Sous-alimentation : le point de vue très partial du journal « Le Monde »

Le journal « Le Monde » présente une analyse peu objective des chiffres de la sous-alimentation dans le monde.

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Border Eth Kenya by Rod Waddington(CC BY-SA 2.0)

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Sous-alimentation : le point de vue très partial du journal « Le Monde »

Publié le 16 septembre 2018
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Par Benoît Rittaud.

Un rapport de la FAO permet au journal Le Monde de titrer aujourd’hui en une de son édition papier : « Le choc climatique aggrave la faim dans le monde ».

Il s’agit d’un pur exercice de propagande, bien aidé il est vrai par le rapport de la FAO lui-même dont le parti pris alarmiste n’a rien à envier à un résumé pour décideurs du GIEC.

Que voulez-vous : pour vendre du papier, faire parler de soi, il faut dire que tout va mal. Si en plus on peut faire porter le chapeau au climat, alors il serait bête de se priver. Le Monde n’étant pas réputé pour son esprit critique aiguisé sur les questions environnementales, on pouvait compter sur lui pour nous parler de ce rapport dont l’alarmisme croustillant est certes plus vendeur que l’élection de Richard Ferrand à la présidence de l’Assemblée nationale.

Le Monde nous explique donc que « l’insécurité alimentaire repart à la hausse »  avec pour « démonstration » une figure extraite des données de la FAO (je n’ai qu’une photo de la version papier à vous montrer) :

Quand on connaît les pratiques des journalistes chargés des pages « Environnement » des médias institutionnels, on sait d’emblée que ce genre de graphique n’est pas fait pour informer loyalement le lecteur d’une situation donnée mais pour le convaincre de quelque chose (qui se résume en général à : « tout va de mal en pis à cause de nous »). Sans même en être informé, n’importe qui ayant un minimum de culture scientifique aura remarqué ce qui ne va pas dans ce graphique : la sous-alimentation étant un problème qui ne date pas d’hier, il est fort douteux que les statistiques dont on dispose puissent ne remonter qu’à 2014.

Bingo, le rapport de la FAO cité par Le Monde donne en effet un graphique tout à fait différent page 3 :

Comme on le voit, partir de 2005 au lieu de 2014 offre une vision d’ensemble déjà plus nuancée.

On note par exemple que comme par hasard l’année 2014 choisie par Le Monde correspond au creux de la courbe du nombre de personnes sous-alimentées, ce qui rend la hausse subséquente la plus dramatique possible.

Ce second graphique montre surtout que les choses n’évoluent pas si mal car la hausse récente fait suite à une baisse qui a été bien plus marquée. Pour se convaincre qu’on ne va quand même pas complètement dans le sens du pire, inversons le sens de la courbe :

On imagine déjà les commentaires de Rémi Barroux dans Le Monde : « Malgré une légère baisse ponctuelle, le niveau reste dramatiquement supérieur à ce qu’il était il y a 12 ans »…

Entendons-nous bien : le graphique de la FAO montre bel et bien une hausse de la sous-alimentation depuis quelques années et il est clair qu’une telle évolution est dramatique pour ceux qui la subissent. Il ne saurait être question de minimiser l’ampleur du problème. Imaginer que près de 850 millions de personnes n’ont aujourd’hui pas de quoi se nourrir correctement est un drame qui doit occuper nos pensées et nous conduire à réfléchir et à agir du mieux que nous pouvons pour améliorer les choses.

La tristesse que nous ressentons tous à l’énoncé de ces chiffres et à ce qu’ils représentent concrètement pour tant de personnes ne doit toutefois pas nous empêcher de réfléchir. Or objectivement ce qui apparaît est surtout une baisse remarquable de la sous-alimentation depuis 12 ans, baisse que la hausse récente n’a heureusement pas fait disparaître. Il y a aujourd’hui 120 millions de personnes de moins à souffrir de sous-alimentation qu’en 2005 : au-delà de la légère hausse depuis 2014, le bilan récent est donc très largement positif (ce qui, redisons-le, ne doit pas nous inciter à relâcher nos efforts).

Circonstance atténuante pour Le Monde : la FAO elle-même titre sa figure 1 ci-dessus sur la hausse depuis 2014 et choisit elle aussi de mettre en évidence des données à partir de 2014 dans son rapport (voir notamment en page 8).

Je me demande dans quelle mesure il est considéré comme éthiquement acceptable par des statisticiens de se livrer à de telles présentations aussi évidemment biaisées, fût-ce pour la bonne cause. Car la FAO dispose d’une base de données accessible en un clic sur son site et qui produit une courbe pourtant bien plus significative :

Comme on le voit, les données remontent cette fois à 1999.

Autre différence : ces données sont, elles, lissées sur 3 ans, ce qui suggère fortement que les statisticiens sérieux de la FAO savent pertinemment que des variations ponctuelles d’une année sur l’autre ne sont pas significatives d’un renversement de tendance.

