Faut-il supprimer les partis politiques ?

« Si on confiait au diable l’organisation de la vie publique, il ne pourrait rien imaginer de plus ingénieux » nous dit Simone Weil.

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Faut-il supprimer les partis politiques ?

Publié le 13 août 2018
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Par Johan Rivalland.

Dans ce court essai écrit en 1943, la philosophe Simone Weil s’intéresse aux partis politiques au sens européen, en excluant la réalité différente qui est, selon elle, celle des pays anglo-saxons :

L’idée de parti n’entrait pas dans la conception politique française de 1789, sinon comme mal à éviter. Mais il y eut le club des Jacobins. C’était d’abord seulement un lieu de libre discussion. Ce ne fut aucune espèce de mécanisme fatal qui le transforma. C’est uniquement la pression de la guerre et de la guillotine qui en fit un parti totalitaire.

Le poids des passions collectives

Or, selon elle, le mal des partis politiques saute aux yeux. Et donc, quel intérêt y-a-t-il à conserver quelque chose de mal ?

Elle commence donc par s’interroger sur les critères du bien (la vérité, la justice, l’utilité publique), avant de voir si la démocratie, en tant que pouvoir du plus grand nombre, peut y répondre.

En réalité, l’idéal républicain repose sur la notion d’intérêt général de Rousseau, dont l’idée est sujette à caution. Sans doute le philosophe avait-il sous-estimé le poids des passions collectives, qui peuvent mener à l’amplification des crimes.

Si 1789 et les cahiers de doléances avaient pu laisser entrevoir une véritable expression des préoccupations légitimes du peuple français, l’espoir démocratique ne fut que de courte durée et lui a rapidement largement échappé.

Dans ce que nous nommons de ce nom [la démocratie], jamais le peuple n’a le moyen ni l’occasion d’exprimer un avis sur aucun problème de la vie publique ; et tout ce qui échappe aux intérêts particuliers est livré aux passions collectives, lesquelles sont systématiquement, officiellement encouragées.

Que sont les partis politiques ?

Un parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective.

Un parti est une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres.

La première fin, et, en dernière analyse, l’unique fin de tout parti politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite.

Par ce triple caractère, tout parti est totalitaire en germe et en aspiration. S’il ne l’est pas en fait, c’est seulement parce que ceux qui l’entourent ne le sont pas moins que lui.

De fait, il règne une confusion permanente entre fins et moyens. Et seul le bien devrait constituer une fin. Pour cela, encore faudrait-il que les partis aient une réelle doctrine. Ce que l’on ne peut jamais réellement constater dans une collectivité. C’est pourquoi il est inévitable que le parti soit, en fait, sa propre fin. Et on sombre alors dans une forme d’idolâtrie.

Quelles en sont les conséquences ?

L’impuissance des partis au pouvoir est toujours attribuée, nous dit l’auteur, à l’insuffisance de pouvoir dont il dispose. Ce qui explique sa recherche, ou du moins son désir, de la puissance totale. Ce qui explique la priorité (consciente ou inconsciente) accordée à la recherche de sa croissance matérielle. Qui constitue alors, qu’on le veuille ou non, un critère du bien.

Il s’ensuit naturellement et inévitablement une pression collective du parti sur les pensées des hommes. De manière avouée. Et le principal instrument en devient la propagande, sans laquelle le parti disparaîtrait au bénéfice d’un autre, concurrent. Ce qui est incompatible avec la recherche de la vérité, qui n’est qu’une. Et donc du bien.

L’appartenance à un parti, par discipline collective, implique le mensonge. Le représentant d’un parti ne peut, de fait (ou si peu), se permettre de trahir les siens par la défense de ses pensées personnelles.

Il en découle que l’existence des partis, selon Simone Weil, est un mal.

C’est en désirant la vérité à vide et sans tenter d’en deviner d’avance le contenu qu’on reçoit la lumière. C’est là tout le mécanisme de l’attention. Il est impossible d’examiner les problèmes effroyablement complexes de la vie publique en étant attentif à la fois, d’une part à discerner la vérité, la justice, le bien public, d’autre part à conserver l’attitude qui convient à un membre de tel groupement. La faculté humaine d’attention n’est pas capable simultanément des deux soucis. En fait quiconque s’attache à l’un abandonne l’autre.

Ce qui en découle

Or, comme nous le savons tous, nul ne peut espérer intervenir efficacement dans les affaires publiques s’il n’entre pas dans un parti, puis n’en joue pas le jeu. C’est là que le bât blesse. Et c’est ce qui aboutit à ce que nombreuses soient les mesures contraires au bien public, à la justice et à la vérité à être exécutées.

C’est pourquoi Simone Weil rêve qu’en lieu et place des partis s’imposent des individus sans étiquette, plus libres de leurs propos.

Et, comme pour répondre par avance aux évidentes objections, elle ajoute :

On se dit : si c’était si simple, pourquoi est-ce que cela n’aurait pas été fait depuis longtemps ? Pourtant, généralement, les grandes choses sont faciles et simples. Celle-ci étendrait sa vertu d’assainissement bien au-delà de affaires publiques. Car l’esprit de parti en était arrivé à tout contaminer.

