Transformer l’Arabie saoudite : le pari risqué de Mohammed ben Salmane

L’ambition de l’homme fort du royaume vise à redresser son pays sur le plan économique et en faire un véritable leader régional.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Women drive in Saudi by Christopher Rose(CC BY-NC 2.0)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Transformer l’Arabie saoudite : le pari risqué de Mohammed ben Salmane

Publié le 30 septembre 2018
- A +

Par Sophie Cho.

« Nous ne ferons que retourner à un islam modéré, tolérant et ouvert sur le monde et toutes les autres religions. », affirmait le prince héritier Mohammed ben Salmane à l’occasion du Davos du désert organisé à Riyad en octobre 2017. Au-delà de la libéralisation sociétale, il semble que l’ambition de l’homme fort du royaume vise à redresser son pays sur le plan économique et en faire un véritable leader régional. Mohammed ben Salmane peut-il réussir son pari ?

Mohammed ben Salmane veut « détruire l’extrémisme »

Il faut rappeler que l’Arabie saoudite a longtemps été un pays modéré et que c’est la rébellion d’un groupe de 200 fondamentalistes islamistes qui prit le contrôle de la Grande Mosquée de La Mecque en 1979 qui poussa le royaume dans le conservatisme. Le trouble profite alors aux instances religieuses sur lesquelles le régime saoudien s’appuie pour renforcer sa maitrise du royaume. Les programmes scolaires sont alors dominés par un cursus wahhabite et la police religieuse est chargée de contrôler la non mixité dans les lieux publics.

Alors, lorsque Mohammed ben Salmane déclare au cours de ce même Davos du désert de 2017 : « 70 % de la population saoudienne a moins de 30 ans et, franchement, nous n’allons pas passer 30 ans de plus de notre vie à nous accommoder d’idées extrémistes et nous allons les détruire maintenant », la rupture symbolique est consommée avec près de 40 ans de politique ultra conservatrice.

En avril 2016 déjà, le prince supprime les pouvoirs de la Mouttawa, police des mœurs, qui ne peut plus poursuivre ou arrêter les infracteurs.

L’attaque politique contre l’islam radical prend une tournure internationale avec la constitution en décembre 2015 d’une coalition de 34 pays musulmans contre l’État islamique. L’Arabie saoudite, après s’être, dans un premier temps, montrée complaisante avec l’islam politique porté par DAESH, joue alors un rôle militaire régional en envoyant un signal fort à ses alliés occidentaux.

En février 2018, les femmes sont autorisées à créer et gérer leur propre entreprise sans l’autorisation d’un tuteur masculin, et elles sont désormais autorisées à accéder à des postes militaires. Ces réformes libérales s’accompagnent d’une ouverture à la culture occidentale à travers notamment l’apparition de cinémas jusque-là interdits et le développement d’un tourisme non-religieux en délivrant des visas de tourisme aux non-pèlerins se rendant sur les lieux saints.

Cette politique de libéralisation et d’ouverture du prince est d’ailleurs mal accueillie par Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa) qui dénonce, dans son bulletin de propagande Madad, des réformes sociétales constituant des « péchés ».

Mohammed ben Salmane mise sur la jeunesse

L’effondrement du prix du pétrole a, entre autres, induit de gros problèmes financiers en Arabie saoudite avec un budget 2018 en déficit et ce, pour la cinquième année consécutive.

À l’occasion de la première édition du Future Investment Initiative, surnommé le Davos du désert, en octobre 2017, Mohammed ben Salmane présentait le NEOM, une gigantesque zone de développement économique dédiée à des secteurs de pointe comme l’énergie, l’eau, la biotechnologie, l’alimentation, le numérique, les médias et les divertissements. L’objectif affiché était alors bien d’inscrire l’Arabie saoudite dans la « modernité » en tâchant de favoriser le secteur privé et de proposer un projet d’avenir pour la jeunesse du pays.

Cette ouverture est d’ailleurs manifeste lorsqu’à l’occasion de son discours de clôture, il déclarait : « Nous voulons vivre des vies normales où notre religion et nos traditions se traduisent en tolérance afin que nous puissions coexister avec le reste du monde et prendre part à son développement. […] Nous allons créer un environnement pour l’Occident qui sera transparent, sûr, stable et compréhensible. »

Le plan de réformes économiques et sociales « Vision 2030 » porte une promesse de rupture avec la dépendance de l’Arabie saoudite au pétrole, et celle d’une réduction importante du poids des religieux sur la société.

Exemple de cette lente libéralisation, les concerts, interdits depuis 30 ans, ont été réautorisés en 2016 donnant lieu notamment à un spectacle exceptionnel à Riyad le 9 mars 2018 des stars de la musique saoudienne, Rached al-Majed et Mohammed Abdou. Ce type d’événements est désormais encouragé par la toute nouvelle Autorité générale pour le divertissement créé en mai 2016.

