Universités : à bas la sélection dans l’Éducation nationale ?

Tout le monde n’a pas vocation à faire des études supérieures, et peut-être même pas à faire le collège. La créativité, la finesse d’analyse et l’esprit critique ne sont pas accessibles à tous. Et ce n’est pas forcément une catastrophe.

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Universités : à bas la sélection dans l’Éducation nationale ?

Publié le 9 avril 2018
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Par Stanislas Kowalski.

La semaine dernière, des étudiants plus enclins à faire leurs classes à l’Unef que dans les amphis ont réclamé qu’une note minimale soit attribuée à tout le monde, dans le cas où les examens ne pourraient pas se tenir. Le ministre, avec beaucoup de bon sens a fait part de sa consternation. Au-delà de l’indécence et de l’absurdité de la demande, il y a un mythe entretenu par l’Éducation nationale : il ne faudrait pas sélectionner pour ne pas priver les jeunes de leur droit à faire des études.

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Rien n’est plus idiot. Tout le monde n’a pas vocation à faire des études supérieures, et peut-être même pas à faire le collège. Quel que soit le talent d’un professeur, il n’atteindra pas les objectifs supérieurs avec tous ses élèves. La créativité, la finesse d’analyse et l’esprit critique ne sont pas accessibles à tous. Et ce n’est pas forcément une catastrophe. La société n’a pas besoin d’un million de Jordan B. Peterson pour tourner correctement.

Il y a plusieurs niveaux d’inaccessibilité

Certains élèves par exemple n’ont tout simplement pas les capacités d’apprentissage jusqu’au niveau visé. Quel que soit votre entraînement sportif, si vous faites de la tachycardie, vous ne serez pas un marathonien. Point. Les capacités physiques sont inégalement réparties. La plupart des gens ne pratiqueront pas le sport au-delà du divertissement ou de l’hygiène. On fait du foot pour passer un bon moment avec les copains et on va à la gym pour ne pas trop grossir.

Et c’est très bien. Le cerveau est un organe comme les autres. Il n’y a aucune raison de croire qu’il soit différent des autres et que tous les cerveaux aient le même potentiel. On va voir un peu plus loin par quel glissement de sens on en arrive à cette idée absurde.

Le deuxième niveau d’inaccessibilité, c’est que certains élèves n’ont pas les capacités pour apprendre les choses à un coût raisonnable. Précision élémentaire, mais importante, quand je parle de coût, je ne parle pas seulement de coût financier. D’ailleurs, l’argent représente toujours autre chose que lui-même. Je parle des efforts, du temps, voire des souffrances du professeur. Je parle des efforts, du temps, voire des souffrances de l’élève lui-même. Il faudrait aussi tenir compte des parents, des camarades et de tous les autres acteurs de l’école qui subissent les effets indirects de l’échec scolaire.

Enfin, dernier niveau d’inaccessibilité, la volonté. Ignorance is bliss. Peu de gens aiment la vérité au-delà de ce qui améliore leur salaire ou permet de gagner au Trivial Pursuit. Qui ose vraiment connaître et pratiquer l’esprit critique ? Il faut comprendre ce que cela implique et le prix à payer. L’esprit critique suppose un saut dans la foi bien plus redoutable que tous les dogmes : mettre en danger les certitudes qui fondent nos relations sociales et nos habitudes personnelles, en espérant qu’il sortira quelque chose de bon de notre réflexion.

Même à un niveau technique, le chimiste qui travaille sur une nouvelle molécule prend un risque en admettant qu’il s’est trompé, risque nécessaire mais bien réel. Ne va-t-il pas faire éclater son incompétence et risquer sa réputation ou son poste ? Ce n’est pas pour rien qu’il y a tant d’études trafiquées.

Ambiguïté de l’éducabilité

Derrière la naïveté bien-pensante de l’égalité scolaire, il y a l’idée ambiguë d’éducabilité. Pour un pédagogue comme Philippe Meirieu, les professeurs doivent être convaincus que tous leurs élèves sont éducables. Cette déclaration n’est jamais qu’une déclaration de foi. Sans être tout à fait absurde, elle est trompeuse. À la rigueur, elle peut être vraie, si je la comprends comme la possibilité d’apprendre quelque chose, mais sans préciser quoi. Oui, tout enfant peut faire des progrès. Mais pour certains le progrès le plus remarquable consistera à savoir jouer sans mordre ni frapper.

C’est un objectif éducatif plus que valable, mais il ne s’inscrit pas bien dans un programme de collège. Gardons à l’esprit que le succès est une notion relative. Je vous laisse apprécier de quel genre d’éducation nos manifestants étudiants auraient le plus besoin.

Si je peux laisser tomber mon programme, très bien, je peux me lancer dans l’éducation de n’importe qui. Ah ! il y a quand même une autre condition : que je puisse jouer au bon pasteur et laisser les 99 autres brebis sans surveillance pendant que je m’occupe de la brebis égarée.

