Financer des entreprises en Afrique : oui mais lesquelles ?

En Afrique ce ne sont pas les financements qui manquent mais les entreprises finançables.

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Financer des entreprises en Afrique : oui mais lesquelles ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 15 octobre 2018
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Par Naofal Ali.

Ce titre, je le sais, va complètement à contrecourant d’une vision largement répandue. Celle selon laquelle, en Afrique, ce sont les difficultés d’accès aux financements qui tuent les entreprises.

« Les banques ne prêtent qu’aux riches. Elles ne font pas confiance aux jeunes. Et si les jeunes entreprises africaines avaient de quoi se financer, nombres d’entre elles réaliseraient certainement de beaux parcours »… Vraiment ?

L’accès aux financements est-il plus difficile en Afrique qu’ailleurs ? Oui, certainement. Cela explique-t-il les échecs et les retards de croissance des jeunes entreprises africaines ? Il y a un an, j’aurais certainement répondu oui à cette question. Sans hésiter.

Depuis, j’ai cofondé un fonds d’investissement destiné à financer les PME innovantes sur le continent, et ma vision a changé. Je pense désormais que les sous-performances de nos jeunes pousses trouvent leurs causes ailleurs…

Ashanti Ventures : là où tout a commencé…

Il y a un an, j’ai cofondé Ashanti Ventures, un fonds d’investissement qui accompagne les jeunes entreprises ouest-africaines avec de l’apport en capital et du conseil. Concrètement, notre modèle consiste à investir sur cinq ans entre 15 et 35 millions de francs CFA dans les start-up que nous accompagnons, soit un ticket annuel moyen entre 3 et 7 millions.

Cet apport en capital est complété par des facilités d’accès au financement bancaire, ainsi qu’un dispositif d’accompagnement en conseil assuré par les 4 associés-gérants du fond : un ingénieur (Vinci), un consultant en stratégie (Capgemini Consulting), un expert-comptable (Mazars), et un data-scientist (JC Decaux). Nous avions tous en plus de nos expériences à l’international, une bonne connaissance de nos zones d’investissement : le Bénin, le Sénégal, et la Côte d’Ivoire.

Au cours de cette première année d’activité, j’ai beaucoup appris sur la dynamique entrepreneuriale en action sur le continent, et plus précisément sur sa région Ouest. J’ai pu échanger et observer près d’une centaine d’entrepreneurs et d’entreprises dans le but d’investir dans leur projet.

Au terme de cette première année, nous avons pourtant réalisé zéro investissement. Pour cause, les entreprises avec lesquelles nous avons échangé n’étaient simplement — comme beaucoup de celles que nous observons — pas éligibles à nos financements. Voici pourquoi.

Trop d’entrepreneurs veulent « faire comme… »

La production de tomates, une marque de vêtement, un élevage de volailles, une unité de production de jus de fruits, un e-commerce général, un site d’annonces. Voilà six classiques, visités, revisités, sur-revisités par les entrepreneurs locaux. Les projets de ce type sont innombrables, et ont en plus, le malheur de tous se ressembler.

Chez Ashanti, nous ne nous interdisons pas d’investir dans l’agriculture ou la mode, seulement, il faudrait que l’approche proposée par l’entrepreneur soit originale, différenciée, innovante. Même si une unité de production de jus d’ananas installée à Dakar ou Abidjan est rentable, cela ne suffit pas à en faire pour nous une cible intéressante. Des entreprises similaires existent par centaines dans la sous-région, et la plupart sera morte d’ici deux ans.

Nous, nous recherchons des futurs champions. Il faudra donc absolument quelque chose en plus, une étincelle pour susciter notre préférence, et pour le moment, je l’ai assez rarement vu. Nos entrepreneurs ont besoin de créer plus, et de moins « faire comme… ».

Des projets compliqués pour… rien !

On a parfois l’impression que certains entrepreneurs créent une application mobile parce que c’est un outil à la mode. Ils parlent de blockchain parce que le thème est récurrent, ou mentionnent l’intelligence artificielle à tout va sans vraiment savoir ce que cela recouvre. C’est tout le débat entre la modernité et le progrès.