Le pouvoir sait qu’il doit, pour réussir la transformation du pays, s’appuyer sur une jeune génération qui, comme les occidentaux, vit avec Twitter, Instagram et YouTube et se cherche des espaces de liberté dans une Arabie saoudite toujours conservatrice.

Faut-il être optimiste pour l’Arabie saoudite ?

Mohammed ben Salmane souhaite mettre en place un islam officiel, à l’instar du modèle égyptien, avec une institution religieuse soumise à l’autorité du roi, le légitimant comme chef de l’État.

Cependant, même si un vent de réforme a soufflé sur l’Arabie saoudite, plusieurs difficultés pourraient venir briser la dynamique impulsée par le prince.

La réduction du nombre de fonctionnaires est un changement majeur dans un pays où l’État emploie plus de 70 % de la population. La jeunesse suivra-t-elle le futur roi dans sa tentative de rééquilibrage économique devant permettre le développement de l’entreprenariat ? Rien n’est moins sûr si l’on considère le poids du chômage des jeunes (30 % en 2017) au regard d’une culture depuis longtemps tournée vers l’emploi public.

Dans le même temps, l’eau, l’électricité et l’essence ont fortement augmenté et une TVA a été instaurée en janvier 2018. Les équilibres historiques du royaume s’en trouvent ainsi bouleversés entrainant un vent de contestation, notamment sur les réseaux sociaux.

Le développement du secteur privé est vu comme une priorité mais nécessitera des centaines de milliards de dollars d’investissements, en particulier pour voir aboutir le projet phare du prince : le NEOM. L’Arabie saoudite a d’ailleurs dû, pour la première fois de son histoire, emprunter sur les marchés.

Enfin, si la médiatique purge de novembre 2017 menée par la commission anticorruption contre 200 dignitaires du régime a permis à Mohammed ben Salmane d’affirmer son pouvoir, de renflouer les caisses de l’État et d’envoyer un message fort de transparence, il ne faudrait pas que de telles actions coup de poing viennent fragiliser le pacte historique entre les Saoud et les autres tribus.

L’ambition du prince ben Salmane pourrait ainsi, face à l’urgence de la situation économique et la nécessité de mener tous les chantiers de transformation en même temps, se confronter à la double opposition des milieux les plus conservateurs, nostalgiques, et des jeunes séduits par la libéralisation des mœurs mais déçus de sa politique de l’emploi. La solution viendra peut-être de l’extérieur, si l’activisme du prince parvient à mobiliser les investissements étrangers et à attirer les talents dont le pays a besoin.

Voir les commentaires (11)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (11)
  • J’espère qu’il réussira et qu’il sera soutenu dans ses efforts.

  • J’ajoute: Jolie photo de ces jolies femmes, dont l’une ravie au volant, dans une voiture franchement très intéressante! bravo Mohammed ben Salmane! Si les écolos continuent à nous stigmatiser parce que nous aimons et utilisons des voitures, je vais réfléchir à m’installer en Arabie Saoudite!

  • « …l’Arabie séoudite a longtemps été un pays modéré et que c’est la rébellion d’un groupe de 200 fondamentalistes islamistes qui prit le contrôle de la Grande Mosquée de La Mecque en 1979 qui poussa le royaume dans le conservatisme. »

    Définir le sens de « modéré » est complexe. Par contre, faire remonter le « conservatisme » à un incident, même grave, de 1979 constitue une affirmation pour le moins surprenante : depuis au moins le 18e , sous l’influence de Ibn Abdoul Wahab et de ses « partenaires politiques », la Maison des Séoud, l’Arabie centrale (le Nejd, à l’origine) devenue officiellement le Royaume d’Arabie séoudite en 1932, a constamment pratiqué un Islam (le wahabisme) très rigoriste, s’en tenant globalement à une interprétation littérale du Coran, notamment après avoir rejeté des siècles d’exégèse, laquelle permit, même imparfaitement, une certaine adaptation de l’Islam à son époque dans certains pays.

    Cette assertion pour le moins hasardeuse fragilise le raisonnement de l’auteure : en effet, il ne s’agit pas de renouer avec une pratique « moderniste » de l’Islam qui aurait été (mais qui n’a jamais existé : qu’on me démontre le contraire) celle de l’Arabie séoudite avant 1979 ; il s’agit, pour la première fois dans ce pays, de tenter un aggiornamento de l’Islam afin qu’il soit quelque peu en phase avec le monde actuel : de ce fait, la tâche est bien plus complexe et risquée car il s’agit de s’attaquer à un ensemble de croyances, pratiques, coutumes, convictions, etc. qui sont profondément enracinées et interdépendantes dans la vie quotidienne et le subconscient des Séoudiens. Il suffit de penser aux gigantesques difficultés que rencontra le très grand Ataturk (maudit soit ce rat d’Erdogan qui détruit son oeuvre !) malgré son immense prestige au sein de la nation turque pour moderniser la Turquie, laquelle était mutatis mutandis quand même plus ouverte. Sans exagération, l’entreprise du prince Ben Salmane est sans précédent, périlleuse et indispensable à la fois.