Ce dernier graphique montre aussi qu’une hausse comparable à celle de 2014-2017 a déjà été observée vers 2002-2004 sans que cela empêche la diminution drastique qui a suivi. Enfin, la forme de cette dernière courbe suggère que nous avons probablement affaire à une évolution de type logistique : quelque chose s’est passé dans les années 2000 (au hasard : l’essor de la Chine par la libéralisation de son économie et son intégration dans le marché mondial, qui a permis à des centaines de millions de personnes de sortir de la misère en seulement quelques années, rythme qui n’a peut-être jamais été vu dans l’histoire de l’humanité), produisant un bouleversement qui a désormais fini de produire ses grands effets. Une prolongation n’aurait pas été de refus, mais le réel est ce qu’il est.

Quoi qu’il en soit d’une analyse plus précise de cette courbe, celle-ci ne montre ni de près ni de loin une réaugmentation massive de la sous-alimentation, seulement que, comme souvent, un facteur d’amélioration d’une situation produit plus d’effets à ses débuts qu’à sa fin, une fois obtenu tout le jus de cette amélioration. (dans un autre registre, lorsqu’on se lance dans un plan d’économies, les premiers pas sont faciles à faire (on coupe dans le moins nécessaire), puis vient un moment où l’on entre dans le dur, ralentissant voire bloquant la belle tendance initiale.)

De ce que j’en ai lu, le rapport de la FAO a été écrit dans le but d’alarmer et non d’informer. Pour cela, il recourt à la même technique que le GIEC ou le fameux Rapport sur le climat en France au XXIe siècle que j’avais analysé en son temps : il insiste systématiquement sur ce qui va dans le « bon » sens (ici : le sens du pire), et passe sous silence le reste. Cas d’école en page 4, qui donne un tableau par région de la prévalence de la sous-alimentation dans le monde.

Voici la partie concernant l’Amérique latine et les Caraïbes :

Les nombres indiqués correspondent à des pourcentages. De gauche à droite, ces pourcentages correspondent respectivement aux données pour les années 2005, 2010, 2012, 2014, 2016, et enfin des prévisions pour 2017. Comme on le voit, la diminution est assez nette, à peu près partout.

Petit jeu : trouver les données de ce tableau les plus négatives possibles, celles qui permettent le mieux de dire que les choses vont de mal en pis, et en faire une phrase sur le thème « c’est pire qu’avant ». Réponse dans le rapport, toujours en page 4 :

Dans un contexte où le taux de sous-alimentation continue d’être relativement faible, la situation se dégrade néanmoins en Amérique du Sud, où la PoU est passée de 4,7 % en 2014 à 5 % en 2017.

(rappelons que la valeur de 2017 est une valeur projetée, mais on comprend que le rapport n’allait pas s’embarrasser de conditionnel : tout va mal, on vous dit.)

Arrivé ici, me voici confronté au même problème que l’autre jour lorsque j’ai commenté le million-et-unième appel lancé par des scientifiques pour sauver la planète du méchant climat : il me faudrait des heures pour faire un travail complet sur ce rapport et son résumé dans Le Monde, alors que la nuit est hélas bien avancée. Tout comme l’autre jour, je ne peux donc livrer à chaud qu’une analyse très partielle. Je n’ai même pas le temps de m’intéresser au volet « climat », qui est pourtant ce qui m’a mis la puce à l’oreille dans la Une du Monde.

Ce serait le travail d’un authentique « journal de référence » que de mener une analyse fouillée et de la publier dans la foulée du rapport (et non plusieurs semaines plus tard, lorsque l’actualité est passée à autre chose). Celle-ci pourrait être préparée sans problème en amont car il est habituel que les journalistes reçoivent ce genre de rapports plusieurs jours avant publication (on parle d’embargo : le journaliste peut lire le texte et préparer son article, mais ne peut pas le publier avant une date prédéfinie par le propriétaire du rapport).

Le problème est que sur les questions environnementales nous n’avons pas de journal de référence. Nous n’avons que des médias militants qui ont abandonné tout esprit critique, au profit de la mission d’éduquer les masses à penser comme il faut. À chacun de faire son possible pour s’y opposer.

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  • Merci Monsieur Rittaud.

  • Mon média de référence qui utilise la raison, la logique et la connaissance c’est Contrepoints.
    Le Monde c’est exactement l’inverse.

    • @ Aerosolkid
      Votre choix est personnel, donc subjectif, et Contrepoints, qui défend le libéralisme (variable à préciser) ne peut pas être purement objectif.
      On peut être libéral en sachant que tout le monde ne l’est pas, à tort ou à raison!

      • Bien sûr que si. Puisque c’est le constat qui définit la critique. Lorsque c’est à sens unique on peut déclarer un manque d’objectivité. Un article impartial doit présenter la thèse et l’antithèse. Tandis que le Monde ment carrément sur tout. Le climat, les OGM et pesticides, la faim et surtout le socialisme dont le Venezuela et Nicaragua démontrent une fois de plus l’ineptie et la criminalité!

