Virginie Calmels limogée : le triomphe de la ligne Buisson

La ligne identitaire sur laquelle Laurent Wauquiez et son entourage se positionnent s’accompagne d’une rhétorique hostile au capitalisme, qui n’est que la traduction économique de l’égoïsme qui mine la cohésion du corps social.

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Virginie Calmels limogée : le triomphe de la ligne Buisson

Publié le 26 juin 2018
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Par Ferghane Azihari.

Les intellectuels français attribuent généralement à Jean-Claude Michéa la thèse selon laquelle toute tentative de scinder la tradition libérale en un versant économique indépendant de sa dimension politique et culturelle est vouée à l’échec.

Patrick Buisson cite lui-même l’auteur de L’Empire du moindre mal et de La Double Pensée dans son ouvrage La Cause du peuple pour justifier l’impossibilité de réconcilier la droite dite orléaniste – prétendument inspirée par l’individualisme – et la droite légitimiste adepte d’un traditionalisme plus autoritaire.

 

Conservatisme autoritaire et droite tocquevilienne : l’impossible synthèse

Mais l’unité du corpus doctrinal libéral n’est en réalité pas une thèse récente.

De Benjamin Constant qui proclamait défendre la liberté « en tout » à Milton Friedman qui faisait valoir l’impossibilité de délimiter rigoureusement la sphère économique de la sphère civile et sociale, nombre de penseurs libéraux ont fait valoir « l’unité et l’indivisibilité » de la liberté, pour reprendre une expression chère à la vie politique française.

C’est pourquoi, à défaut de s’affilier à un conservatisme ouvert à l’autonomie des individus à la manière d’un Edmund Burke, la droite ne pouvait qu’échouer à faire durer l’alliance de façade entre Virginie Calmels et Laurent Wauquiez. Le libéralisme, même hémiplégique, dont se réclame la première adjointe à la Mairie du Bordeaux était nécessairement voué à succomber au contact de la ligne du président des Républicains. Laurent Wauquiez est en effet soumis à une pression intellectuelle qui l’intime à réaliser la synthèse entre la démocratie illibérale et l’autoritarisme identitaire en vigueur dans de nombreux pays européens. Ce que certains commentateurs appellent « la ligne Buisson ».

 

Organicisme et anticapitalisme de droite

Or cette ligne ne peut pas être envisagée comme une simple nuance soluble avec n’importe quel courant de pensée. Elle est en fait le sous-produit d’une grille de lecture beaucoup plus ambitieuse qui puise ses racines dans une vision du monde et de l’homme radicalement incompatible avec la société ouverte de Karl Popper, dont se réclament généralement les partisans de la démocratie libérale. Cette vision, inspirée de penseurs hostiles aux acquis de la modernité bourgeoise, de Louis Bonald à Charles Maurras en passant par Joseph de Maistre, fait la part belle à une conception immanente des collectivités humaines. Elle se heurte de front à une vision contractuelle et polycentrique de la société.

Dans ce paradigme, l’individu est dépossédé de son autonomie et n’est plus qu’une simple cellule faisant partie d’une société organique qui s’appréhenderait comme un tout, et dont on fantasme l’unité et l’uniformité des intérêts. La libre expression des ambitions et des désirs personnels est perçue comme un vice qui déstructure ces communautés prétendument naturelles.

Dès lors il n’est pas étonnant que la ligne identitaire sur laquelle Laurent Wauquiez et son entourage se positionnent s’accompagne d’une rhétorique hostile au capitalisme, qui n’est après tout que la traduction économique de l’égoïsme qui mine la cohésion du corps social. La confusion du vocabulaire d’un Guillaume Peltier avec celui de Mélenchon n’est à ce titre pas très surprenante, contrairement à ce que sous-entend Virginie Calmels dans son entretien pour Le Parisien.