    • L’alliance entre les Saoud et les Wahhabites ne remonte pas à 1979, méconnaissance du sujet, mais au XVIIIe siècle. Leur conquête du pays se fit dans un bain de sang.

      • @Virgile : j’ai écrit « … depuis au moins le 18e [j’aurais dû ajouter siècle], sous l’influence de Ibn Abdoul Wahab et de ses « partenaires politiques », la Maison des Séoud, … » ; ensuite, j’évoque la fondation officielle du royaume d’Arabie séoudite en 1932.
        Alors, où avez-vous vu que je faisais remonter l’alliance entre les Séoud [pas « Saoud » : graphie anglophone] et les Wahabites en 1979 ? En outre, après avoir mal lu mon texte, vous vous permettez d’ajouter avec mépris « méconnaissance du sujet ».
        Veuillez simplement prendre le temps de lire vraiment ce que les autres écrivent avant de les agresser sans motif.

        • Je n’agresse personne. Où donc avez vous vu une agression? Vous êtes parano? Je ne fais que préciser une erreur de l’article de Sophie Cho.

    • Merci Liger….Je n’aurais pas dit autre chose.
      Cette introduction m’a également fait bondir….dommage, car l’on de devient alors suspicieux pour le reste du document.
      C’est bien beau de faire de la lèche à MBS ( sans doute les intérêts professionnels de l’auteur n’y sont-ils pas étrangers), mais il faudrait voir à ne pas dire d’énormités!!
      Pour la pratique d’un Islam « moderne » – qui a certes existé au moyen âge et à la Renaissance, mais certainement pas dans le royaume des Saoud – j’attends avec impatiente l’avènement d’un clergé Mutazilite pour décider des orientations religieuses!

      • L’Islam moderne n’a jamais existé, c’est un mythe créé par les islamo-gauchistes. C’est une religion totalitaire et ségrégationniste.

        • Sans revenir sur la seconde partie de votre propos aussi arbitraire que péremptoire, vous ne serez pas sans remarquer que j’ai mis le mot « moderne » entre guillemets.

      • Je serai particulièrement curieux de voir si les généreuses contributions du royaume à l’expansion de l’islam rigoriste wahhabite vont se tarir. A défaut, on pourra considérer les belles promesses de MBS comme un magistral exemple de duplicité.

        • De part les circonstances de la création du pays, il est très difficile d’y gouverner sans l’appui du « clergé ».
          L’histoire ayant prouvé l’impossible mise en oeuvre de la rigueur wahhabite, les derniers dirigeants ont tenté – deux branlées reçues des Ottomans plus tard – de faire preuve de plus de pragmatisme en s’ouvrant davantage à l’extérieur.
          Mais la révolte de 1979 a également montré tous les risques d’une telle politique jugée apostatique par une partie du clergé.

          Aujourd’hui MBS se retrouve confronté au même dilemme. Entre le marteau et l’enclume, celui qui aspire à être davantage qu’une simple scorie de forgeron ne pourra pas sans risques abandonner la Muttawa…..Que ce soit parmi le clergé rejetant la bi’da et les interprétations des écoles juridiques tout en préconisant une interprétation personnelle validant les Hadith faibles ou parmi les élites, wahhabites par tradition, mécréants par intérêt, la duplicité est ainsi une sorte de modus vivandi dans ce royaume.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Par Lina Kennouche.

L’administration américaine tente depuis plusieurs semaines de convaincre l’Arabie saoudite et Israël d’établir des relations diplomatiques.

Washington avait pourtant, dernièrement, concentré ses efforts avant tout sur la compétition stratégique face à la Chine en Indo-Pacifique et la confrontation avec la Russie en Ukraine, au point de négliger quelque peu le Moyen-Orient. Or à présent, cette région occupe de nouveau l’agenda diplomatique.

Deux considérations géopolitiques président à la volonté améri... Poursuivre la lecture

Ce qui se passe aujourd'hui sur le plan sportif en Arabie, en général, et en Arabie Saoudite, plus particulièrement, doit retenir l'attention. Il est gros d'importants changements sociopolitiques futurs, même si leurs manifestations se limitent pour l'instant au plan sportif.

C'est que les transformations radicales sont comme la lave d'un volcan qui met du temps avant l'éruption spectaculaire. Longtemps, elles agissent en un silence apparent qui n'est pas moins déterminant dans les entrailles de ce qui ne serait qu'une centralité soute... Poursuivre la lecture

Par Jérémy Dieudonné et Elena Aoun.

Le 6 juin, Téhéran rouvrait son ambassade à Riyad, concrétisant un accord annoncé le 10 mars dernier sous la houlette de la Chine.

Sous les flashs des photographes réunis à Pékin, Téhéran et Riyad avaient alors signé une promesse d’échange d’ambassadeurs qui devait mettre fin à sept ans de rupture diplomatique et à plusieurs décennies de tensions.

S’il est incontestable que ce développement suggère une montée en puissance de la Chine au Moyen-Orient, il annonce aussi – et surtout – la m... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles