La rue : un territoire de contestation à obsolescence programmée ?

La rue n’est-elle pas devenue le lieu d’un désaccord ponctuel, un exutoire, que le pouvoir contesté tentera par tout moyen de faire taire ?

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La rue : un territoire de contestation à obsolescence programmée ?

Publié le 1 octobre 2018
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Par Yannick Chatelain.

Les contestataires et l’État : étape 1

Dans nos démocraties, sur le papier, dans un cadre légal, la population peut manifester contester, s’opposer, donner de la voix sur la voie publique… En face d’elle la mécanique d’État « démocratique » est bien rodée. Elle enclenche son action et tous les leviers à sa disposition pour « discréditer » les mouvements qui remettent en cause des décisions jugées – par une partie de la population – contraires à l’intérêt collectif. Les porteurs du projet contesté : secrétaire d’État, ministre, porte-parole… investissent les médias de masse pour faire ce qu’ils ont coutume d’appeler « de la pédagogie » – si tant est que la pédagogie ne deviennent pas propagande – l’État est dans son rôle.

« Si l’on est pas vigilant, les journaux font haïr les oppressés et aimer les oppresseurs ! » (Malcom X)

Les contestataires et l’État : étape 2

Lorsqu’un mouvement s’amplifie, dès lors que les contestataires investissent la rue en nombre, il n’est par rare d’entendre de tout en haut que « ce n’est pas la rue qui gouverne ». Piètre argument.

Dans les démocraties, l’espace public au sens strict – j’entends ici par espace public, les lieux où le peuple a la possibilité en principe d’exprimer son désaccord avec le pouvoir – est un espace dans lequel peut s’exprimer le droit à la résistance. Un droit à la résistance sous contrôle du pouvoir et réglementé.

Dans certains contextes, ce droit à la résistance est à la merci de toutes les manipulations que j’ai déjà pu évoquer. Il est aussi à la merci de tous les arbitraires au service de l’intimidation : arrestation arbitraire d’un leader, placement en garde à vue illégitime de manifestants, jusqu’à l’usage abusif et disproportionné de la force.

Dans son nouveau rapport annuel le défenseur des droits Jacques Toubon qui s’était inquiété dans son précédent rapport de l’augmentation des violences policières rappelle que :

« [l]es dispositifs de maintien de l’ordre doivent reposer, le plus souvent possible, sur la négociation, le dialogue et la pédagogie. Le Défenseur des droits a formulé plusieurs recommandations visant à apaiser la gestion du maintien de l’ordre en France. »

Il recommande en particulier :

  • de renforcer la formation initiale et continue des forces chargées de l’ordre public ;
  • d’interdire l’usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre, quelle que soit l’unité susceptible d’intervenir ;
  • de recentrer le maintien de l’ordre sur la mission de police administrative de prévention et d’encadrement de l’exercice de la liberté de manifester dans une approche d’apaisement et de protection des libertés individuelles ;
  • de renforcer la communication et le dialogue dans la gestion de l’ordre public, avant et pendant le déroulement des manifestations, afin notamment de rendre plus compréhensible l’action des forces de sécurité et de favoriser la concertation. (Article R. 434-18, emploi de la force)

Rappel pour le moins important !

La rue : un territoire de contestation symbolique mais obsolète ?

Je ne moque pas ici, ni ne moquerait jamais des espoirs fondés par les manifestants et manifestantes, pas plus que de leur courage à s’unir dans ce qui relève d’une forme de désespoir de l’impuissance. J’attire leur attention sur des combats perdus d’avance, parce que le trust dont parlait Locke est parfois mis à mal de façon très décomplexée.

La rue n’est-elle pas devenue – au mieux – le lieu d’un désaccord ponctuel, un exutoire, que le pouvoir contesté tentera par tout moyen de faire taire ? Son sort n’est-il pas scellé d’avance : mépris, palabres interminables sur promesses de Gascon ? Le pouvoir joue la montre. Les cris de protestation finissent bientôt par s’épuiser. En période de crise, dans de nombreux conflits, la population qui subit souvent les conséquences des actions de contestation dans son quotidien déjà difficile, aussi solidaire soit-elle, se désolidarisera par lassitude et épuisement…

Après un temps de compréhension, le fameux hymne « nous sommes pris en otage » (cf. les dernières grèves SNCF) ne tardera pas à être entonné… et sagement relayé ! Bien sûr, parfois le pouvoir recule – rarement – ! Sinon… rendez-vous à la prochaine !

Le temps n’est-il pas venu de changer de territoire de résistance ?

Contrairement à la rue, les territoires virtuels offrent, eux, une possibilité d’exercer un droit de résistance qui peut se soustraire à ces manipulations et manœuvres antédiluviennes, mais efficaces, du pouvoir. Un droit à la résistance et son expression qui peut être : durable, massif, visible ! Il devra à terme être intégré de façon équitable pour assurer un mode de fonctionnement démocratique contemporain en prise avec la nouvelle réalité de notre monde.

L’Hacktivisme s’intègre dans la vision qu’a Locke du Droit à la résistance du citoyen. Pour Locke « ce même droit de résistance dépend non pas seulement d’un « volontarisme juridique » – fondée sur la promesse des gouvernants et la confiance réciproque des gouvernés –, mais d’un ‘objectivisme juridique’ » qui désigne la manière dont certaines normes supérieures à la loi positive ou un contrat peuvent bénéficier d’une plus grande légitimité invitant à la résistance.

Trust : Le peuple donne aux gouvernants sa confiance. Le droit à la trahison n’est pas mentionné !

On notera que Locke (1632-1704) lorsqu’il aborde la notion de la relation que se devraient d’entretenir des gouvernants et des gouvernés, ne parle pas d’autorité, pas plus que de pouvoir. il insiste sur la notion de trust. Dans l’esprit de Locke, ce trust  signifie que le peuple donne à l’autorité qui prend en charge sa destinée, sa confiance, son consentement. Qu’il le mandate. Dans le mandat qui est confié, le droit à la trahison n’est nullement mentionné.

Il y a d’un côté les obligations du trustee, c’est-à-dire du gouvernement, et les droits du trustor, ceux du citoyen. La philosophie de Locke relève d’une forme de contrat d’association et vise à l’édification d’un État qui préserve avant toute chose les droits de l’individu.

Ce droit de résistance est donc un droit qui relève précisément de ce mode de pouvoir. Le droit de résistance est un droit que le trustor est parfaitement légitime à exercer, dès lors que le trustee se met à trahir le trust !

Dans le chapitre XIX de Traité du gouvernement civil, « De la dissolution du gouvernement » Locke (1690) trouve même un point d’accord avec la pensée de William Barclay (1546–1608) pourtant grand défenseur de la monarchie absolue, qui invoque lui aussi ce droit à la résistance !

Il rappelle également que le peuple peut prévenir le mal avant qu’il ne soit arrivé, tout comme l’hacktivisme peut prévenir le mal, avant qu’il n’arrive, tout comme il peut le révéler pour qu’il cesse et que la gouvernance du pays concerné fasse marche arrière. Locke citant William Barclay disait ceci :

« Le peuple peut prévenir le mal dont il est menacé avant qu’il soit arrivé ». En quoi il admet la résistance, quand la tyrannie n’est encore qu’intentionnelle. Dès qu’un Roi médite un tel dessein, et le poursuit sérieusement, il est censé abandonner toute considération et égard pour le bien public. De sorte que, selon lui, la simple négligence du bien public peut être considérée comme preuve d’un tel dessein, et au moins pour une cause suffisante de résistance ; il en donne la raison en disant, parce qu’il a voulu trahir ou violenter son peuple, dont il devait soigneusement maintenir la liberté. Ce qu’il ajoute, « sous le pouvoir, ou la domination d’une nation étrangère » ne signifie rien, le crime consistant dans la perte de cette liberté, dont la conservation lui était confiée, et non dans la destruction des personnes sous la domination desquelles il serait assujetti. Le droit du peuple est également envahi et sa liberté perdue, soit qu’il devienne esclave de ceux de leur propre nation, ou d’une étrangère, et en cela consiste l’injustice, contre laquelle seulement il a droit de se soulever ; et l’histoire de toutes les nations fournit des preuves que cette injustice ne consiste point dans le changement de nation ou de personne dans leur gouverneur, mais d’un changement dans la constitution du gouvernement.

Locke ne l’oublions pas est l’un des pères fondateurs du libéralisme politique, souvent vous retrouverez dans ses propos, au bout du bout d’une tentative d’accord entre gouvernants et gouvernés sa notion ‘d’appel au ciel’. »

Lorsque la confiance, le trust, est rompue, lorsque les gouvernants ne reconnaissent pas leur tort, lorsqu’ils ne reconnaissent pas leurs erreurs pas plus qu’ils ne reculent. « L’appel au ciel » qu’exprime Locke n’est pas un appel au divin, ni à un quelconque miracle. L’appel au ciel est le constat d’un contrat rompu, d’un peuple et d’une gouvernance dans l’impasse, le constat froid d’une haute trahison des gouvernants vis-à-vis du peuple, un peuple poussé dans ses derniers retranchements.

« L’appel au ciel » de Locke c’est que ce que tout gouvernement en responsabilité et responsable se devrait d’éviter ! « L’appel au ciel »… lorsque le droit de résistance ne peut se transformer qu’en droit de légitime défense, dès lors que la violence ne peut plus être arrêtée par les mots !

« Bien des gens placent leur grandeur à mépriser le peuple, c’est une grandeur bien mesquine ». Pierre-Jules Stahl

Sur le web-Article publié sous licence Creative Commons

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  • Le résultat est là même si on cache ce que pensent les Français : 90 % d’entr’eux ont un sentiment d’insécurité . Mais chut , comme dans toute « vraie  » démocratie il ne faut pas tout dire .

  • Au point où on en est, la vraie résistance aurait été une grève de l’impôt (injuste et mal utilisé). D’où les prélèvement à la source…

  • Les commentaires sont fermés.

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