Et il est de fait que :

On en est arrivé à ne presque plus penser, dans aucun domaine, qu’en prenant position « pour » ou « contre » une opinion. Ensuite on cherche des arguments, selon le cas, soit pour, soit contre. C’est exactement la transposition de l’adhésion à un parti.

C’est ce qui définit la transposition de l’esprit totalitaire : ceux qui ont pris position pour une opinion ne consentent pas, la plupart du temps, à examiner quoi que ce soit qui lui soit contraire.

État d’esprit que l’on retrouve aussi bien en sciences, mais également dans l’art et la littérature. Des formes de militantisme qui s’étendent même au milieu scolaire, ajoute l’auteur, ou au lieu d’inciter à développer une réflexion, déjà à l’époque on demandait de développer des arguments pour ou contre (on sait qu’on en est loin maintenant).

En conclusion, Simone Weil justifie son sujet de la manière suivante :

Presque partout – et même souvent pour des problèmes purement techniques – l’opération de prendre parti, de prendre position pour ou contre, s’est substituée à l’obligation de penser. C’est là une lèpre qui a pris origine dans les milieux politiques, et s’est étendue, à travers tout le pays, presque à la totalité de la pensée.

Il est douteux qu’on puisse remédier à cette lèpre, qui nous tue, sans commencer par la suppression des partis politiques.

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  • Et voilà pourquoi il ne faut pas de parti libéral mais il faut torpiller les autres.
    Ce sont les électrons libres qui font passer le courant.

    • @ mc2
      Non! Le résultat libéral concret, en France, n’est pas convaincant!
      Entre autres, un parti libéral (tant qu’il y a des partis) permet d’abord de se compter mais même avant, il faudra un groupe d’initiateurs afin d’écrire une charte de valeurs et d’objectifs généraux à poursuivre suivant des principes de méthode.
      Cette « initiation » permettra déjà de démontrer qu’un parti nécessitera une discipline forcément contradictoire avec la liberté individuelle totale: l’entreprise n’est donc pas gagnée d’avance mais sans un parti parmi d’autres, aucun succès n’est possible en démocratie!
      Si même Ch.De Gaulle a créé son parti, c’est qu’il ne pouvait pas faire autrement et ça ne l’a pas empêché de passer au-dessus des élus partisans par ses referenda (?). (E. Macron a fait de même, referendum en moins)

  • J’adhère totalement à la réflexion que porte Simone Weil sur les partis politiques.
    A mes yeux, supprimer les partis aurait comme autre avantage de supprimer les financements et la politique spectacle.

  • pas besoin de les supprimer ,ils l’ont fait d’eux mêmes…cela ne veux plus rien dire Droite Gauche ils viennent de le démontrer au dernière élection. les collabos du 21ème siècle…

    • Et alors comment s’est construit le parti de Macron ? Car il existe celui-là et il s’est bâti sur l’imposture du « pas de parti, juste un mouvement ». On connaît la suite!

      • @ Mariah
        Ce n’est pas le nouvel arrivant qui peut changer les règles, habitudes et coutumes politiques d’un pays! Sa candidature et son élection furent déjà assez surprenantes!

      • @ Mariah
        En complément: non, E.Macron a joué très habilement et reste donc « irréprochable »: il a démissionné de son mouvement le jour de la création du parti: il est donc le président non inscrit de tous les Français!

        Depuis le Gaullisme et J.M.Le Pen, la droite n’est plus qu’une association provisoire de façade électorale, peu unie et cohérente hors période électorale! La Gauche est en déliquescence au P.S. et J.L.Mélenchon est clairement le récupérateur possible mais dangereux des socialistes!
        Donc, tous comptes faits, ce vaste centre LREM, avec toutes ses nuances, était sans doute la formule à trouver pour minimaliser les extrêmes D&G inutiles!

  • Evoquer la suppression des partis politiques et illustrer l’article par une photo de Wauquiez! Très amusant. Il est le meilleur défoliant sur son propre parti. Ne le changez surtout pas !!!!

  • Dans ‘Politeia’ (l’état), Platon a écrit en -375 :
     » Même la plus grande liberté ne peut empêcher l’individu et l’État de se transformer en esclave et oppresseur […] En fait, la tyrannie ne résulte d’aucune autre forme d’État que de la démocratie; de la liberté la plus entière naît la servitude la plus stricte et la plus sauvage.  »

    C’est particulièrement vrai pour les dictateurs du 20ème siècle…

    • @ Leipreachan
      Ça ne vous parait pas un brin anachronique que Platon ait parlé de la France de 2017 ou 2018?

      Plus rien n’est pareil Vous ne compareriez pas la « république » de Platon à la V ième du Général de Brigade Ch.De Gaulle, président d’une république dite démocratique à pouvoir exécutif favorisé!

