Comment redonner de la liberté aux agriculteurs ? (8)

Dernier épisode de la série : comment la MSA est en totale inadéquation avec la réalité.

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Comment redonner de la liberté aux agriculteurs ? (8)

Publié le 13 mars 2018
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Par Laurent Pahpy.
Un article de l’Iref-Europe

La mutualité sociale agricole (MSA) n’a rien d’une mutuelle puisqu’elle détient le monopole national de la couverture sociale de la population agricole et des ayants droit.

À ce titre, cette institution ne repose pas sur un financement volontaire, qu’il soit assurantiel ou mutualiste. La MSA redistribue les cotisations obligatoires pour l’assurance maladie, les accidents du travail, les retraites, les retraites complémentaires, les allocations logement et les prestations familiales.

Les exploitants, les employeurs, les salariés d’exploitations, d’entreprises, de coopératives et d’organismes professionnels agricoles sont forcés de cotiser pour ce régime sous tutelle de l’État.

 

La mutualité sociale agricole, la défaillance du système de retraite par répartition

En 2016, 26,9 milliards d’euros de prestations ont été distribués à 5,6 millions de bénéficiaires pour seulement 1,2 million d’actifs affiliés en équivalent temps plein. Le nombre de retraites versées par les régimes agricoles s’élève à 3,9 millions. D’après la MSA, en équivalent temps plein, on compte 2,6 retraités de droit direct âgés de 65 ans et plus pour un cotisant actif.

Ce déséquilibre actifs-retraités prononcé provient de la chute continue du nombre d’emplois agricoles depuis des dizaines d’années.

Et cette évolution ne semble pas s’arrêter : en 10 ans, le nombre d’exploitants et de chefs d’exploitations agricoles a baissé de près de 100 000, passant de plus de 600 000 en 2005 à moins de 500 000 en 2015, ce qui suit la tendance de l’augmentation de la productivité depuis plusieurs dizaines d’années (voir partie 1).

La MSA est donc la démonstration criante de l’inadéquation du système de retraites par répartition avec les besoins des retraités actuels et futurs. Incapable de s’adapter aux évolutions technologiques du secteur et aux gains de productivité, la redistribution intergénérationnelle précarise l’ensemble des retraites et impose une charge insoutenable aux actifs qui ne peuvent financer une telle pyramide de Ponzi. À l’opposé total de la prétendue garantie de revenus défendue par les pourfendeurs du système de retraite par capitalisation, le système de retraite par répartition ne peut que faire faillite.

Le contribuable et les cotisants des autres régimes de retraite sont alors contraints de financer ce déficit par des contributions publiques (27 % des produits de la MSA), des transferts d’autres organismes de sécurité sociale (31 %) et la CSG (7 %), comme présenté figure 7. Les cotisations sociales des agriculteurs ne couvrent que 25 % des prestations.

Figure 7 : Les produits par nature au régime agricole : 32,4 milliards d’euros en 2016 (0,4 milliard de déficit)Source : Commission européenne, {Study on agricultural interbranch organisations in the EU}, 2016

 

 

Le fonctionnement de la MSA est aussi critiqué pour sa gestion

La Cour des comptes considère que « les gains d’efficience n’ont pas été suffisamment mobilisés » concernant la rationalisation des structures. Les frais de gestion s’élèvent à 4 % des prestations.

La MSA est dirigée par des administrateurs des caisses élus par des délégués cantonaux, eux-mêmes élus par les usagers de la MSA. Cette gouvernance est lourde : 24 000 délégués sont élus alors que le Code rural et le code de la Sécurité sociale laissent très peu de marge de manœuvre, en témoigne l’intérêt des « adhérents » de la MSA pour leur « mutuelle » : en 2015, le taux de participation aux élections a à peine dépassé 30%.

Face à la précarité et à la situation sociale désespérée d’une partie de la population agricole, la MSA distribue ou fournit des aides d’urgences :

  • prime d’activité (254 000 demandes en 2017 pour 204 333 personnes couvertes),
  • revenu de solidarité active (54 110 bénéficiaires en avril 2017),
  • couverture maladie universelle complémentaire (137 814 personnes en 2016 en augmentation de 8 % par rapport à 2015),
  • aide à la complémentaire santé (62 823 personnes en 2016, en augmentation de 14 % par rapport à 2015),
  • allègement de charges (560 millions d’euros en 2016),
  • dispositif « Aide au répit pour lutter contre les risques psychosociaux et l’épuisement professionnel »,
  • ateliers de l’inclusion, « Avenir en soi », « Parcours confiance », …

 

Ces aides d’urgence sont pourtant aussi précaires que coûteuses. Plutôt que d’avoir un discours de vérité et d’assumer le fait que certaines exploitations ne peuvent plus continuer, l’État subventionne des fermes non compétitives.