 

La sociologie électorale de Patrick Buisson

Comme Virginie Calmels l’a récemment rappelé sur le plateau de Ruth Elkrief, la ligne Buisson consiste notamment à éradiquer toute trace de libéralisme à droite, en admettant que celle-ci ait déjà fait place à ce courant de pensée parmi ses rangs. L’ex-conseiller politique de Nicolas Sarkozy ajoute à ce programme idéologique la nécessité de redéfinir un clivage électoral au service de son programme conservateur et autoritaire. Il se propose ainsi d’opposer une bourgeoisie urbaine cosmopolite et mondialisée à une France « périphérique », rurale, conservatrice et protectionniste. La droite est appelée à renouer avec l’antagonisme politique et une certaine vision de la lutte des classes.

En admettant l’intérêt de cet antagonisme sur le plan sociologique, un paradoxe demeure. La ligne Buisson, qui plaide le renforcement de la figure de l’État-nation unitaire et conservateur, admet en même temps le caractère irréconciliable, « non miscible » des intérêts de certaines franges de la population « nationale » : l’électorat des grandes villes et les classes populaires. Patrick Buisson admet donc que la défense de l’État-nation ne peut constituer le plus petit dénominateur électoral commun à tous les citoyens de France.

Ce constat évoque l’épisode du Brexit qui avait donné lieu à une pétition pour protester contre le résultat du référendum de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne en proposant la sécession de Londres, afin que la capitale cosmopolite puisse rester membre des institutions bruxelloises et à l’écart d’un Royaume-Uni « fermé ». Ou encore la pétition qui proposait la sécession de la Californie progressiste à la suite de l’élection de Donald Trump.

Certes, ces démarches sont peu crédibles en raison de leur caractère parodique. Mais elles demeurent intéressantes sur le plan symbolique. Après tout, pourquoi la nation enracinée devrait s’imposer à toute une population comme le principal référent politique si une certaine frange de celle-ci ne s’y reconnait pas ? Pourquoi ne pas permettre à ceux qui le souhaitent d’adhérer à d’autres référents politiques et identitaires en cultivant des critères de sociabilité alternatifs à la nation ? Si la ligne Buisson se révèle pertinente pour comprendre les clivages de la société française, alors on peine à comprendre en quoi cette analyse ne devrait pas, in fine, déboucher sur la sécession des métropoles.

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  • Le jour où la France aura l’honnêteté de reconnaître la scission de fait entre l’électorat des grandes villes et celui de la France rurale elle commencera à voir le bout du tunnel . D’autant que les postes de décision sont quasiment toujours détenus par des citadins et autres grands bourgeois .

    • Heu, la France « rurale » c’est combien de divisions ? La plupart des Français ne sont-ils pas des urbains ?

      Plus sérieusement, je crains que le problème de la droite soit que seul P. Buisson y possède une colonne vertébrale idéologique un tant soit peu solide, quoiqu’on contestable. Pour les autres il s’agit juste d’un salmigondis de calembredaines vaguement empruntées à la gauche (qui elle a tout un corpus de pensée structuré) et surtout un pragmatisme qui peine à masquer le seul élément qui fasse encore bouger les zombies de l’UMP : l’appétit de pouvoir.

      • +1

        La droite française ne vaut rien.

        10 % en 2022.

      • en effet.

        la droite française actuelle a 2 grands problèmes :
        elle est totalement à la rue économiquement, refusant fièrement le libéralisme alors que c’est à elle de l’incarner.
        elle se recroqueville sur l’identité et les valeurs de la famille dans un conservatisme assez étriqué, faisant fuir tout un tas de gens.

