La réforme des retraites sera-t-elle conforme au droit européen?

La réforme des retraites qui se prépare peut avoir un puissant effet sur les classes moyennes, en privant les salariés d’une part importante de leurs marges financières.

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La réforme des retraites sera-t-elle conforme au droit européen?

Publié le 3 octobre 2018
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Par Eric Verhaeghe.

La réforme des retraites sera probablement le dernier grand projet macronien de réforme pour le quinquennat. Préparée par Jean-Paul Delevoye dans des conditions qui inquiètent les partenaires sociaux, elle devrait avoir un puissant impact sur le paysage actuel des retraites. Elle pourrait poser un sérieux problème au regard du droit européen, qui ne permet pas aux États-membres de faire tout ce qu’ils veulent en matière de protection sociale. C’est une nouvelle illustration de la propension très opportuniste d’Emmanuel Macron pour l’Europe.

Une partie du secret qui marque la stratégie d’Emmanuel Macron dans la réforme des retraites tient à la complexité du sujet et à l’opacité qui entoure les intentions de l’exécutif. Autrement dit, pour limiter la contestation face à une réforme qui pose de sérieux problèmes, et pas seulement à la marge comme nous allons le voir, l’exécutif peut parier sur une opération de prestidigitation qui sera devenue irréversible lorsque les cotisants seront en mesure de comprendre les dégâts causés par les choix qui se préparent dans un secret regrettable.

De ce point de vue, Emmanuel Macron, qui ne rate pas une occasion d’épingler les démocraties illibérales ou la loi du plus fort imposée par l’allié américain, démontre sa capacité à ne pas faire mieux sur la scène nationale. S’agissant d’un dossier épineux qui concerne l’avenir de plusieurs générations, on s’en attristera.

La réforme des retraites telle qu’on la connaît aujourd’hui

En l’état, il n’est pas facile de savoir quelles sont les intentions d’Emmanuel Macron (et de Jean-Paul Delevoye) sur ce dossier. Si l’on se fie à une interview donnée par Jean-Paul Delevoye en juin 2018, se dessine un plafond de ressources d’environ 10 000 € par mois. Au-delà de ce plafond, le système par points ne serait plus d’application. Autrement dit, les cotisations au régime général tripleraient par rapport au système actuel. Le système en vigueur au-delà reste en suspens pour l’instant.

Pour éclairer ce point, le petit schéma en pyramides ci-dessous simplifie les évolutions qui se préparent.

À l’heure actuelle, le régime général de Sécurité sociale (la CNAV, inventée en 1941 par le régime de Vichy, et confirmée à la Libération), impose à tous les salariés de cotiser uniquement sur la fraction de leur salaire inférieure à 3 311 € bruts mensuels. Ceux dont le salaire excède cette somme sont contraints, par un accord interprofessionnel pour les cadres de 1947, de cotiser à l’AGIRC jusqu’à un niveau de salaire plafonné à 26 500 € bruts mensuels. Au-delà, le cotisant est libre de souscrire au système dit supplémentaire de son choix.

Ces explications mettent ici à part les salariés relevant de régimes spéciaux, les fonctionnaires et les travailleurs non salariés. Sur chacune de ces catégories, des règles spécifiques s’appliquent qui obligeront Emmanuel Macron à un exercice de haute voltige, et sur lesquelles il faudra tôt ou tard se pencher.

D’ici là, la réforme des retraites qui se prépare devrait, dans la pratique, relever fortement le champ de compétences du régime général, qui prélèverait des cotisations « monopolistiques » sur 97 % des salariés actuels contre 75 % aujourd’hui. Le relèvement du plafond de cotisations de 3 300 € à 10 000 € bruts mensuels aurait pour effet « d’absorber » l’écrasante majorité des salariés. Concrètement, un cadre rémunéré à 8 000 € par mois consacrerait probablement 20 % de son salaire à ses propres cotisations de retraite.

