Montparnasse, ou le naufrage du capitalisme français de connivence

S’il y a bien une affaire d’État aujourd’hui, c’est l’incurie avec laquelle la SNCF et RTE exposent à des risques de paralysie l’une des principales gares d’Europe. (vidéo)

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Montparnasse, ou le naufrage du capitalisme français de connivence

Publié le 31 juillet 2018
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Par Eric Verhaeghe.

L’affaire Benalla a suscité une émotion d’autant plus vive que le quotidien qui l’a propulsée en Une avait intérêt à souffler sur les braises pour maintenir ses ventes. Mais que pèse-t-elle en réalité par rapport à ces voyageurs qui sont arrivés bredouilles, en gare Montparnasse, du fait d’un incendie dans un poste d’électricité, que personne ne peut réparer en moins d’une semaine ? Cette fois, Guillaume Pépy peut se féliciter d’une conjonction astrale favorable : sans l’affaire Benalla qui a épuisé les énergies et distrait l’attention des grands médias, il aurait passé un quart d’heure bien pire que celui qui lui a été réservé.

Des millions de Français à la merci d’un seul incendie localisé à Paris

Replaçons l’événement dans sa juste proportion. Un incendie dans un poste d’alimentation électrique prive plus de 15.000 foyers de banlieue d’électricité pendant plusieurs jours, et surtout torpille le fonctionnement de la gare Montparnasse un jour de grand départ. Ce sont des centaines de milliers de voyageurs qui ne peuvent pas partir. Ce sont des pans entiers de l’économie française qui souffrent une fois de plus.

Combien de Français ont-ils décidé, cet été, qu’il valait mieux partir en vacances ailleurs qu’en France, ou alors en prenant l’avion, ou la voiture, ou le car ? Tout cela pour un seul incendie localisé…

Un parfum d’insurrection qui vient…

Au passage, on notera qu’il s’agit du énième incident électrique de l’année à Montparnasse. Alors de deux choses l’une : soit cette gare est maudite, soit cette gare fait l’objet d’un discret mais efficace activisme destiné à la torpiller.

On relira, page 115 de « L’insurrection qui vient », cette phrase qui doit faire réfléchir :

Tout bloquer, voilà désormais le premier réflexe de tout ce qui se dresse contre l’ordre présent. Dans une économie délocalisée, où les entreprises fonctionnent à flux tendu, où la valeur dérive de la connexion au réseau, où les autoroutes sont des maillons de la chaîne de production dématérialisée qui va de sous-traitant en sous-traitant et de là à l’usine de montage, bloquer la production, c’est aussi bien bloquer la circulation

Les malheurs de la gare Montparnasse ressemblent quand même furieusement à cette prédiction à la Nostradamus.

Le défaussement ahurissant de la SNCF

Bref, la gare Montparnasse, paralysée plusieurs fois cette année (soit par les grèves, soit par des incidents techniques) est dépendante, pour son alimentation électrique, d’un seul poste, commun à l’alimentation de la banlieue sud-est. Il suffit que le poste brûle pour que la gare soit paralysée.

Supposons… C’est ce qui a permis à Guillaume Pépy, PDG de la SNCF, d’expliquer que son entreprise n’était pas responsable et qu’il demanderait une indemnisation à RTE. Ah, le doux son de cette phrase : « Je suis le patron, mais je ne suis pas responsable », qui évoque tout de suite l’anthologie des élites françaises, ressortie par Gérard Collomb à l’occasion de son audition parlementaire dans l’affaire Benalla.

Sauf qu’on aurait pu attendre de Guillaume Pépy qu’il mette en place une cartographie des risques dans son entreprise, et tout particulièrement une cartographie des risques majeurs d’approvisionnement électrique dans les plus grandes gares du pays. On aurait aussi pu imaginer que ces faiblesses d’approvisionnement soient anticipées, que des plans B soient prévus.

Manifestement, Guillaume Pépy considère que la maîtrise des risques et leur anticipation ne font pas partie du métier de PDG. Et personne au gouvernement ne semble décidé à le contredire sur ce point. C’est pourtant l’illustration d’un défaut majeur, et le terrible aveu du naufrage où nous emmène les nominations politiques à la tête des entreprises publiques : les PDG s’y occupent davantage de plaire au pouvoir que de faire leur vrai boulot.

Le naufrage de RTE, la « société anonyme » entièrement publique

On ne dira pas mieux de cette bête curieuse appelée RTE (Réseau de Transport d’Électricité), en charge des postes électriques en France. Manifestement, en pleine période de terrorisme, d’attentats, de menaces critiques en tout genre, les responsables de cette société anonyme n’ont pas jugé utile d’anticiper un événement majeur dans un poste d’alimentation d’une grande gare parisienne. C’est comme si ces gens étaient imperméables au monde dans lequel ils vivent.

Chouette, se diront certains ! ce qui pèche cette fois, c’est une société anonyme, née de la libéralisation du marché de l’électricité. Ah ! le bon temps d’EDF !

