Idée reçue : “Les actionnaires ne vivent que pour leurs dividendes”

Il faut dédramatiser le dividende, loin d’être l’alpha et l’oméga du capitalisme, il est en réalité un aveu de faiblesse de la part des actionnaires. Voyons pourquoi.

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Idée reçue : “Les actionnaires ne vivent que pour leurs dividendes”

Publié le 18 avril 2018
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Par Eddie Willers.

Les descriptions faites des actionnaires dans la presse française sont souvent assez peu valorisantes. On y décrit des personnes assoiffées de rentabilité et de dividendes, prêtes à manger des petits chatons pour préserver leurs profits.  Le dividende est souvent un objet de crispation, la dénonciation des actionnaires se versant des dividendes records est d’ailleurs un mantra socialiste des plus récurrents.

Il faut pourtant dédramatiser le dividende, loin d’être l’alpha et l’oméga du capitalisme, il est en réalité un aveu de faiblesse de la part des actionnaires. Voyons pourquoi.

Pour cela il faut comprendre la façon dont se détermine la valeur d’un actif. Lorsque vous achetez à crédit une maison, deux sources d’argent vous permettent de mener à bien la transaction : votre apport constitué de votre épargne et le prêt de la banque. La valeur de votre maison correspond donc à la somme de votre crédit (les dettes) et de votre apport (la valeur des titres que vous détenez).

La valeur d’une entreprise

Il en va de même pour déterminer la valeur d’une entreprise : sa valeur est constituée de la valeur des titres (nombre d’actions multiplié par le prix d’une action) à laquelle vous ajoutez la dette financière nette (les dettes financières – la trésorerie disponible). La valeur des Titres de Total est par exemple de 128,5 Md€ et sa Dette Financière Nette de 13 Md€. Sa Valeur d’Entreprise est donc de 141,5 Md€.

C’est cette Valeur d’Entreprise qui sert de référence aux investisseurs pour déterminer si une action est chère ou pas. Le prix de l’action ne sert qu’à déterminer la Valeur d’Entreprise du Groupe mais n’a que peu d’intérêt en soi.

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Lorsque des analystes cherchent à déterminer la valeur d’une société ils déterminent sa Valeur d’Entreprise. Ils vont par exemple appliquer un multiple au résultat opérationnel de la même façon que l’on applique un prix au mètre carré pour déterminer le prix d’une maison.

Distribuer un dividende

Vous obtenez ainsi la valeur de votre actif mais vous vous moquez de savoir si le vendeur a un crédit hypothécaire derrière à rembourser et ce qu’il va toucher net de ses remboursements. C’est pareil avec une entreprise, ce qui compte c’est le calcul de votre Valeur d’Entreprise. Vous déduisez la Dette Financière Nette pour obtenir la Valeur des Titres et donc le prix de l’action.

Lorsque vous distribuez un dividende, vous augmentez votre Dette Financière Nette car vous avez moins de trésorerie disponible. Pour autant votre Valeur d’Entreprise, elle, n’a pas bougé, votre multiple est toujours le même. Donc l’impact de la distribution de dividende se répercute directement par une baisse de la Valeur des Titres et donc du prix d’une action.

La distribution d’un dividende est donc parfaitement neutre pour l’actionnaire : ce qu’il touche en cash, il le perd en plus-value sur le titre de la société. La recherche du dividende n’a donc que peu de sens pour l’actionnaire.

Par ailleurs, demander un dividende revient à dire que l’argent distribué sera mieux utilisé par l’actionnaire que par la société. Il peut y avoir mille et une raisons pour procéder à une distribution de dividendes, comme par exemple donner une forme de revenu aux actionnaires qui en ont besoin pour leurs dépenses personnelles.

Aveu de faiblesse

Néanmoins, si cet argent était réinvesti par la société pour augmenter fortement le résultat opérationnel, cela contribuerait à augmenter la Valeur d’Entreprise, donc la Valeur des Titres et in fine la plus-value sur les actions. Demander à ce que l’entreprise sorte du cash est donc une forme d’aveu de faiblesse des actionnaires qui estiment qu’ils pourraient mieux faire fructifier cet argent, ailleurs.

Cela revient à dire, en forçant le trait, que les dirigeants n’ont pas la bonne stratégie et/ou la mauvaise exécution pour maintenir la création de valeur.

Le dividende est donc loin d’être une fin en soi pour l’actionnaire et plutôt le signe d’un besoin fort de cash pour les besoins personnels des principaux actionnaires dans le cadre de leurs autres projets.