        • Wauquiez est loin d etre un abruti. S il incarne actuellement une ligne auquel il ne croit pas une seconde (il a commence comme pro europeen) c est qu il pense que son avenir politique passe par la.
          l espace liberal pur en France c est 5 % (score de Madelin aux presidentielles)

          la discours plus ou moins liberal et europeen, c est Macron. Les LR sont inaudible dans ce registre. Que reste t il a Wauquiez ? l illiberalisme comme AfD en RFA ou la ligue en Italie
          Apres il doit esperer qu aux prochaines presidentielles, Le Pen soit suffisament affaiblie pour arriver second derriere Macron et etre elu via un rejet de celui ci et un coup de chance (genre un refugie afghan (officiellement mineur mais aillant en fait 30 nas) violant et tuant une etudiante comme ce qui c est passe en RFA).
          Plan qui evidement est tres hypothetique. Surtout si la candidate du FN est Marion au lieu de Marine …

          • Si Wauquiez incarne une ligne auquel il ne croit pas une seul seconde, cela le qualifie immédiatement à mes yeux comme un abruti avide de pouvoirs. Le rôle d un homme qui se préoccupe de politique n’est il pas au minimum d incarner ses idées ?
            Je ne suis pas homme politique et j ai le courage d incarner à chaque instant les idées auxquelles je crois, ce qui ne me rend pas forcément plus populaire, mais ce n est pas le but.
            Ce n est pas un honnête homme ce monsieur.

      • @ Synge
        Mais comme on l’a vu P.Buisson semble avoir influencé plusieurs haut politiciens, mais sans se compromettre, en éminence grise, plutôt discrète!

  • « Pourquoi ne pas permettre à ceux qui le souhaitent d’adhérer à d’autres référents politiques et identitaires »

    Ils sont tout à fait libres de le faire, tant qu’ils n’empiètent pas sur la liberté d’autrui, notamment la propriété privée et l’espace de vie. Or, on voit bien que les multiples revendications, toutes plus farfelues les unes que les autres, s’accompagnent systématiquement d’une demande de parasitisme auprès d’ Etats obèses complaisants afin de corriger les multiples effets indésirables de choix prétendument libres, avec une exigence de soumission de la majorité pour nourrir les fantasmes de quelques-uns.

    Etre capable de s’assumer soi-même, c’est le gouffre qui séparera à jamais un libéral et un libertaire, pseudo libéral, vrai collectiviste.

    La sécession des métropoles est une revendication infantile. Les métropoles feraient bien de s’inquiéter plutôt de la sécession des régions qu’elles dominent pour quelque temps encore mais en ayant perdu toute légitimité, alors qu’elles dépendent entièrement de ces régions pour survivre.

  • Sur le plan purement economique, la secession de paris (ou de londres) fait sens. Vous aurez une espece de singapour tres riche qui n aurait plus a payer pour les pauvres (par ex en entretenant la correze)

    La ou ca coince c est que l homme n est pas uniquement economique et que la plupart des parisiens (ou londoniens) se considerent comme francais (et donc sont pret a payer pour que la correze ne soit pas au niveau de l afrique)

    Mais je reconnais que le sentiment
    d appartenance a une nation a tendance a de deliter (etre francais en 1970 signifiait bien plus qu en 2018) et qu il est possible qu a terme ceci explose

    PS: il est evident qu en cas de secessions Paris ne sera pas aussi riche car
    – toute l administration qui est a paris ira ailleurs et sera remplace par pas grand chose
    – certaines societes quitteront aussi paris comme certaines quittent la GB suite au brexit
    – si le divorce France/paris se passe mal, on peut meme voir une guerre civile ou simplement le reste de la France fermant les yeux quand des gangs du 93 feront des razzias sur le riche XVI

    • « Vous aurez une espece de singapour tres riche qui n aurait plus a payer pour les pauvres (par ex en entretenant la correze) »

      La réalité est l’inverse de cette description : ce sont les régions qui payent pour Paris, notamment à travers les implantations de sièges sociaux aspirant les forces vives des régions, ou par le biais des impôts qui financent des administrations totalement centrées sur la capitale. Le projet hypertrophié de Grand Paris par exemple, c’est toute la France qui paye à fonds perdus.

      Les transferts en retour vers la Corrèze ou ailleurs, ce sont des miettes par rapport aux transferts globaux provenant de tout le pays qui alimentent la capitale en flux continus.

  • Les commentaires sont fermés.

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