagnants du scrutin. Centriste, le parti écologiste allemand s’apparente à ce qu’étaient les Verts en France avant le virage gauchiste initié dans les années 1990 par Dominique Voynet et devient donc un allié potentiel de la majorité de droite.
Sans surprise, l’AfD fait son entrée au Landtag avec 10,2 %, devancé par Freie Wähler (FW), mouvement libéral-conservateur et favorable à la démocratie directe, qui obtient 11,6 %.

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Si le FDP fait, comme ce fût le cas au niveau national en 2017, son retour dans le jeu parlementaire, c’est surtout le résultat étonnamment bas du SPD, qui frôle à peine les 10 %, qui fait réagir. Avec ce score, le total des voix de gauche atteint péniblement les 30 % contre 34 % habituellement. Une défaite d’autant plus forte que le taux de participation à cette élection est en hausse de près de 9 %.

C’est pourtant vers la CSU que les regards européens se sont tournés lundi matin. La formation est menée par Markus Söder, ministre-président de Bavière depuis l’entrée au gouvernement du très emblématique Horst Seehofer. La campagne très à droite du nouveau champion conservateur bavarois n’aura pas suffi à séduire des électeurs tentés par l’AfD, allant jusqu’à jeter les plus modérés dans les bras écologistes. À l’heure où nous écrivons ces lignes, une alliance des conservateurs avec FW et du FDP semble être l’option la plus probable dans l’optique du futur cabinet.
Sept mois après la formation laborieuse de l’exécutif fédéral, l’échec local aurait pourtant largement pu être évité.

Un fiasco évitable

La débâcle pointait pourtant son nez dès 2010, lorsqu’un banquier central social-démocrate provoqua une polémique avec l’ouvrage le plus vendu de la décennie. L’Allemagne disparaît de Thilo Sarrazin faisait office de brûlot à l’égard de la politique migratoire et du modèle multiculturel germanique. Cinq ans plus tard, la crise des migrants sonnera comme un avertissement à l’égard de l’angélisme allemand. Angela Merkel est pourtant devenue la chantre européenne de l’accueil et de l’ouverture. L’année suivante, pour la première fois depuis 16 ans, la CSU ne l’a pas invité à son congrès annuel, symptomatique d’une rupture qui coûte encore aujourd’hui très cher à la chancelière.

Malgré une réélection en 2013 puis en 2017, sur le terrain électoral, les esprits s’échauffent. Les libéraux du FDP, emmenés par un anti-Macron assumé, se présentent en 2017 en opposition à l’accueil des migrants et l’AfD fait son entrée au Bundestag. Dans ce contexte, le gouvernement mettra 4 mois à être formé, frisant l’organisation d’un scrutin anticipé. Une coalition SPD-CDU forme alors un cabinet afin de sauver le soldat Merkel. Si le pays est habitué aux grandes coalitions, le contexte lui donne l’image d’un chant du cygne.

Il n’aura pas fallu trois mois pour que la première crise gouvernementale s’engage, opposant la chancelière au ministre de l’Intérieur sur la question migratoire, allant jusqu’à une menace de démission le 1er juillet 2018. L’intéressé renoncera quelques heures plus tard suite à un de ces compromis auxquels Angela Merkel a habitué les Allemands.

À la fin de l’été, pourtant, deux événements majeurs viennent remettre le feu aux poudres : le lancement d’Aufstehen, destinée à apporter une réponse de gauche à l’AfD, et plusieurs agressions mortelles impliquant des migrants moyen-orientaux, provoquant plusieurs manifestations aux quatre coins du pays. Des faits divers ayant entraîné la démission de plusieurs responsables de la sécurité publique et faisant largement écho à la vague d’agressions sexuelles qu’a connu la ville de Cologne le 31 décembre 2015.

Huit années durant, la situation politique, sécuritaire et identitaire n’a cessé de se dégrader outre-Rhin, se traduisant naturellement lors des différents scrutins, alors que le Land de Hesse s’apprête à vivre à son tour une élection régionale. Un scrutin d’autant plus suivi que la capitale locale, Francfort-sur-le-Main, a le plus fort taux de délinquance du pays.

La situation actuelle était très largement prévisible, ce qui fait dire à certains, notamment au sein de la CSU, qu’Angela Merkel est la principale responsable du fiasco du 14 octobre.