Cela crée une illusion de survie qui entraîne une véritable misère et le désespoir d’une grande partie des agriculteurs, comme le démontrent les pertes de revenus et les taux de suicide cités en première partie.

Ce ne sont malheureusement pas des rustines de soutien d’urgence avec l’argent du contribuable qui régleront le problème de la rentabilité des exploitations et du déficit colossal du système de retraite.

Il faut d’une part assumer le fait que l’emploi agricole n’est pas une fin en soi et d’autre part qu’un certain nombre d’exploitants devraient tourner la page et engager leur reconversion professionnelle. Concernant le système de retraite, de nombreux exemples étrangers constituent de véritables modèles de réformes pérennes et réussies.

Une étude de l’IREF a notamment comparé le système français aux systèmes chilien, suédois et néerlandais dans lesquels la retraite est assurée de manière partielle ou totale par des fonds de pension.

« La MSA est un exemple criant de la nécessité d’une refonte totale du système de retraite monopolistique français. En plus d’une gestion particulièrement dispendieuse, ce système de répartition insoutenable, véritable système de Ponzi, doit être radicalement repensé et réorienté vers un système par capitalisation, privé et mis en concurrence. Cette réflexion ne peut que s’envisager dans le cadre général des retraites comme l’a déjà proposé l’IREF. De la même manière, l’assurance santé peut être réformée et réorientée vers un système mutualiste, véritablement privé et mis en concurrence. Les problèmes sociaux des exploitants les moins compétitifs ne peuvent plus faire l’objet d’une perfusion d’argent public illimitée. Les politiques protectionnistes vis-à-vis de ces exploitations doivent cesser pour que ces agriculteurs puissent envisager sereinement une restructuration ou une reconversion professionnelle. »

 

Rétablir la liberté d’entreprendre

Le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, prône « une agriculture qui soit intensive en emploi plutôt qu’en engrais et produits phytosanitaires ».

En plus de témoigner d’une méconnaissance du métier des paysans (pas de culture possible sans engrais ni produits phytopharmaceutiques, même en agriculture dite biologique), cette phrase résume à elle seule le dogme dans lequel est enfermée l’agriculture française.

Selon cette vision, l’agriculture doit être familiale, sur de petites exploitations et tout doit être fait pour enrayer la baisse de l’emploi agricole liée aux gains de productivité. Elle ne doit pas non plus chercher à obtenir une production saine (pas de produits phytopharmaceutiques), à être productive (pas d’engrais) tout en refusant le progrès scientifique et technique (interdiction des OGM, principe de précaution).

Ce dogme se traduit par un dirigisme économique qui a des conséquences désastreuses pour ceux qui le subissent. Il est désormais interdit aux agriculteurs de choisir leurs avantages concurrentiels et de s’adapter à la demande. Beaucoup se retrouvent alors enfermés dans un modèle non compétitif sous le poids de la technostructure administrative.

Les premiers à bénéficier de ces politiques publiques sont les syndicats (surtout la FNSEA), les corporations et les organismes parapublics qui, grâce à ce dogme, trouvent des justifications à leurs privilèges légaux : planification du marché, subventions, taxes et parataxes, cotisations volontaires obligatoires, redistribution forcée, normes obligatoires, réglementations, consultations et commissions obligatoires, limitations de la concurrence jugée « déloyale » ou encore monopoles industriels et intellectuels.

Les défis propres au secteur agricole tels que la volatilité des prix, la gestion des nuisances environnementales, l’adaptation au changement climatique, la mondialisation des échanges ou les innovations technologiques ne sont pas des fatalités. Ils demandent une innovation et une évolution continues des pratiques et des structures agricoles. Toutefois, ces défis peuvent être surmontés sans interventionnisme public comme le démontrent le cas néo-zélandais et toutes les initiatives privées des agriculteurs de par le monde.

