Vladimir Poutine, le crépuscule annoncé du chef plébiscité

Au-delà de la victoire électorale de Vladimir Poutine annoncée de longue date, que retenir de ce résultat ?

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Vladimir Poutine (Crédits Bohan_伯韩 Shen_沈, licence Creative Commons)

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Vladimir Poutine, le crépuscule annoncé du chef plébiscité

Publié le 21 mars 2018
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Par Florent Parmentier.
Un article de The Conversation

Si la victoire de Vladimir Poutine a été acquise sans péril du fait de la faiblesse des concurrents, le Président russe a cherché à montrer lors de cette élection qu’elle n’était pas sans gloire en se donnant un objectif de participation.

Quatre ans jour pour jour après l’annexion de la Crimée, malgré une participation en deçà de ses attentes (63 %, contre 70-65 % espérés), Vladimir Poutine a ainsi obtenu près des trois quarts des suffrages exprimés, un score sensiblement supérieur à celui de 2012 (63 % au premier tour).

Au-delà de cette victoire annoncée de longue date, que retenir donc de ce résultat ? Elle a été le résultat d’une campagne sans relief, d’une opposition divisée et inaudible, et laisse ouvertes de nombreuses questions sur l’évolution du pays à horizon 2024.

Une campagne sans grand relief

L’inquiétude du pouvoir était bien celle d’une trop grande abstention : le relatif vide de contenu de la campagne ne manquait pas de nourrir ces craintes. « Un Président fort, une Russie forte » : le slogan électoral de Vladimir Poutine pouvait le faire apparaître comme un leader robuste et indispensable pour gouverner le pays, mais inspirait plus de résignation que d’enthousiasme de la part des électeurs. Afin de se placer au-dessus de la mêlée, il s’est présenté comme un candidat indépendant, et celui du parti « Russie unie », qui s’il incarne la stabilité fait l’objet de davantage de griefs que son leader.

Vladimir Poutine a réussi à être omniprésent dans la campagne, en se déclarant le plus tard possible, tout en ne participant à aucun débat électoral ; il s’est tout juste fait interpeller par Ksenia Sobtchak lors de la conférence présidentielle annuelle de décembre 2017 : elle avait évoqué, à cette occasion, l’emprisonnement et le meurtre de certains opposants politiques ou le blocage de la candidature d’Alexandre Navalny. Un moment très rare dans une campagne sans véritable moment fort. Les célébrations ont d’ailleurs été elles-mêmes sobres, puisque le Président n’a fait que deux brèves apparitions, près du Kremlin ainsi qu’au quartier général de la campagne.

Dans ce contexte, la victoire s’est construite en s’appuyant sur un socle électoral constant, conservateur sur le plan social, autour des régions du Caucase Nord, de la Volga et de la Sibérie. Parmi les nouveautés, les régions de la Crimée et de Sébastopol s’exprimaient pour la première fois dans une présidentielle, la Crimée manifestant son soutien à plus de 90 % à Vladimir Poutine.

Une opposition divisée et inaudible

La victoire ne s’est pas seulement construite sur la popularité du Président ou sur les fraudes électorales, ces deux facteurs n’expliquant pas à eux seuls l’ampleur du vote. La division de l’opposition, entre jeunes et anciens, libéraux et sociaux, a largement contribué à ce résultat.

L’opposant qui a le mieux tiré ses cartes du jeu est Pavel Groudinine, le « communiste millionnaire » quinquagénaire, manager du sovkhoze Lénine, près de Moscou. Victime d’une forte campagne de dénigrement de la part des médias, il obtient à peine plus de 12 %, score qui le place loin derrière Poutine mais qui est pourtant le double du troisième candidat. Ce résultat est en baisse par rapport au score du septuagénaire communiste Ziouganov en 2012, mais Groudinine a su rassembler un électorat inquiet sur le plan social et souhaitant davantage de justice. Le troisième candidat est le nationaliste Vladimir Jirinovski, dont c’était la sixième candidature, et qui termine avec un score déclinant autour de 6 %.

Pour le reste, la faiblesse des candidats libéraux est patente, en deçà des résultats de Mikhaïl Prokhorov en 2012 (7,7 %). Ksenia Sobtchak, 36 ans, proche des manifestations de 2011-2012 contestant le pouvoir en place, a un temps été l’attraction de la campagne. En définitive, la fille de l’ancien mentor de Vladimir Poutine, le défunt maire de Saint-Pétersbourg, Anatoly Sobtchak, n’a obtenu qu’un résultat bien modeste de 2,5 %. Quant au vétéran du parti Iabloko, Grigori Iavlinski, déjà présent lors des présidentielles de 1996, il n’a réuni que 1 % des votes.

Si la mobilisation est légèrement inférieure à ce qui était souhaité par le pouvoir, il est néanmoins clair que le boycott du vote prôné par Alexeï Navalny, l’un des principaux opposants à Poutine, n’a pas eu les effets escomptés. Cette abstention avait pour but de refuser le processus rituel de légitimation du pouvoir par le vote ; il s’est d’ailleurs disputé à ce sujet avec Ksenia Sobtchak à propos de la marche à suivre à l’occasion du vote.