      C’était un dictateur « soft » mais un dictateur-monarque!
      Platon aurait-il pu imaginer ce « mix » de pouvoirs? J’en doute!

  • Suppression des subventions publiques pour tous les partis qui ne doivent vivre que par les cotisations de leurs adhérents.

  • Ce ne sont pas les partis politiques qu’il faut supprimer mais l’oligarchie qui les finance comme elle finance les syndicats et les associations faux nez en se moquant de notre constitution et des citoyens contribuables

    • Mouais…

      Ces partis justement ne savent fonctionner qu’avec l’argent des autres.
      Ils trouveront l’argent dont ils ont besoin, quels que soient les moyens. Quels que soient les « financeurs ».

  • Pourquoi supprimer les partis politiques ? Gardons au moins cette liberté de nous associer.
    Par contre il est légitime d’arrêter de les subventionner avec l’argent de nos impôts. Pour ce qui est du relais médiatique et sélectif des médias publics, laissons faire le « marché » qui disqualifiera vite la propagande « dirigée ». Encore faut-il aussi que si média public il y a, celui-ci ne soit pas non plus subventionné, mais financé seulement par ses adeptes et la publicité.

    • @ Pierre MICHON
      Il est bien tard pour tout changer. On parle assez ici de la connivence entre politique et entreprises. Les partis travaillent-ils pour les électeurs ou pour les élus? Les entreprises donnent-elles à tous les partis avec candidats ou aux partis qui risquent de gagner et de faire la loi?
      Depuis longtemps, « les jeux sont fait et rien ne va plus »!

  • « Dans ce que nous nommons de ce nom [la démocratie], jamais le peuple n’a le moyen ni l’occasion d’exprimer un avis sur aucun problème de la vie publique ; »

    En même temps on se heurte à une réalité physique : nous sommes 67 millions de français.
    Si chacun d’entre nous devait s’exprimer à hauteur ne serait-ce que d’un seul mot d’une seconde, il faudrait plus de deux ans non stop pour finir.
    Meme si on ne garde que les adultes en age de voter, ça prendrait plus d’un an.

    Aucun humain n’est capable d’écouter ça.

    Du coup, ce qui marchait dans les antiques cités grecques ne fonctionne plus de nos jours à cause du nombre : le citoyen lambda ne peut pas s’exprimer – et être écouté – sur chacun des sujets.
    Il faut donc trouver d’autres systèmes.

    • Même adaptée à l’Europe entière, la démocratie directe suisse pourrait marcher, mais seulement après 2 siècles au moins de douloureux apprentissage, tant nos populations sont conditionnées…

      • @ Leipreachan
        Ce qui, en Suisse, pourrait marcher dans l’U.E., c’est la confédération/fédération (Et c’est bien vers cela que l’U.E. se dirige)!

        « Populations conditionnées »: vous parlez pour la France? Je n’ai pas du tout l’impression que mon pays (proche de la France, pourtant) me conditionne d’une façon ou d’une autre! Au contraire! Ce pays tente de trouver une solution pour que des étrangers puissent influer sur la politique nationale. Ben oui! Ils sont 49% de la population de résidents. Je comprends bien que ça vous surprenne, surtout sans xénophobie!

    • Nul besoin que chacun écoute les autres.

      Suffit que chacun puisse disposer de son pognon pour « voter » avec : j’apprécie une mesure : je la finance ; je trouve qu’une mesure est merdique : je la finance pas.

      • A une autre époque on aurait parlé de « vote » pour soutenir une mesure…

        Ceci dit, on a bien eu une époque ou le vote était lié au pognon : le suffrage censitaire.

  • « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. »

    Un parti qui ne respecte pas cette règle élémentaire de bon sens n’a pas de but, pas d’existence légitime. Si elle était réellement appliquée, il n’y aurait plus beaucoup de partis en France, et encore moins de programmes politiques.

    • @ Cavaignac
      Ne savez-vous pas (ou faites-vous semblant?) que le droit à la propriété est LE sujet qui divise gauche et droite?
      Qui dit droit à la propriété parle de l’individu ou de la collectivité, ce qui change tout, y compris la notion d’égalité donc aussi trouble public!

  • « Un parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective.

    Un parti est une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres.

    La première fin, et, en dernière analyse, l’unique fin de tout parti politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite.

    Par ce triple caractère, tout parti est totalitaire en germe et en aspiration. S’il ne l’est pas en fait, c’est seulement parce que ceux qui l’entourent ne le sont pas moins que lui. » …….si on change les mots parti politique par religion, ça fonctionne pareil…

  • Nul besoin de les supprimer.

    Suffit de fermer le robinet à pognon gratuit des autres (TM) qui les irriguent. Cela crèvera tout seul.

    Et qu’on fasse de même avec les syndicats.

    • Et ce fut le retour des caisses noires, traffics et autres…

      • Donc, on a des agissements illégaux. Plutôt que de renforcer les contrôles et les peines (par exemple : perpétuité réel pour les voleurs possédant des responsabilités politiques), les nigauds préfèrent légaliser le vol.

        Bravo. /

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