  • Je pense que la gépolitique (conflits au Proche et Moyen-Orient, le Venezuela,…) explique mieux cette augmentation, bien plus crédible que le climat.

  • si on arrêtait le gâchis monstrueux de la nourriture , notamment dans les pays occidentaux , il y aurait largement de quoi nourrir tout le monde ; le climat n’ rien à voir avec les pénuries de nourriture ;

    • De quel gâchis parlez vous ?
      Et de toute maniere ces pays n’ont pas besoin de nourriture mais d’une structure politique stable permettant vivre de son travail, élever ou cultiver ,ils savent faire , ils n’ont besoin de personne . Mais pour atteindre notre niveau de vie il faudrait qu’on autorisé leur industrialisation….pas trop le genre de la maison occidentale !

    • Vous avez d’autres preuves sur le gâchis de nourriture que la récente « étude » parue dans les médias, dont en cherchant, on trouve qu’elle s’est effectuée sur… 20 ménages?

    • Tiens c’est vrai ça. Je vais faire don de mon tas de compost à l’ambassade du Vénézuela, ça fera avancer les choses :p

  • à part les bobos germanopratins qui lit encore le Monde?

  • Et le Monde compte sur le socialisme pour sortir ces gens de la faim? Alors que l’URSS n’a jamais réussi à assurer son alimentation, important des USA et du Canada? Les journalistes du Monde sont non seulement des menteurs et des tricheurs, mais des faibles d’esprit. La Pravda française!

  • Après, la population mondiale a augmenté depuis 2005, du coup en pourcentage absolu, la sous-nutrition a baissé.

    • @véra: Ou plutôt, elle a explosé. Il y a des pratiques culturelles qui dépassent la capacité de compréhension du JdR.

    • C’est une blague? À production alimentaire constante si la population augmente en pourcentage absolu, la sous-nutrition augmente aussi (il faut bien nourrir les nouveaux arrivants). À moins que ces personnes n’aient pas besoin de manger, vous avez un sérieux problème de logique. Le fait que la sous-nutrition diminue MALGRES le fait que la population augmente montre que les avancées technologiques dans le secteur agroalimentaire offrent une augmentation de production bien supérieure à l’augmentation de la population.

      • Dans les années 1950 la récolte de blé en France était de 10 quintaux à l’hectare, de nos jours elle est de 40. Les seules causes de la faim dans le monde sont l’ignorance, la dictature et la guerre!

  • « À chacun de faire son possible pour s’y opposer. » C’est ce que je fais, M. Rittaud, mais non sans mal!

  • C’est là, avec le Poids des Mots et le Choc des photos que commence la matraquage médiatique des Presses très souvent « People » ou « Bobo ». On s’apitoie sur de pauvres hères et le soir on continue la fête à Saint Germain ou à Pigale.!

  • Quelqu’un a-t-il mesuré l’impact des guerres sur la sous-alimentation dans le monde? On a l’impression que, non seulement le constat est biaisé, mais que la désignation de la cause est arbitraire…

  • Les journaleux du Monde sont un véritable trésor culturel français…

    Il est urgent de les mettre dans un musée. Juste à côté du dodo.

  • Le Monde? En tête de la presse de désinformation, peut être ex aequo avec France Info.

  • Ils ont peut-être généralisé la situation du Yémen ou de la Somalie au reste du monde…

  • Je ne suis pas certain que la présentation de la FAO ne soit pas pertinente.
    Après tout si le nombre de mal-nourris remonte depuis 2014, alors qu’il baissait continûment auparavant, c’est bien qu’il se passe quelque chose depuis 2014.

  • Je n’ai en tête que d’anciens chiffres à ce propos entre 1974 et 2014
    alors que la population mondiale avait cru de 77%, la FAO annonçait:
    Céréales : Croissance de 112%
    Fruits : Croissance de 250%
    Légumes : Croissance de 400%
    Oléagineux : 550% (!)

    La très forte croissance des oléagineux, n’est certainement pas liée à la croissance de la demande humaine, l’industrie, en particulier celle des agro-carburants subventionnés y est très probablement pour quelque chose (les biodiesels)…
    Il serait intéressant d’estimer les superficies agricoles auparavant utilisées pour nourrir les populations et qui sont aujourd’hui vouées aux agrocarburants dans leur « lutte contre le changement climatique »

  • L’idée d’un journal d’écologie que l’on pourrait baptiser « L’écologue » par opposition à l’idéologie écologiste est loin d’être une mauvaise idée.
    Un journal où l’humanité ne serait plus considérée comme le méchant face à la gentille biosphère, mais simplement comme une des espèces vivant en interaction avec d’autres, agissant certes, modifiant aussi les écosystèmes certes, mais dont l’activité n’est pas à priori néfaste. Bref, un journal abordant sans jugement préalable, l’impact des activités humaines sur le milieu (et réciproquement, bien sûr).
    Mais il faut trouver des passionnés qui ne veulent pas appartenir à une des nombreuses chapelles déjà existantes.

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