Tenez, prenez cette start-up qui assemble des drones au Cameroun. C’est une de ces entreprises qui développe des offres complexes sans réelle valeur compétitive. Où est l’intérêt de développer des drones au Cameroun alors que dans un pays asiatique l’entreprise aurait accès au meilleur de la technologie, à des ressources humaines de premier choix, et à du capital à moindre coup ? Si tout l’intérêt ici est d’avoir un engin volant estampillé « Made with love in Douala », cela me paraît bien limité.

Je peine vraiment à voir en quoi le fait que ces drones soient assemblés au Cameroun, leur accorde une quelconque valeur ajoutée. Est-ce que c’est moderne ? Oui. Certainement. Est-ce que c’est pertinent ? Utile ? Non, je ne pense pas. Et par ailleurs, il y a probablement un intérêt plus grand à se positionner sur les usages des drones, plutôt que leur assemblage.

Assembler des drones au Cameroun plutôt qu’en Chine dans de meilleures conditions et à des coûts plus compétitifs, c’est s’imposer des difficultés pour le simple plaisir de le faire. Nos entrepreneurs doivent faire davantage dans « l’efficacité », et moins dans la « tendance ».

Les entrepreneurs et leurs équipes viennent de Mars, et leurs projets de Saturne

Dans une jeune entreprise, les clients, les actifs matériels, les flux, ou la renommée sont encore quasi inexistants. Dans ces cas, la seule garantie à laquelle l’investisseur peut s’accrocher, ce sont les connaissances, et le savoir-faire de l’équipe.

L’investisseur a besoin de sentir qu’il n’est pas face à des « aventuriers », mais à des fins connaisseurs de leur marché. Il a besoin de sentir que ceux-ci ont identifié, bien compris les grands enjeux de leur marché, et qu’ils sont en mesure d’y répondre de la meilleure manière. Des éléments plutôt difficiles à garantir lorsque ni l’entrepreneur, ni son équipe ne sont experts de leur marché.

Quand les ingénieurs agronomes s’improvisent développeurs d’applications mobiles, que les financiers deviennent designers de mode, et que des étudiants en ressources humaines se lancent dans l’élevage de poulets, tout se complique lorsqu’il n’y a dans leur équipe aucun expert.

Dans la large majorité de ces hybridations hasardeuses, les entreprises créées meurent, rares sont celles qui survivent mais au prix de ne jamais grandir, et les chances qu’elles deviennent des championnes sont quasiment nulles.

Nous avons besoin d’entrepreneurs, et d’équipes qui s’investissent dans des domaines où ils sont experts, où ils peuvent donner aux investisseurs la garantie de leurs connaissances, de leurs compétences, et leur capacité à délivrer les objectifs. Sans cela, aucun investisseur ne risquera ses fonds dans un projet.

Tout ça manque sacrément de rigueur !

Ces douze derniers mois, nous avons eu droit à tout ! Vraiment. Des messages sans réponse, des appels sans retours, des premiers rendez-vous manqués sans raison, des deuxièmes rendez-vous manqués sans raison, des troisièmes, et même des quatrièmes ! Des dossiers de candidatures truffés de fautes d’orthographe, une paresse phénoménale à la rédaction et à la lecture de quoi que ce soit, une incompréhension totale de concepts pourtant essentiels à toute entreprise : le point mort, la différence entre un chiffre d’affaires et une trésorerie, ce que c’est qu’une marge brute, une marge nette, ou le besoin en fonds de roulement. Une vraie pagaille.

Dans ces conditions, évidemment, rares sont les jeunes sociétés à adopter des règles de gestion, même les plus élémentaires : tenir un cahier de comptes où sont consignées les entrées, les sorties, les dettes et créances, et réaliser des supports écrits présentant l’entreprise, ses ambitions, sa stratégie, ou tout autre élément clé. Bref, les traces écrites de la gestion de l’activité sont souvent rares, voire inexistantes, ou inutilisables.

Dans ces conditions, dur dur d’investir ! J’ai vu des épiceries de quartier tenues par des personnes non lettrées, mieux gérées que certaines de ces « entreprises ».