Sauf que RTE est une société détenue à 100% par les pouvoirs publics ou leurs succédanés. Une fois de plus, ces grandes sociétés publiques de réseau se montrent incapables de garantir une qualité de service, qui relève pourtant de leur mission d’intérêt général. Servir le public n’est manifestement pas la préoccupation de ceux qui en ont la charge.

Un nouveau naufrage du capitalisme français de connivence

Que retenir de cette désastreuse affaire ? Sinon que la France n’a pas saisi l’opportunité de la libéralisation des grands réseaux publics pour en moderniser le pilotage.

On a facialement privatisé par la création d’entités comme RTE. En réalité, il s’agit de fétus de paille qui dissimulent la permanence des anciennes structures monopolistiques. Celles-ci continuent à être gouvernées selon les valeurs d’avant : la production avant tout, la complaisance vis-à-vis du pouvoir, et le service au public s’il reste un peu de temps pour s’en occuper.

Ce capitalisme français de connivence, où les nominations sont opérées par le pouvoir pour maintenir le contrôle gouvernemental sur des pans entiers de l’économie, montrent jour après jour leurs limites. Tant que le monde était organisé selon les principes de vie de ces élites, le système était supportable. Dans un monde numérisé, digitalisé, hyper-informé, ces vieilles élites sclérosées, rigides, opaques, sont complètement dépassées.

Il est temps de mettre un terme à l’impunité dont tous ses gens se prémunissent pour conserver leur gamelle contre vents et marées. Car pendant ce temps, les Français trinquent.

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  • quand on entend le PDG de la SNCF ,lors des grèves qu’il faut réinventer là SNCF ,cela va faire 10 ans à la tête de là SNCF…
    Privatision la SNCF et ne plus donner de SUDVENTION,ETAT ,REGIONS et DEPARTEMENTS…allons au bout des choses !!!
    c’est comme interdire les voitures thermique pour cause de pollution …mais par contre prendre le métro alors que la pollution est multiplié par X ( ??) Bizarre comme solution!!!

    • Ha mais si ! il a réinventé la SNCF : le site Web s’appelle OUI, et les TGV des OUIOUIGOGOS … Le marketing bling bling, il n’y a que ca de vrai pour faire rouler des trains 🙂

  • Dans le monde du numérique les concepteurs de centres de données savent bien qu’il faut (au moins) deux fournisseurs distincts d’électricité et deux raccordements indépendants pour assurer la continuité de service. Visiblement la SNCF n’a pas ce réflexe…

  • Un accident…sûrement prévisible….ou pas .
    C’est la faute à pas de chance ,départ en vacances plus canicule égal sur consommation électrique…ajouter à cela le renouvelable ,les totos électriques et l’affluence touristique conjuguée a des grèves SNCF…..

  • le matériel cela s’entretien… mais c’est gens là
    réfléchir,anticiper ce n’est pas dans leur vocabulaire…

  • Les CFF en Suisse possèdent leur propre réseau de distribution et de production. Ils sont responsables de A à Z. Pas comme en France… Cela semble fonctionner puisque l’on y observe pas le chaos français.

    • Andreas Meyer, directeur général des CFF, a commencé par faire les lits dans les wagons-couchettes, puis a fait l’INSEAD. Pépy a préféré défaire les lits avec le directeur de Sciences-Po Richard Descoings et faire l’ENA. Ca n’est pas un jugement porté sur les hommes en eux-mêmes, mais sur ceux qui ne voient pas les différences de compétences que cela révèle.

      • En tant que libéral, je ne pense pas que la vie privée et les supposés goûts particuliers de Pépy nous regardent, mais en tant que client de la SNCF et de RTE, je m’interroge sur le processus de nomination des patrons (Pépy et Brottes) manifestement peu qualifiés pour une tâche aussi techniquement ardue (sécurité et disponibilité des réseaux concernés).
        C’est à croire que les décideurs (désormais énarques comme il se doit) ont un tel complexe vis à vis des ingénieurs qu’ils veulent les rendre invisibles.
        L’ascension de l’incompétence depuis un demi-siècle commence à nous coûter très cher.

        • Exactement. Quand on a en France une grande école que le monde nous envie, l’INSEAD, comment se fait-il que tous nos grands directeurs publics soient passés par une autre, l’ENA, que personne ne nous envie ?

  • Toute grande entreprise digne de ce nom se doit d’avoir ce que l’on appelle un « Risk Manager » chargé d’identifier les risques de toutes natures (Juridique, technologique, financier …) , d’en analyser les conséquences et de proposer des réponses appropriées.
    On observe dans le cas de la SNCF que l’on se situe au niveau d’un l’amateurisme incroyable qui montre que son organisation et son fonctionnement doivent être sérieusement revus.

  • Un endroit ou les plombs sautent et il faut des plombes pour réparer ? c’est pas possible autrement, la SNCF s’evertue à essayer de faire de La Grève une réalité tangible ….