La déclaration de Meirieu a bien une utilité, en tant que discipline morale, indépendamment de sa véracité. Devant un élève en difficulté, je dois présumer son éducabilité, parce que cette présomption est une condition nécessaire (mais pas suffisante) au succès de l’apprentissage. Même si c’est faux, je vais faire comme si l’enfant pouvait apprendre. Si vous voulez, c’est la même démarche que de faire confiance à sa femme, alors qu’elle peut très bien avoir un amant. On prend le risque de la croire, parce que sinon c’est le divorce assuré.

Ou encore on présume l’innocence d’un accusé, alors qu’on sait très bien qu’un meurtre a été commis, parce qu’un jugement hâtif nous empêcherait de chercher toute la vérité. Pour en revenir à mon élève, je suspends mon jugement sur ses capacités, le temps d’essayer toutes les méthodes que je connais pour tenter de lui faire comprendre. Et quand j’aurai échoué assez longtemps, je me résoudrai à dire qu’il vaut mieux passer à autre chose.

Malheureusement, nos manifestants imbéciles confondent cette discipline morale avec les conclusions de la science. Ils n’ont pas fini d’être déçus.

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  • Entièrement d’accord avec tout votre article, tout le monde n’a pas les mêmes capacités intellectuelles, il serait temps de l’admettre et d’admettre que ce n’est pas un drame ni une honte. Il faut être fort là où on est bon, et si ce n’est pas pour les études, ce sera pour autre chose. Heureusement que tous ceux qui ne peuvent pas « intellectuellement » faire d’études supérieures réussissent tout de même pour une bonne part, leur vie professionnelle pour peu qu’ils aient de la volonté. Pourquoi préférer la sélection par le hasard ? C’est simple, pour que l’élève médiocre, celui-là même qui demande un 10/20 pour tous, s’il n’est pas sélectionné, puisse sauver sa face en accusant le hasard et s’il est sélectionné, puisse aller perdre 2 ans en fac aux frais du contribuable. Il échouera au final, mais il trouvera un autre bouc émissaire pour justifier son échec. En attendant, d’autres ayant les capacités intellectuelles et la volonté auront été rejetés, mais ce n’est pas son souci.

    • C’est d’autant plus idiot et ridicule que la sélection se fait dès la première année! A Tolbiac, l’université où se retrouvent tous les cancres, seuls 17% passent en seconde année!

  • Au-delà de l’accès à l’éducation, il faut aussi se rappeler que l’inscription universitaire ouvre droit à de nombreux avantages (transports, musées, aides, etc.).
    La mise en place d’une sélection en interdirait l’accès à de nombreux parasites, qui protègent actuellement leurs propres intérêts sous couvert de défense d’un intérêt général bien compris.
    Supprimez les avantages en nature, remplacez-les par des chèques-éducation et des bourses au mérite utilisables uniquement pour le matériel pédagogique (frais d’inscription, livres…), et subitement les facs ne seront plus surchargées.

    • Avec la sélection, il n’y aurait plus ces branleurs de bloqueurs qui passent dix ans en première année. j’étais étudiant en 2006, année de gros bordel : je suis certain que des branleurs cette époque sévissent encore dans la fac en 2018.

      Il n’y aurait plus non plus tous ces étudiants qui passent la première année aux frais de la princesse avant de bifurquer sur autre chose.

      • @Théo31
        Bonsoir,
        J’étais aussi étudiant en 2006 et ai fait 7 premières années. J’ai validé la dernière que j’ai faite. Et j’ai payé mes frais d’inscrpitions plein pot sauf la première année. Vu que je travaillais, je ne payais pas la part sécurité sociale, qui était quasiment aussi chère que les frais pour les cours.

        Cette photo n’aurait-elle pas été prise dans l’U.F.R d’anglais de la fac du Mirail par hasard ?

        • Pour la photo, j’ai pensé la même chose ayant aussi traîné mes guêtres au Mirail.

          En 2006, les bloqueurs avaient chié partout dans le bâtiment de l’arche, ce qui en dit long sur ce qu’ils pensent du savoir et de la culture.

  • C’est la grande confusion entretenue autour de l’Egalité qui orne les frontons de nos mairies.
    Il s’agit de l’égalité des chances, pas de l’égalité des résultats.

  • La photo nous fournit une bonne illustration de ce que sont les gauchistes!

  • ça semble assez correct sauf que l’angle d’approche me semble biaisé.
    On ne peut pas acheter une éducation , dans le sens que être éduqué ou pas est un jugement de valeur..fait en général par d’autres.
    Donc éducable ou pas, vous pouvez décider d’acheter du temps de professeurs, des cours, des livres au pire même un diplôme, il faut juste de l’argent .. mais ce seront d’autres qui jugeront si vous êtes éduqué ou pas.
    Et c’est ce qui est le plus terrible puisque si nous avons tous l’idée que l’éducation est une chose nécessaire, les critères de jugement pour savoir si une personne est éduquée ou pas ont dérivé au point que le diplôme est devenu un quasi synonyme.

    notre système éducatif est à l’image de notre société.

  • Vous avez entièrement raison mais comme il est difficile de faire passer le message!

  • Les commentaires sont fermés.

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Les auteurs : Nathalie Sayac est Professeure des universités en didactique des mathématiques, directrice de l’Inspe de Normandie Rouen-Le Havre, Université de Rouen Normandie. Eric Mounier est Maitre de Conférences en didactique des mathématiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

 

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