Société : faut-il mettre le mérite au dessus de tout ?

Des voix soulignent que les démarches méritocratiques ne débouchent pas sur un accroissement de la mobilité sociale à long terme.

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Société : faut-il mettre le mérite au dessus de tout ?

Publié le 30 mai 2018
- A +

Par Cécile Philippe.
Un article de l’Institut économique Molinari

La méritocratie fait partie de ces notions que l’on utilise à tout bout de champ, donnant ainsi l’impression que l’on sait tous de quoi on parle. Mais dès qu’on essaie de la définir, ses contours deviennent flous. En effet, qu’est-ce que la méritocratie ? À quoi sert-elle ? Pourquoi suscite-t-elle des débats passionnés entre ceux qui la fustigent et ceux qui l’adulent ?

La méritocratie est un moyen d’organiser la société et, plus précisément, d’objectiver la distribution du pouvoir entre ses membres. Dans un tel système, le pouvoir est accordé aux plus méritants. À la différence des systèmes aristocratiques ou de castes, qui attribuent du pouvoir aux individus en fonction de leur naissance, la méritocratie propose de rebattre indéfiniment les cartes en fonction du mérite. Il s’agit de récompenser particulièrement l’intelligence, le travail, l’effort.

L’introduction de ces critères de sélection est supposée promouvoir une certaine forme de justice sociale, en remédiant à l’absence de mobilité sociale des systèmes fondés sur d’autres critères. Récompenser le mérite, c’est faciliter l’ascension sociale de la personne issue d’un milieu défavorisé. C’est aussi fournir une alternative à l’accaparement des positions les plus élevées par des personnes riches, paresseuses ou moins brillantes. C’est en tout cas le but d’un système méritocratique.

La question de la mobilité sociale

Mais la réalité n’est pas aussi simple. Des voix soulignent que les démarches méritocratiques ne débouchent pas sur un accroissement de la mobilité sociale à long terme. Dans son essai de 1957 Michael Young – qui a forgé le terme – décrit comment un tel système peut au final favoriser l’émergence d’une élite fortement consciente de son propre talent et donc arrogante (The Rise of The Meritocracy, L’ascension de la méritocratie). Dans ce roman fiction, il décrit comment cela suscite désolation, envie et révolte chez les déclassés et autres laissés pour compte qui n’auront d’autres choix que de se révolter. Prémonitoire ?

Nombreux sont ceux ayant fait le parallèle entre ce livre et l’élection de Donald Trump. Cette dernière serait au moins en partie le marqueur de l’échec du système méritocratique. Dans son roman autobiographique Hillbilly Elegy, J.D. Vance considère qu’aux yeux des classes populaires l’ancien président américain était

un extraterrestre pour des raisons qui n’ont rien à voir avec sa couleur de peau. Il ne faut pas oublier qu’aucun de mes camarades de lycée n’est allé dans une grande université. Barack Obama en a fréquenté deux, dans lesquelles il a brillé. Il est riche, intelligent et il s’exprime comme un professeur de droit constitutionnel […] Le président Obama a fait ses débuts en politique au moment où beaucoup de gens, dans ma communauté, commençaient à croire que, dans l’Amérique moderne, la méritocratie n’avait pas été forgée pour eux.

L’échec de la candidature d’Hillary Clinton est, d’une certaine façon, l’échec d’une élite cognitive construite au sein d’un système éducatif élitiste conçu pour mettre en valeur les personnes intelligentes et consciencieuses. L’élection de Donald Trump comme 45ème président des États-Unis semble dire qu’il existe d’autres critères de mérite qu’un QI dépassant les normes.

Au final, il est difficile de favoriser l’égalité des chances puisqu’un système méritocratique – en éliminant les différences fondées sur l’origine, le sexe, la couleur de peau – en exacerbe d’autres comme le niveau d’intelligence. Nos sociétés actuelles n’ont de cesse, à raison, de vouloir éliminer les discriminations fondées sur la couleur de peau, la race ou le milieu social. Elles œuvrent en fait dans le sens de la méritocratie. C’est le paradoxe souligné par le biologiste Matt Ridley dans son livre Nurture via Nature et plus récemment dans un article publié dans le Times. Il observe que plus une société s’efforce de devenir égalitaire, plus elle donne de l’importance à l’intelligence.

Le rôle de l’intelligence

Or, on sait aujourd’hui le caractère fortement héritable et donc déconnecté du mérite au sens de l’effort. Les études sur les vrais jumeaux au sein des sociétés occidentales indiquent que l’héritabilité de l’intelligence, telle qu’elle peut être mesurée par les tests de QI, évolue entre 30 et 60%. Elle serait de 30% chez les enfants pour lesquels 30% des différences d’intelligence s’expliqueraient par des différences de patrimoine génétique. Elle serait de 40 à 50% chez les adolescents et de 60% chez les adultes. Cette héritabilité croissante est liée au fait que les plus jeunes sont souvent forcés de suivre des voies ne ressemblant pas à ce qu’ils sont au fond d’eux-mêmes. Plus ils grandissent, plus ils ont plus de chances de s’émanciper et de trouver leur niveau intellectuel naturel.

Et nous voilà donc au cœur du paradoxe de cette idée de méritocratie. Ceux qui en sont les pourfendeurs les plus virulents sont aussi souvent ceux qui contribuent à lui donner, sans s’en rendre compte, une importance majeure. Car si le mérite compris comme l’intelligence, les aptitudes, les efforts, le travail se révèle hautement héritable alors on ne voit plus comment renforcer sa prééminence aboutira nécessairement à une redistribution consensuelle des hiérarchies sociales.

Pour autant, il existe au sein de nos sociétés des effets de rappel redistributifs, liés à par exemple à nos choix affectifs ou marchands.

Comme l’écrit Matt Ridley :

Une société organisée en fonction de l’intelligence n’est pas juste car les personnes intelligentes peuvent acheter confort et privilèges. Heureusement, la méritocratie est constamment affaiblie par une force encore plus humaine : la recherche de beaux partenaires.

Il s’explique au travers d’un exemple. Si des hommes intelligents arrivent au top de la hiérarchie, la probabilité est forte qu’ils chercheront à attirer de jolies femmes (et vice versa probablement). Or celles-ci ne sont évidemment pas particulièrement stupides mais elles ne sont pas forcément super intelligentes non plus. D’où un brassage génétique par la beauté susceptible de mettre un frein à la stratification de la société en fonction du cerveau.

D’autres sources de brassage existent, dont le marché là où il est développé. Les valeurs du libre marché ne sont pas méritocratiques par essence. Un entrepreneur qui n’a pas fait Harvard ou HEC peut apporter beaucoup plus à la société qu’un intellectuel n’attirant pas les masses. Le marché ne fonctionne pas selon le mérite, mais selon la valeur perçue par les acheteurs.

Marché et connaissance

L’économiste Friedrich A. Hayek insistait d’ailleurs sur le fait que sur un marché qui fonctionne correctement, la compensation financière ne dépend pas du talent ou des qualités morales de l’entrepreneur. Elle ne dépend pas non plus de l’originalité de ses produits, ni même des efforts qu’il y a mis. Selon lui, le marché permet aux individus d’utiliser la connaissance de leur situation particulière pour créer de la valeur pour les autres. Or, cette situation est question de chance et pas de talent. Comme aucune situation n’est identique, chaque producteur a potentiellement quelque chose – une information, une compétence, une ressource – que personne d’autre n’a, ce qui lui donne un avantage.

Dans L’utilisation de l’information dans la société, il montre que

l’affréteur qui gagne sa vie en utilisant des cargos dont les trajets se feraient totalement ou à moitié à vide, ou l’agent immobilier dont la connaissance est exclusivement concentrée sur des occasions temporaires, ou l’arbitragiste qui tire profit de différences locales dans le prix des biens, remplissent tous des fonctions particulièrement utiles fondées sur une connaissance spéciale de circonstances passagères, ignorées des autres.

C’est sans doute d’ailleurs pour cela que pour Nicholas Nassim Taleb les entrepreneurs sont des héros.

Ces deux exemples montrent que la méritocratie ne risque peut-être pas de devenir l’unique boussole de nos sociétés, ce qui est sans doute une bonne nouvelle. Différents systèmes d’évaluation cohabitent, correspondant à des organisations particulières : famille, entreprises, écoles, marché, administrations, etc. Il est important d’en connaître les avantages et les inconvénients pour tenter de les préserver là où ils sont les plus utiles.