Les trois grands défis du mandat à venir

De cette élection sans grand suspense, il faut néanmoins retenir trois grands défis essentiels pour la Russie et son dirigent.

Le premier défi est d’ordre diplomatique. Le Président doit-il persévérer dans sa stratégie de disruption de l’ordre international, ou au contraire viser un apaisement ? Vladimir Poutine a gagné sa présidentielle sur le plan interne, et il est redevenu un acteur international incontournable suite à son intervention en Syrie, après la crise ukrainienne.

Il est vrai que la politique de confrontation s’avère populaire auprès de son opinion publique, persuadée de l’hostilité des Occidentaux à son égard. Par ailleurs, son intervention en Syrie est même très majoritairement soutenue par les musulmans de Russie, qui représentent 20 millions de personnes. Une telle politique comporte toutefois des coûts qui mettent en lumière les difficultés de la Russie.

À ce sujet, la question du modèle économique de la Russie constitue le deuxième défi d’envergure. Le candidat Poutine a évoqué au cours de sa campagne une modernisation du modèle de développement russe, prônant notamment pour une politique industrielle plus volontariste. La Russie peut-elle, une nouvelle fois, se contenter de s’appuyer sur les rentes que constituent ses matières premières, à défaut de pouvoir imposer une réelle modernisation économique à une bureaucratie freinant l’activité économique et favorisant un système de corruption ? La bureaucratie réclame, hélas, davantage des personnes loyales que des managers de qualité. Dans ce contexte, il est possible que le pouvoir en place entreprenne suffisamment de réformes pour donner une crédibilité internationale, mais certainement pas jusqu’à entamer l’autonomie de l’État.

Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine, ici en 2010.
Kremlin.ru/Wikimedia, CC BY

Enfin, à l’aube d’un nouveau mandat, comment assurer la relève politique ? À 65 ans, Poutine se rapproche de son dernier mandat : sauf changement de la Constitution, il aura 77 ans en 2030. Le problème est qu’en ayant affaibli l’État de droit et les institutions démocratiques, il sera plus difficile pour lui de quitter le pouvoir sans être inquiété. Par conséquent, il lui faudra trouver un filet de sécurité en s’appuyant sur un successeur, dont la loyauté sera très probablement un critère de sélection.

The ConversationVerra-t-on un retour de Dimitri Medvedev, l’actuel Premier ministre, à cette occasion ? L’émergence d’une personnalité comme le ministre de la Défense Sergueï Choïgu ? L’arrivée de successeurs plus jeunes, comme le ministre du Développement économique Maxime Orechkine (35 ans) ou le chef de l’administration présidentielle Anton Vaino (46 ans) ? Une chose est sûre : il ne sera probablement pas connu avant les prochaines législatives de 2021, laissant Vladimir Poutine arbitrer d’ici là les différentes tendances existant au pouvoir.

Florent Parmentier, Enseignant à l’École d’Affaires publiques de Sciences Po. Chercheur-associé au Centre HEC Paris de Géopolitique, Sciences Po – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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  • il faut arrêter de présenter Navalny comme le principal opposant , il ne représente au mieux que 2% des voix dans les sondages , même si ses discours ont un côté sympa et amusant quand il explique comment se débarrasser des mouches, des cafards et des tchétchènes.

    • Le malheur est justement qu’avec seulement 2% il est le principal opposant, sous entendu il n’y en a pas d’autres, sous-entendu ON n’en veut pas d’autres.

  • il n’empêche , il est passé haut la main ; d’ailleurs , il devrait remercier thérésa may qui a grandement contribué à sa réélection via des accusations sans preuves …..poutine devra de toute façon améliorer l’économie de son pays au vu des sanctions auxquelles il fait face et à celles éventuellement à venir ; mais je gage qu’avant la fin de son mandat , il pourra montrer son majeur à certains dirigeants européens qui aimeraient bien le voir chuter ;

    • « il n’empêche , il est passé haut la main »
      C’était inévitable puisqu’il n’ y a que lui. C’est d’ailleurs un problème sur deux points

      – La succession bien sûr car si Poutine avait réussit à être aimé et à représenter assez parfaitement la Russie ce ne sera pas nécessairement le cas de son successeur. Et si il dure trop longtemps ce ne sera peut être pas le cas des jeunes générations qui n’ont connu ni l’URSS, ni même la gabegie des années Eltsine.

      – Et de façon plus immédiate dans l’appareil gouvernemental il n’ y a que Poutine de respecté. Comme rien est à exclure si Poutine était subitement empêché cela poserait un gros problème.

      En fait la Russie n’a pas d’institution il y a UN homme; cela rend le système fragile.

      • « Si Poutine était subitement empêché cela poserait un gros problème. »
        Mais non, le FSB mettrait un autre « homme-image » et empêcherait toute concurrence.