Les fâcheuses inconnues de la réforme des retraites

Toute la difficulté consistera à savoir à quelle pension il pourra prétendre en contrepartie. Sur ce point, deux inconnues majeures risquent de mettre la réforme d’Emmanuel Macron en délicatesse avec le droit communautaire.

Pour expliquer schématiquement la difficulté, il faut revenir aux deux grandes options qui s’ouvrent à l’exécutif pour réformer les retraites.

Soit le gouvernement s’oriente vers un système a minima, avec de faibles cotisations et une faible solidarité entre les cotisants. Dans ce cas de figure, les actifs paieraient tous de « petites cotisations » pour se garantir une pension minimale, qui remplacerait faiblement les salaires qu’ils ont perçus durant leur carrière. Ils resteraient alors libres d’améliorer leur retraite en cotisant à des régimes complémentaires ou supplémentaires.

Soit le gouvernement impose une solution très solidaire. Dans ce cas de figure, les actifs verseraient des cotisations au moins aussi élevées qu’aujourd’hui, pour assurer un bon taux de remplacement des salaires moyens perçus durant la carrière. Les cotisants disposeraient alors à la fois de peu de marges et de peu de raisons de cotiser à d’autres régimes que le régime universel qu’il prépare.

Ce dernier scénario peut être accru, durci, en imposant aux cadres les mieux rémunérés de cotiser pour les autres, et donc de transférer de fait une partie des retraites auxquelles ils ont droit aux plus petits salaires. Dans ce cas, les cadres verraient leur capacité à cotiser ailleurs fortement diminuée tout en disposant d’une retraite dégradée, ce qui constituerait une double punition.

Comme on le voit, la réforme des retraites qui se prépare peut avoir un puissant effet sur le pouvoir d’achat, singulièrement sur celui des classes moyennes. Elle peut aussi reconfigurer en profondeur le marché de l’épargne et de l’assurance-vie, en privant les salariés d’une part importante de leurs marges financières (quand elles existent encore).

La réforme des retraites et la question du droit européen

Dans la pratique, il est peu probable que le gouvernement opte pour une réforme a minima. Ce choix serait en effet politiquement trompeur. Or Emmanuel Macron a besoin de se retrouver une vertu en pratiquant quelques libéralités. En outre, la doctrine étatiste du Président ne cadre pas avec un choix d’ouverture du système à la diversité, voire à la concurrence.

Le plus probable est donc que le gouvernement tende à imposer un système avec un niveau de cotisations élevé, qui assèchera le marché de l’épargne, et singulièrement de l’épargne-retraite. Selon toute vraisemblance, il videra le système AGIRC-ARRCO de son contenu en chassant de façon monopolistique sur ses terres. Subsistera seulement un système supplémentaire pour les très hauts revenus.

Or ce choix se révèlera problématique au regard du droit communautaire. Selon les différents règlements qui se sont succédé depuis 1975, chaque État-membre demeure maître chez lui pour les questions de Sécurité sociale. Mais… la jurisprudence de la cour de Luxembourg a fixé des limites à cette liberté. On en retrouvera une bonne description dans l’arrêt Kattner.

Dans la pratique, les juges de Luxembourg considèrent qu’un système obligatoire de sécurité sociale doit se limiter à des paramètres soutenables. Autrement dit, il ne peut porter l’effort de solidarité au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer des prestations minimales à chacun. Pour vérifier le respect de ces critères, la Cour de Luxembourg vérifie notamment que le régime obligatoire n’empêche pas l’existence d’un marché complémentaire.

En l’espèce, l’exécutif français aura beaucoup de mal à prouver qu’une réforme des retraites étendant un régime général obligatoire aux salaires d’un montant de 10 000 € laisse une place aux acteurs complémentaires et ne va pas au-delà des limites de la solidarité.

Macron, l’Européen opportuniste

Si le cas de figure évoqué ci-dessus devait se réaliser, on retrouverait une fois de plus l’ambiguïté très opportuniste des élites françaises vis-à-vis de l’Union Européenne, et au premier rang d’entre elles, l’opportunisme d’Emmanuel Macron. D’un côté, on ne tarit pas d’éloges sur l’Europe, source de paix, de prospérité, et toutes ces sortes de choses que le monde entier nous envie. D’un autre côté, les règles de concurrence imposées par l’Union, et les limites qu’elle pose à la toute-puissance publique semblent insupportables et sont sans cesse, et sans beaucoup de loyauté, remises en cause.

Pour l’exécutif, ces règles, même si elles sont définies de façon prétorienne, n’en constituent pas moins un danger certain. Rien n’exclut qu’un acteur du marché de l’épargne, en France ou ailleurs (au titre la libre prestation de service notamment) ne saisisse la Cour de Justice des projets français… et ne les expose au pire.

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  • la réforme de la retraite est un sujet très sensible , le résultat des concertations se fera après les Élections Européenne… mais arrive les municipales et ensuite la Présidentielle… là , cela va bloquer …l ‘Élection Européenne va être décisif pour le gouvernement , si il prenne une branler !!! là soupe est bonne ..Courage fuyons !!!!

  • Après les millions de retraités qui ont l’impression de s’être faits avoir et le prélèvement à la source qui va zombifier les millions de salariés, le fait de modifier fortement le processus des retraites dont ceux en activité, directement impactés, sont eux aussi un paquet de millions, tend à militer pour un enterrement de grande classe du dit projet.

  • @vitevu, ce n’est pas une impression .60 euros par mois ( 720 ) ,gelé des pensions ,inflation entre 11/2 voir 2 % augmentation carburants ,cigarettes pour certains etc…quand à celui qui est au SMIG 19 Eu d’augmentation vu les taxes, électricité, gaz et autres , les pigeons volent bas cette année…. et ceux qui vont perdre des indemnités…le Mirage de la nouvelle politique !!!

  • comment peux t on décider du minima de la retraite lorsque l’on est un cumulard de retraite sois même !! ça va faire démago tant pis ,j’assume ..donnons lui 1200 euros de retraite par mois et à l’issue que l’on parle de retraite ?? quand à nos députés , c’est vrai pour certains , ils n’ont plus de choix à part manger à chaque repas des pâtes…je vais pleurer pour eux !!! comme un certain droit dans ces bottes 1200 euros c’est une bonne retraite ,qu’il se l’applique à lui même ( Jupé )
    alors que lui en tant qu’ancien 1er ministre se fait rembourser en moyenne 100 000 euros de frais annuel , il n’est pas le seul bien entendu …

  • Les deux scénarios proposés ne sont pas « solidaires » car on reçoit en fonction de ce que l’on cotise. Ca c’est non, car en France on est solidaire! Enfin surtout les « riches », et ce n’est pas en option. C’est donc la version n2 durcie qui sera choisie.
    Par exemple avec un système de tranches en fonction du nombre de points accumulés. Pour chaque tranche, le point vaut une certaine valeur. Le système que je propose a en plus la propriété d’être souple, la valeur du point peut être ajustée en fonction des conditions électorales. Au delà de 10000€, une « cotisation » exceptionnelle de 3% sur le revenu, pour la solidarité avec la dette sociale nationale. Enfin, des « niches de points » avec les abattements sur les tranches, pour permettre de viser un public précis et remplacer les régimes spéciaux.
    Sincèrement je pense que je suis assez proche de la solution qui sera choisie.

  • Il ne faut surtout pas s’inquiéter pour nos politiques – et de ce côté Macron est bien comme tous les autres -, si son projet de réforme des retraites devait s’avérer profondément impopulaire, ils trouveront toujours le moyen de dire qu’ils auraient bien aimé faire autrement mais vous comprenez, l’Europe ne nous donne pas le choix.

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