  • La panne de Montparnasse est le résultat prévu et organisé patiemment par notre amie l’Europe. avec notre consentement suicidaire. Il fallait détruire coute que coute l’hégémonie mondiale d’EDF, seule entreprise publique France en très bonne santé.

    • L’Europe n’a rien à voir avec la gestion des risques. Sinon, regardez l’impressionnant CV du Président du fournisseur d’énergie de la SNCF, RTE, François Brottes. Il n’est là que grâce à son parcours politique. Celafotaleurop sans doute?

      • Il ne faut surtout pas oublier en plus que François Brottes a tenté de nous imposer des tarifs progressif du kWh en les multipliant par 2 ou 3 en fonction du dépassement de certains seuils et au tarif maximum pour les résidences secondaires. Le genre d’idéologues qui se prennent pour l’élite et qui ne sont que des parasites de notre société.

    • @tabourin
      Bonsoir,
       » Il fallait détruire coute que coute l’hégémonie mondiale d’EDF, seule entreprise publique France en très bonne santé. »
      … E.D.F seule entreprise France en très bonne santé… Si vous considérez qu’avoir une ardoise de 40 milliards et quelques d’euro est être en très bonne santé, c’est que la vôtre n’est pas au top.
      La S.N.C.F et E.D.F cumulent à elles deux près de 100 milliards d’euro de dettes, renflouées par les contribuables, qui paient donc leurs services deux fois.

  • revoir le rapport SPINETTA le fameux..qui lui quand il était PDG D’AIR FRANCE a refusé pour AIR FRANCE de faire du LOW-COAT et donner comme réponse que cela n’avait pas d’avenir !!! il a l’air malin !!!

  • « Il est temps de mettre un terme à l’impunité dont tous ses gens se prémunissent pour conserver leur gamelle contre vents et marées. Car pendant ce temps, les Français trinquent. »

    Ne serait-il pas important de commencer par mettre fin au charabia durable des entreprises publiques fonctionnant exclusivement avec de l’argent privé (le notre).
    Prenons la SNCF, société que certains prétendent être un service public :

    Avec la confiscation qui est opérée sur notre propriété, nous payons :
    – Les titres de transports du personnel SNCF
    – Les titres de transports de la famille proche du personnel SNCF
    – Les titres de transports de ceux qui bénéficient de passe-droits
    – Les titres de transports des fraudeurs
    – Le manque à gagner des tarifs réduits, tous les tarifs réduits
    – Le coût des grèves
    – Les retraites du personnel SNCF
    – Les déficits de la SNCF

    Au regard de ceci je ne veux plus que la SNCF me rende service !
    Et ne m’appeler plus usager !

    Lorsque je rends service à une personne, je ne lui fais pas parvenir ma facture pour couvrir mon train de vie et je ne l’insulte pas en l’appelant usager.

  • ambiance « La Gèvre » d’Ayn Rand ?

  • La république des copains (et des coquins).

  • L’irresponsabilité totale affichée en dogme absolue par les serviteurs de l’état est la pire attitude qu’on puisse imaginer, elle est intolérable et pour le moins anti-républicaine.

    • @zelectron
      Bonsoir,
      Comment pourraient-ils etre/devenir responsables de quoique ce soit, quand leur boîte dans le rouge abyssal est perfusée par l’argent public et que leur grand patron, malgré des résultats à ch#@r, partira avec un bon petit pactole. Une boîte, normale, privée, avec 54,5Mds€ de dettes, ferme biiiiiiiiiiiien avant d’atteindre ce seuil. Quant au patron, il en est de sa poche et de ses frais.
      La S.N.C.F n’a qu’un seul et unique actionnaire : l’Agence des Participations de l’Etat. Apparemment, la S.N.C.F n’a pas de capital. Il n’est pas mentionné en petits caractères en bas de la page web. La société communique sur son « statut juridique » mais ne dévoile pas le montant de son capital. Même les banques dévoilent leurs capitaux.
      Je l’ai trouvé, dans un article du Monde et de ses décodeurs pour expliquer la dette de la S.N.C.F qu’ils notent à 54,5Mds€ : le montant du capital initail d’après eux est de : 9;8 milliards€. (https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/03/19/cinq-questions-sur-la-dette-de-la-sncf_5273270_4355770.html). J’ai lu sur un site boursier, que les valeurs avaient été radiées (https://www.boursier.com/actions/cours/sncf-participations-FR0000032682,FR.html) Sur un autre, il ne mentionnait aucun chiffre. C’est curieux.
      EDF est détenue à 83% par l’Etat. EDF a émis plus de 3 milliards d’actions, à 12,79€ ce jour. EDF a donc un capital d’environ 36Mds d’Euro, qui ne couvre pas ses dettes.

  • toute entreprise d’État est dirigé par des enarques en majorité, citer moi une entreprise qui est florissante ??? AIR FRANCE..AREVA ..EDF..SNCF…ect ..ect …et quand une entreprise d’État qui doit est rentable …voir les AUTOROUTES il la donne …
    voilà bien un exemple que ces gens de L’ENA sont inutiles !!!!

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