Beaucoup d’entreprises n’ont pas la moindre endurance

Décrocher un financement c’est un marathon, beaucoup d’entreprises n’ont pas la moindre endurance.

Une grande partie des entreprises que nous rencontrons se découragent à la simple idée de remplir un dossier de candidature. En fait, elles pensent naïvement que lever de l’argent se fait grâce à :

  • un coup de fil où l’on présente son entreprise,
  • un mail où l’on dit sa motivation,
  • et un SMS pour communiquer ses coordonnées bancaires afin de recevoir les fonds.

Bah désolé… c’est quand même un peu plus challenging que ça tout de même ! Ces entrepreneurs que les procédures et quelques rédactions découragent sont ceux que nous ne recontactons pas. Et dans lesquels nous n’investissons pas. S’ils sont incapables de faire une rédaction correcte pour se présenter, d’exposer leur projet entrepreneurial sur une page, chiffres à l’appui, ou de réaliser un power point nickel de 5 slides qui expose leur vision à 5 ans. Qu’ils passent leur chemin.

Nous pensons que ces entrepreneurs-là ne tiendront pas la distance, car sur leur route se dresseront des défis bien plus exigeants que tout ceci. Malheureusement, beaucoup, beaucoup, beaucoup ne l’ont toujours pas compris.

Beaucoup s’emballent pour peu de choses

Nous avons manifestement un problème de mindset. Jusqu’à preuve du contraire, créer une entreprise n’est pas en soi un exploit, peu importe l’idée, la vision, ou les projets qui sous-tendent cette création. C’est un geste à la portée de n’importe quel individu disposant de quelques heures, une pièce d’identité, et quelques milliers de francs CFA.

Porter cette entreprise au succès, voilà l’exploit. Mais si on continue de célébrer les entrepreneurs sur internet, de les louer juste parce qu’ils ont créé des entreprises dont tout le monde ignore tout des performances, on fabriquera une génération d’entrepreneurs « Facebook ». Des « entrepreneurs » du verbe, qui parlent, donnent des pseudo-interviews, chassent les projecteurs, conseillent la jeunesse, mais qui jamais n’abordent des sujets de fond : leur activité, leurs résultats, leurs challenges, et leurs perspectives.

Tout ce qui devrait pourtant représenter le corps de la parole d’un chef d’entreprise, comme l’illustre si bien le discours de Régis Ezin sur sa marque de snacks Dayelian. Le problème aujourd’hui c’est que nos capitales regorgent de ces profils « Facebook », et cela complique profondément la mission des investisseurs.

Un manque de curiosité

Le monde est vaste ! Il appartient à ceux qui ont soif de l’apprendre, de le connaître, de le comprendre. Il y a deux choses que j’ai souvent vu, et que je ne comprendrais décidément jamais.

  • Un entrepreneur qui ne suit pas les infos : on ne leur demande pas d’aimer ça bon sang ! On leur demande de le faire. Quand on monte une boîte dans un pays, c’est quand même utile de savoir un peu ce qui s’y passe non ? Et vu que nous vivons une ère de mondialisation, c’est peut-être aussi important de savoir ce qui se passe dans d’autres grandes régions du monde non ? Genre les US, la Chine, la France, les émergents… Il me paraît évident que oui. Il y a au moins quatre éléments que ça peut expliquer : les cours des matières premières, les variations des taux de change, la dynamique technologique, et les perspectives sur leurs marchés. Et pour une entreprise, ces points ne sont quand même pas des détails. Non ?
  • Un entrepreneur qui n’en apprend pas tous les jours sur son secteur : si vous montez une boîte dans la mode et que vous ignorez, ou ne connaissez que LVMH, Kering, ou Inditex de nom, il y a un problème. Idem si vous ne pouvez pas répondre à des questions du type qu’est-ce qui fait la force de frappe de Zara ? C’est aussi ça le job de l’entrepreneur. Développer une expertise fine de son industrie. C’est le ciment de la vision de l’entrepreneur, et on en manque souvent.

En définitive…

Pour sûr, nos jeunes entreprises ont besoin de lever des financements pour leur croissance, et relever les défis de leurs temps. Mais pour y arriver, elles doivent d’abord se rendre éligibles à l’obtention de ces fonds. Pour attirer les capitaux dont elles ont besoin, il leur sera impératif de présenter des projets originaux à fort potentiel, porter les bonnes équipes, gérer avec rigueur et transparence, et le tout dans un état d’esprit conquérant.

Même si chez Ashanti nous n’avons encore bouclé aucun deal, nous restons convaincus que ces entreprises existent. Nous restons donc à l’écoute de nouvelles opportunités. Si votre startup ou une de celles que vous connaissez coche toutes nos cases, au plaisir d’en discuter !

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  • certes…mais pourquoi vous me dites ça…???
    la question est donc en amont ..dans ces pays …qui vous dit d’ailleurs que ce n’est pas votre MODÈLE qui n’est pas adapté à l’etat de votre économie et votre société?

  • Sérieux ?

    « Nous, chez Ashanti, nous attendons que vous veniez pour monter une boite fiable, intelligente, avec toutes les études de marché faites, avec une bonne idée, pérenne, que ça soit déjà rédigé, pensé, plié et que vous vous mettiez au turbin en élargissant votre horizon et organisant toute votre structure. On vous jugera, ce qu’on fait déjà dans cet article, et on constatera que c’est trop naze ce que vous faites. La preuve, vous êtes tellement nuls qu’on a financé aucun de vous ».

    Vous ne donnez absolument pas envie de vous contacter : vous faites un constat des manquements. Vous vous placez en investisseurs financiers là où on voit clairement que le besoin est structurel, organisationnel, logistique, communicationnel. Forcement il manque des trucs que les gens n’envisagent pas parce qu’ils ne savent même pas que ces contraintes existent !

    Vous êtes un ingénieur , un consultant en stratégie, un expert-comptable et un data-scientist. Génial, mais entre la tête que vous êtes et le trouyouyou qu’il y’a sur le terrain, il nous manque du corps (techniciens, opérateurs qualifiés qui servent de guide, méthodistes, moyens industriels, qualiticiens, transporteurs/logisitciens).

    C’est comme si vous attendez qu’on vous donne un super dessin, vous êtes prêt à investir dans l’ordinateur, vous savez parfaitement le calibrer au besoin… mais les gens n’ont pas le logiciel (vous non plus d’ailleurs), ne sont pas formés à s’en servir (vous non plus) et utilisent les termes qui y sont liés au petit bonheur pour essayer de vous convaincre/faire plaisir (et encore une fois : vous aussi). Ça ne marche pas. Ça n’a jamais marché. Ça ne marchera jamais.
    L’échec est donc parfaitement justifié et c’est davantage de votre faute d’analystes que de la leur de personnes motivées mais non formées.

    • @ Ungars
      Vous préfèreriez que ce qui se dit chez Ashanti ou chez d’autres investisseurs potentiels ne soient pas dits ouvertement. Or, que cela vous plaise ou pas, c’est la réalité, c’est ce qu’ils pensent et ils osent le dire sans détour. Merci à eux de leur franchise.

      A partir de ces informations qu’ils donnent un travail peut être fait, car au moins leurs interlocuteurs savent à quoi s’en tenir. Pour moi, le pire, c’est quand un investisseur me dit que pour lui l’Afrique, c’est fini et qu’il ne veut plus entendre parler sans expliquer ouvertement pourquoi. Ashanti n’a pas cette position, ils veulent investir en Afrique et ils posent des conditions simples pour rendre les candidatures possibles. Je suis certaine que ça marchera parce que les Africains sont comme nous, ils sont honorés quand on les traite avec franchise, et ils peuvent recevoir ce type d’informations avec assez d’intelligence pour en tirer profit.

      D’ailleurs peu importe que les analyses de Ashanti soient bonnes ou pas, car il est clair qu’ils s’inscrivent dans une démarche de formation réciproque où chaque partie est bien consciente d’être perfectible et de la nécessité de coopérer ensemble pour la création d’entreprises qui en vaillent la peine.

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