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  • Aussi vrai qu’il y a des laids dont la singularité assure le succès cinématographique – peut-on alors parler de talent ? – c’est plutôt la différenciation, c’est à dire l’inégalité qui est facteur de succès, chacun recherchant ailleurs ce qu’il n’a pas en lui-même, défauts compris. D’ailleurs le mérite ou l’effort sont en général séquentiels, contribuant à promouvoir leur acteur dans une zone privilégiée lui offrant souvent une nouvelle situation rentière d’exploitation de ses privilèges qui n’est plus du tout méritante !!!

    • @ gaston79
      J’ai envie de vous donner tout à fait raison.
      Il faut vraiment de tout pour faire un monde! Et la réussite a de multiples ressorts à la source de multiples talents, mot utilisé face au résultat d’un mélange efficace de compétences très diverses: travail, volonté, ambition, connaissances, chance, expériences, audace, originalité, observation, formation etc … etc …
      Et si il y avait une formule magique à appliquer, ça se saurait depuis longtemps!

  • Le mérite, vu sous l’angle de la réussite sociale, est en effet plus l’adaptabilité aux règles non-écrites du succès que le résultat d’efforts méritoires. C’est un mélange d’intelligence ( ou de dons ), de culot ( pour saisir la chance ), de volonté, de persévérance et, souvent, de frustrations ( qui interdisent le « Sam Suffy » ). Le tout pimenté, malheureusement souvent, d’une absence de sens moral – Trump étant un « beau » condensé de ce qui précède.
    Quant à la régression à la moyenne de ces qualités, de génération en génération, elle est bien documentée depuis les années 1960, dans le domaine des entreprises familiales ( « A » la fonde, son fils la développe, son petit-fils la coule )

    • On dit : le grand-père était un aigle, son fils un faucon, et le petit-fils un vrai !

      • @ MichelO
        Joli! (j’ignorais)
        Mais cette règle est loin de se vérifier dans tous les cas: la famille Dassault n’en est pas le seul exemple!

  • Le frein à cette reproduction endogamique n’est pas que les plus « intelligents » cherchent des conjoints « beaux » car de toutes façons ces conjoints seront en priorité recherchés dans leur propre milieu. Le vrai problème est que la catégorie des « intelligents » se reproduit moins que d’autres catégories. Dans un écosystème, pour qu’une espèce (ou des porteurs de mutations favorables) se développe, il est essentiel que sa vitesse de reproduction soit supérieure à celle de ses concurrents.

    • « Le frein à cette reproduction endogamique n’est pas que les plus « intelligents » cherchent des conjoints « beaux » car de toutes façons ces conjoints seront en priorité recherchés dans leur propre milieu. »

      Oui. J’ajouterai même que les gens intelligents au sommet de la société couchent avec des partenaires beaux mais se marient et font des enfants avec des gens intelligents, car il faut être stupide pour choisir un conjoint sans esprit.

      « Le vrai problème est que la catégorie des « intelligents » se reproduit moins que d’autres catégories »

      C’est tout à fait vrai. Le nombre d’enfants par femme diminue avec l’éducation et le QI. Cependant dans la société actuelle un faible nombre de gens intelligents peut produire un progrès immense pour la société. Prenez l’exemple de Facebook ou Google.

      Le fait que les gens les moins intelligents se reproduisent beaucoup plus serait un problème si la science et le progrès technique dépendaient du travail intellectuel des masses, mais ce n’est pas le cas. Le progrès est dirigé par une élite cognitive.

    • @JCB meme dans le meme milieu vous allez choisir un partenaire qui sera peut etre moins intelligent mais plus beau. et meme si c est moins le cas de nos jour, il peut y avoir le coup d un soir qui donne un fruit 9 mois plus tard …

    • C’est pas très intelligent de résumer le mérite à l’intelligence

  • Et si le mérite, au sens du marché libre, était justement la valeur accordée par les acheteurs ?

    • Tout simplement.

      L’article débute par la nécessité de définir un mot aussi flou que le mérite mais se contente de l’utiliser dans un sens assez discutable (sans véritablement le définir, le comble).