Le crépuscule d’une idole

Si les résultats en Bavière ne remettent théoriquement pas en cause de la situation nationale, dans les faits, le scrutin de dimanche relève du coup de grâce. Un sondage national paru dimanche soir annonce un nouveau recul de la CDU/CSU, à 26 % et une nouvelle montée de l’AfD avec 15 %. Une preuve, s’il en fallait une, de l’érosion électorale que connaît la droite allemande.

Malgré un discours très droitier tenu lors du scrutin bavarois, la CSU n’a pas su contenir cette fuite. L’Union semble ainsi davantage payer sa frilosité dans son bras de fer avec la chancelière que son positionnement. Dans ce pays où la stabilité est une religion politique, Markus Söder n’a pas osé renverser la table, à la manière de ce qu’avait fait Christian Lindner, du FDP, lors des négociations avec la CDU.

Alors que les conservateurs bavarois ont toujours pour rôle tacite de bloquer toute opposition à droite, la CDU s’est pour sa part profondément gauchisée en 10 ans alors que le SPD risque de quitter le gouvernement.

Alors que les négociations pour la formation d’un gouvernement régional vont être plus compliquées que prévu, certains annoncent déjà la démission d’Angela Merkel.
Ce nouvel épisode d’un feuilleton qui dure depuis bientôt 10 ans devrait en effet se terminer par la mort politique de celle que les Allemands appelaient affectueusement Mutti et qui tentera de sauver sa tête lors du congrès de la CDU le 6 décembre prochain.

Vers un nouveau clivage

L’Allemagne est devenue le laboratoire des mutations idéologiques que connaît l’Occident depuis bientôt 20 ans. Les clivages politiques ont toujours été animés par de grandes thématiques historiques. Force est de constater qu’un nouveau point d’achoppement s’est dégagé avec la question démographique et ses corollaires : l’immigration et l’identité. Des problématiques que la droite ne pourra régler qu’en s’attaquant de front à l’establishment.

Le déclin d’Angela Merkel pourrait enfin sonner le glas du progressisme qui gangrène l’Europe depuis bientôt 40 ans.

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  • Pourtant ici même hier un brillant analyste se contorsionnait les méninges pour nous faire avaler qu’en fait mme Merkel n’était pas affectée par le résultat de ces élections mais qu’au contraire elle en était renforcée quelque part . Constatons aussi qu’un éditorial français aborde sans fards la problématique actuelle de la société Allemande . Trop rare en France pour ne pas être relevé ….les européennes approchent bien sûr !

    • Comme j’ai apporté la contradiction à l’auteur sur l’article d’hier, je vais me permettre ici de rendre un « jugement de Salomon ».
      Sur le court terme, Merkel reste en place, même si son futur s’assombrit. Comme, de nos jours, la qualité d’un homme politique se mesure surtout par sa capacité de rester en poste, on doit admettre que Merkel fait bien mieux que la moyenne.
      Sinon, je sens un peu de « wishful thinking » dans chacun des deux articles. D’un côté, pour celui d’hier, Merkel ne sort pas du tout renforcée, mais elle est toujours en place. Il faudra « aller la chercher », comme dirait notre Manu national.
      De l’autre, pour l’article ci-dessus, elle est clairement affaiblie, mais elle est toujours là. Donc pas assez faible – pas encore… On verra ce qui nous réserve la suite.

  • quelle idée aussi de faire rentrer 1 millions d’émigrés , comme ça ; n’a t’elle donc pas réfléchi aux conséquences ? il n’y a que des hommes , en pleine force de l’age ; ou sont les enfants , les femmes , les personnes âgées , ? resté au pays ? merkel n’a que ce qu’elle mérite mais cette bourde , ce sont les allemands qui vont la payer et pendant trés longtemps ;

  • Le multipartisme a une longue tradition en Allemagne.
    En 1890 déjà, à Kissingen, Bismarck s’adressait a des étudiants en ces termes:
     » Il est difficile de combler le fossé entre les groupes politiques. Je considère l’ensemble du système de faction parlementaire comme une maladie causée par l’ambition des dirigeants, avec laquelle, en tant que ‘condottieri’ politiques, ils cherchent à améliorer leurs perspectives à la hausse ou à la baisse.
    Combattons cette fâcheuse tendance à ‘ l’itio in partes ‘ (séparation des corps).
    Si nous restons ensemble, nous chasserons le diable hors de l’enfer.
    Nous devons nous habituer à voir dans chaque Allemand d’abord le compatriote avant l’adversaire politique. « 

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