Il n’y a donc rien de surprenant à voir que les sociétés du CAC 40 distribuant le plus de dividendes sont les sociétés où l’État est un actionnaire de poids. Dépassé par ses déficits, l’État cherche à tout prix à les limiter en pompant la trésorerie de groupes comme Engie, EDF ou Areva. Lorsque j’entends que l’État est un actionnaire stable et de long-terme je m’interroge : comment peut-on avoir une vision de long terme sur un groupe en lui supprimant les moyens qui lui permettront de créer de la valeur dans les années à venir ?

Enfin, si les dividendes sont aussi élevés en France c’est aussi parce que les actionnaires, particulièrement les actionnaires étrangers, réfléchissent en rendement « net ». Et par « net » nous entendons notamment « net de fiscalité ». Or la distribution d’un même dividende au Luxembourg ou en France ne génère évidemment pas le même rendement.

Pour continuer à attirer les capitaux nécessaires pour investir, les sociétés françaises sont donc obligées de compenser une fiscalité exorbitante par des dividendes plus élevés qui comme vous l’aurez compris, amputent nécessairement leurs capacités d’investissement futures.

Nous remarquons que « les actionnaires et leurs dividendes » sont loin d’être les premiers à blâmer quant à la faiblesse de l’économie française. Car d’une, des actionnaires soucieux de l’intérêt de long terme de l’entreprise limitent autant que faire se peut les dividendes, et de deux parce que les distorsions provoquées par l’État sont en réalité bien plus nuisibles pour le financement des entreprises.

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  • N’empêche, vous pouvez dire ce que vous voulez et tenir n’importe quel raisonnement, il est un fait bien établi : l’entreprise privée, c’est le mal, et l’entreprise publique le bien. Nationalisons, mettons l’Etat partout, abolissons la propriété privée et tout le monde sera heureux. Regardez Cuba, le Venezuella, le Cambodge, le Vietnam, la Chine du Grand Bond en Avant, les faits parlent d’eux-même !

    • Excellent 🙂

      Un point sur la Chine et le Vietnam cependant, ces pays sont autant communistes que je suis la Reine d’Angleterre.

      Dans le cadre du Vietnam notamment, vous pouvez monter le business que vous voulez du moment que vous ne vous mêlez pas de politique.
      Votre maison donne sur la rue ? Vous pouvez monter un stand pour vendre de la nourriture, et personne ne viendra vous embêter.

      Impossible de faire la même chose en France où il faut au préalable obtenir des zillions d’autorisations de l’etat et autres.

  • Le besoin de cash des actionnaires n’est en fait pas la principale raison de la distribution des dividendes. Il s’agit le plus souvent de respecter leur liberté de réemployer la partie redevenue disponible de leur investissement autrement que pour une utilisation qui serait décidée par la collectivité des administrateurs.
    C’est leur argent, ils l’ont mis à la disposition de la société qui l’a fait fructifier, mais ça reste leur argent, et la société doit modestement admettre qu’elle ne sait pas forcément mieux qu’eux ce qu’ils veulent en faire à l’avenir, et ne conserver que ce dont elle a raisonnablement besoin.
    Voilà ce que l’on devrait enseigner dans les écoles, d’autant plus qu’on peut dans ce qui précède remplacer « société » par « état » sans perdre de validité. Ensuite seulement les Français seraient prêts à écouter vos arguments, parce que pour le moment, vous avez parfaitement raison mais vous prêchez dans le désert à une poignée de convertis.

  • C’est effectivement la même chose (à des détails de fiscalité près) pour un actionnaire de recevoir en dividende une part des bénéfices ou que cette part soit investie en capacité de production supplémentaires et fasse ainsi monter les bénéfices futures et donc la valeur de l’entreprise. Mais il faut distinguer les entreprises en forte croissance qui ont intérêt à tout réinvestir et à emprunter massivement et les entreprises mures qui sont dominantes sur un marché qui ne croit plus. Ces dernières vont logiquement distribuer leurs bénéfices car elles n’ont rien de mieux à en faire et les heureux actionnaires vont pouvoir les investir dans d’autres entreprises. Ce n’est en aucune façon une marque de faiblesse mais le signe que l’entreprise a atteint le stade où elle peut rémunérer ses actionnaires en cash. Les bénéfices distribués participent donc au développement d’autres entreprises en croissance. Que demander de plus ?
    Un système dans lequel les bénéfices peuvent être affectés au développement de secteurs qui émergent est bien plus satisfaisant qu’un système dans lequel les vieilles entreprises gardent tout et l’investissent soit dans un vieux business à rendement décroissant soit même dans des projets inutiles pour satisfaire des dirigeants mégalo qui peuvent se faire construire des cathédrales, se payer des danseuses et accroitre sans limite la bureaucratie qui les entoure.
    Enfin, s’agissant de la valeur d’une entreprise, elle est évidemment égale au prix auquel elle pourrait être vendue diminuée des dettes de l’entreprise. Et pour son prix de vente, si l’acheteur n’est pas idiot, il sera fonction des bénéfices futurs espérés de l’entreprise. Ce prix peut être assez différent de la valeur comptable inscrite au bilan. Seuls les prix de marché ont un sens.