  • Article orienté et partisan. Obama et les Clinton ont certes des diplômes mais cela n’en fait pas pour autant des gens qualifiés pour le job. Profs de droit et avocats, ils n’ont pas les compétences requises pour diriger la première puissance économique du monde, n’ayant aucune notion en la matière. De plus étant des idéologues, ils prennent des mesures stupides. Ils ont bien montré leur incompétence au poste. Hillary n’a même pas été capable de prendre des mesures pour conserver le secret indispensable à son poste en se servant de son téléphone non crypté. La présidence de Obama a vu le doublement de la dette américaine et la perte de 5 millions d’emplois en 8 ans. Il n’est brillant, comme tous les intellos, que dans ses discours!
    Trump est diplômé de l’Université de Pennsylvanie, et il est un pur exemple de la méritocratie, car c’est par ses compétences qu’il a bâtit un empire qui emploie 22.000 personnes. Il a fait les preuves de ses capacités!
    L’establishment lui se renouvelle par filiation et réseau. Les Clintons étant le parfait exemple. C’est pourquoi ils étaient soutenus par tous les gens en poste et les media !

    • Donald Trump etait surtout le fils de son pere … Tout comme Serge Dassault (c est Marcel qui a cree et developpe la societe, le plus gros merite de Serge c est de ne pas l avoir coule comme A « nono » Lagardere l a fait avec la sienne)

    • En même temps, qui a les compétences nécessaires pour diriger la 1ere puissance du monde ?
      Existe-t-il déjà une formation pour cela ?

      Ce poste est tellement unique que personne ne peut dire s’il a les compétences tant qu’il n’y est pas lui même.
      Et même là il peut continuer à avoir des doutes.

  • Article assez bizarre. Deja comment mesurer l intelligence ? personne ne sait. les tests de QI ne sont de toute facon pas une mesure objective

    L autre probleme est si on supprime la meritocratie, par quoi la remplacer ? l aristocratie ? le tirage au sort ?

    Le 3 point est que si nous vivons dans une meritocratie theorique, elle ne l est pas vraiment en pratique. Ca a assez bien amrche dans les annees 60-70 car il y avait plus de place a prendre et donc certaines libres si vous n etiez pas le « fils de » mais c est moins le cas maintenant. Si vous avez la « chance » de naitre dans une famille qui passe son temps devant TF1 et dont le summun de la reussite c est d etre footballeur, disons que vous partez avec pas mal de handicap

    PS: l echec de Clinton est lié a pas mal de parametres (son age, sa personnalité, le fait qu elle incarnait le passé (Bill etait president il y 20 ans)), pas forcement le rejet de la meritocratie

  • bizarre…la question est est ce injuste?
    existe il une contrainte? sinon, on se fout du « brassage » social..
    le brassage social poussé à l’extrême implique quant à lui de forcer les gens à changer de boulot à tour de rôle…

    a mon opinion, on cache le problème, dans une société libre il y aura de grosse différence de revenus et ces différences de revenus entrainement jalousie et poussées de mesures liberticides ou lois redistributives motivées non pas par la charité mais la trouille des pauvres ..parfaitement fondée d’ailleurs.

  • Mouais, article bof. Le mérite n’est pas à réduire à l’intelligence mesurée par le test de QI. Un employé méritant, volontaire, qui va donc développer ses connaissances dans son domaine aura du mérite et verra probablement sa condition s’améliorer. Quelque soit le métier, un bosseur gagnera plus qu’un paresseux (sauf chez les fonctionnaires il me semble sauf à passer des concours donc à les bosser). La méritocratie n’implique pas une sélection basée sur l’intelligence, du moins pas seulement, mais également sur la capacité de travail. Bref, article brouillon, traduction incertaine en plus. A oublier.

  • Le mérite c’est de rendre servir aux autre dans le cadre d’échange volontaire, tout le reste c’est de l’escroquerie. L’e « mérite » créée à travers l’école en France (et ailleurs souvent) n’est qu’un manière subtile de perpétué une aristocratie, une caste qui vie sur le dos du « reste ». La plupart des « méritants » en France vivent au bout du compte soir directement soit indirectement des subsides étatiques. Il n’y a aucun mérite à devenir un parasite.

  • Personne n’a les compétences nécessaires, c’est pourquoi tous s’entourent de conseillers spécialistes de leur domaine (sauf en France où les ministres sont interchangeables et guidés par leur idéologie)

  • Vous avez le mérite de le dire mdrrr !

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