    • Cessez votre antienne sur les accusations sans preuve. Il ne peut y en avoir! Mais le poison utilisé est Russe et seul Poutine a déclaré que les traîtres seraient éliminés. Il est le seul ayant un mobile, personne d’autre n’en avait. Et c’est malheureusement une habitude russe depuis longtemps.

  • L’opposition russe affirme que des trolls américains auraient faussé l’élection en favorisant Poutine 🙂

  • Les russes semblent avoir votés pour la stabilité. C’est, ici comme en Chine avec une stabilité du pouvoir, que les conditions économiques s »améliorent. Donc avec un pouvoir fort.
    Démocraties dans de tels pays, choses bien inutiles pour le citoyen de base. Seul le développement de l’activité économique et les niveaux de vie globaux qui s’améliorent les intéressent. Ont-ils tord ?

  • Crépuscule, crépuscule, vous enterrez Poutine un peu vite. Les Russes ont trouvé leur De Gaulle pour redorer le blason du pays et lui redonner sa place dans le monde, il n’est pas encore parti.

    • Redorer le blason en attaquant ses voisins? Il est vrai que les Russes ne connaissent que les rapports impérialistes, qu’ils cultivent depuis des siècles. Les relations amicales ils ne connaissent pas. Il suffit de regarder la télé Russe répéter que l’occident est l’ennemi qui veut envahir la Russie!

      • C’est vrai que les Russes sont agressifs au point d’avoir mis leur pays en plain milieu des bases de l’Otan, le plus possible des missiles chargés de protéger l’Europe contre une attaque de la Corée du Nord.
        Au niveau impérialiste , c’est vrai qu’ils ont été assez tordus pour attirer l’armée de Napoléon jusqu’à Moscou et celle d’Hitler jusqu’à Stalingrad pour mieux les détruire. C’est une nouvelle tactique , ça s’appelle l’invasion inversée.

      • @ Virgile,

        Laissez tomber, c’est chaque fois pareil quand un article de Contrepoint parle de Poutine. Les poutinolâtres de service ressortent du bois en force pour défendre leur idole. Si ils aiment cette oligarchie poutinienne qui place la Russie parmi les pays les plus mal classés en matière de liberté économique, de liberté de la presse, de liberté politique et de corruption; laissez-les on ne peut rien pour eux.

        • +1
          c’est incroyable comme sur Contrepoints les débats sont souvent de bonne qualité, mais dès qu’un article parle de la Russie, même de façon très factuelle comme celui-ci, les trolls à 5 roubles sont de sortie…

      • Les amérocains n’ont attaqué personne ces temps-ci ? Afghanistan, Irak, Syrie… Avez-vous déjà vu la carte du Moyen-Orient « reconfiguré » par les néo-conservateurs ?
        Cela dit les Russes défendent mieux les valeurs Occidentales que tous les occidentaux réunis.

  • Bonjour Monsieur Parmentier,
    En tant qu’analyste, n’auriez-vous pas beaucoup plus à nous dire, et à commenter, sur :
    [[[(1)]]] £’étrange obstination des candidats en difficulté ((un peu partout dans le monde)) à prôner ((supplier leurs partisans)) de s’ABSTENIR de donner leur point de vue? Il semblerait plus courageux d’appeler au vote blanc ou au vote nul, pour pouvoir au moins ƒaire apparaître quelle est leur audience dans l’électorat ;
    [[[(2)]]] £’incapacité des « petits candidats » promis à une raclée peu enviable, à ƒaire Cause-commune, même si c’est ƒorcément douloureux de reconnaître quelques mérites à ses adversaires. Ce n’est pourtant pas d’hier que date l’histoire des Horace et des Curiace. Un ancien Président ƒrançais ((que je ne dénoncerai pas ici), sachant qu’il ne serait pas réélu, déclarait même « Et alors, j’ai bien le droit de perdre »….. et de ƒaire perdre tout son camp avec lui. Personnellement, j’ai une « sainte horreur » de ces « barouds ‘honneur » ((Sidi-Brahim, Fort Alamo, Cadets de Saumur, Bien Bien Phu…)) décidés dans des Etat-Majors pour le plus grand malheur « des petits, des obscurs, des sans-grades • • • Fourbus, crottés, blessés, malades » comme disait le simple-soldat Flambeau dans « £’Aiglon ».

  • Poutine, c’est la revanche des faibles, des vaincus, des nostalgiques de la « grande » Russie, de l’URSS…
    C’est comme les crises d’urticaires, ça finit par passer.
    Et quand Poutine aura disparu, le pays apparaîtra enfin dans sa nudité crue, au niveau de n’importe quel pays africain ou asiatique d’il y a quelques décennies. Il faudra tout reconstruire.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

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Nicolas Quénel est journaliste indépendant. Il travaille principalement sur le développement des organisations terroristes en Asie du Sud-Est, les questions liées au renseignement et les opérations d’influence. Membre du collectif de journalistes Longshot, il collabore régulièrement avec Les Jours, le magazine Marianne, Libération. Son dernier livre, Allô, Paris ? Ici Moscou: Plongée au cœur de la guerre de l'information, est paru aux éditions Denoël en novembre 2023. Grand entretien pour Contrepoints.

 

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