  • je ne suis pas tout à fait d’accord avec l’article, et reprendrai ce qui vient d’être dit ci-dessus en ajoutant :
    l’état est effectivement un très mauvais actionnaire qui saigne les entreprises avec des pay-out ratios très élevés.
    maintenant que l’on a dit ça, en tant qu’actionnaire vous êtes propriétaire de l’entreprise et donc (co) propriétaire d’une part des résultats. qu’il vous soit distribué ou pas, cet argent vous appartient de la même façon est votre actif est le même. oui, mais pas tout à fait : en tant qu’actionnaire, surtout minoritaire, on peut se dire que l’argent est mieux dans sa propre poche que dans l’entreprise.
    distribuer des dividendes suppose que l’argent en réserve ne sera pas mieux employé dans des projets de développement : toutes les entreprises n’en ont pas, ou pas à la hauteur de l’intégralité de leur résultat. auquel cas une distribution de dividendes n’est pas une mauvaise chose.

    • A noter que l’Etat saigne aussi les entreprises dont il n’est pas actionnaire, et ne manque pas de taxer les dividendes.

  • je n’y connais pas grand chose en économie mais le fait que des actionnaires ou des fonds de pension morcèlent une entreprise pour la revendre et faire une plus value ( au détriment du personnel de cette entreprise parce que souvent c’est licenciements et autres saloperies) c’est du pipeau?

    • S’ils font une plus-value, c’est que l’entreprise faisait vivre des boulets au détriment de la partie qui allait bien. C’est désagréable en période de crise où l’on préférerait évoluer sans faire de dégâts, mais en période de plein-emploi, comme ça devrait l’être en France aussi aujourd’hui, les repreneurs ne font que ce que la direction aurait dû faire elle-même. Ca n’est pas parce qu’on travaille dans une branche condamnée qu’on ne peut pas retrouver un meilleur emploi ailleurs !

  • Cet article ne me satisfait pas en ce que je ne le trouve pas convaincant ni sur le fond ni sur son utilité pour contrer la vulgate socialiste anti-entreprise.
    Sur le fond un actionnaire investit pour gagner de l’argent sinon il ne le ferait pas. Or il ne peut en gagner que si le prix de son actif progresse (mais à condition de vendre …) ou si l’entreprise verse des dividendes. Je ne vois pas bien en quoi préférer l’une ou l’autre des méthodes serait un « aveu de faiblesse ».

  • « La distribution d’un dividende est donc parfaitement neutre pour l’actionnaire : ce qu’il touche en cash, il le perd en plus-value sur le titre de la société. La recherche du dividende n’a donc que peu de sens pour l’actionnaire. »
    C’est pas tout à fait exact: ça dépend de la stratégie suivie, court terme ou long terme.

    A court terme, l’actionnaire se retrouver avec du liquide qu’il peut investir ailleurs, tout en conservant le même nombre de titres (et donc les droits de votes associés).
    S’il avait vendu des actions pour obtenir la même quantité de liquide, il aurait perdu des droits associés (en plus d’influer sur le prix de l’action via l’offre et la demande)

    De plus, il y a de nombreux facteurs qui influencent la valeur d’une action, dont certains irrationnels.
    Le paiement de dividendes n’entraîne pas systématiquement une baisse de la valeur de l’action, ça peut même être l’inverse :
    détenir ces actions promet un gain liquide à court terme
    => c’est plus intéressant qu’une action d’entreprise qui ne verse pas de dividende
    => J’achète (en masse)
    => le prix augmente via la loi de l’offre et de la demande.

  • « Demander à ce que l’entreprise sorte du cash est donc une forme d’aveu de faiblesse des actionnaires qui estiment qu’ils pourraient mieux faire fructifier cet argent, ailleurs. »

    Pas vraiment. C’est plutôt une manière pour l’actionnaire de dire au dirigeant « je te fais confiance mais je t’ai à l’œil », afin qu’il n’oublie jamais ce qu’il est et qui est vraiment le boss.

    Evidemment, dans le cas de l’Etat obèse impécunieux aux abois, la situation est différente. Il s’agit là plutôt d’une forme inepte et désespérée de survie, le parasite épuisant son hôte.

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