La concurrence est nécessaire pour une agriculture française compétitive et durable. Elle permet aux consommateurs de choisir ce qui convient le mieux à leurs besoins. Elle incite les agriculteurs à évaluer sans cesse les meilleures options pour répondre à ces demandes et à innover pour trouver des solutions à leurs défis. La technostructure administrative décrite dans cette étude ne fait qu’introduire des entorses à cette concurrence.

Ce rapport ne défend ni une vision particulière de l’agriculture ni l’absence de coopération ou de solidarité entre les agriculteurs. Ces derniers pourront toujours s’organiser de manière associative et volontaire. Ils ne devraient toutefois pas pouvoir imposer leurs choix à leurs consommateurs et à leurs concurrents qui décident de ne pas faire partie de leurs associations.

Dès lors que les consommateurs consentent à payer pour les produits qu’elle délivre, l’agriculture dite biologique ou traditionnelle saura trouver sa place, comme d’autres formes d’agricultures plus conventionnelles et comme les futures formes d’agriculture que nous ne connaissons pas encore et qui naîtront de l’innovation.

 

Les propositions de l’IREF

Afin de libérer les agriculteurs français du joug administratif, l’IREF fait les propositions suivantes :

1. Le périmètre d’intervention de l’État doit être drastiquement restreint. Les missions du ministère de l’Agriculture doivent se limiter aux services administratifs propres à toute activité économique. Cela implique une réduction significative de sa taille, voire sa suppression, tout comme ses administrations déconcentrées.

2. Comme tout entrepreneur, un exploitant doit avoir le droit de produire ce qu’il désire, en qualité et quantité souhaitées. Toute forme de contrôle monopolistique de l’offre doit être éliminée.

3. Il est indispensable de repenser la création de normes en responsabilisant l’agriculteur tout en réduisant la réglementation. Il serait pertinent d’adopter la politique consistant à supprimer préalablement deux ou trois réglementations existantes pour toute nouvelle réglementation décidée par l’UE ou l’État. Le droit coutumier, la responsabilité civile et pénale et la concurrence normative ne devraient pas être négligés pour allier compétitivité et gestion des nuisances environnementales associées à l’agriculture.

4. Face aux effets pervers des subventions, il est urgent de rétablir les signaux de marché, libérer le pouvoir d’achat du contribuable, laisser les exploitations les plus compétitives innover et concurrencer celles qui sont sous perfusion d’argent public. Il faudrait envisager les négociations sur la PAC post 2020 avec une stratégie de sortie progressive et définitive du financement forcé de l’agriculture européenne par le contribuable, comme cela a été fait dans plusieurs pays du monde. FranceAgriMer et l’ASP pourront alors être supprimés.

5. Un agriculteur doit pouvoir disposer de sa propriété et des fruits de son travail comme il l’entend avec ceux qui sont disposés à échanger avec lui. En ce sens, le contrôle des structures et les SAFER peuvent être supprimés sans délai. Toute forme de soutien public à l’installation des jeunes agriculteurs doit être abandonnée.

6. Il faut privatiser et mettre en concurrence les chambres d’agriculture tout en mettant fin à la TATFNB et aux subventions publiques qui leur sont allouées afin de ne plus faire financer la défense des intérêts particuliers d’une corporation par le contribuable. Les agriculteurs pourront ainsi retrouver leur liberté syndicale (et par conséquent celle de ne pas se syndiquer) et ne plus être soumis à un système représentatif majoritaire, contraire à la liberté d’association. Les missions administratives réalisées jusqu‘à présent par les chambres d’agriculture pourront alors être transférées aux services déconcentrés de l’État. De manière générale, toutes les activités de conseil aux agriculteurs devraient être libérées, privatisées et mises en concurrence.

7. En violation avec la libre concurrence et la libre association, les interprofessions doivent perdre toutes leurs prérogatives légales et leur caractère contraignant. Leur financement doit rester strictement volontaire et limité à leurs membres, sans aucun lien légal ou financier avec les institutions publiques. En ce sens, les CVO et les subventions qui leur sont allouées peuvent être supprimées sans délai.

8. La MSA, symbole de l’échec du système de retraite par répartition, doit servir d’exemple pour une réforme plus globale vers un système par capitalisation en permettant la création de fonds de pension afin d’assurer une véritable retraite aux agriculteurs. La MSA doit être privatisée et mise en concurrence pour en faire une véritable mutuelle. Les retraités actuels de ce régime peuvent être transférés au régime général. Les problèmes sociaux des exploitants les moins compétitifs ne peuvent plus faire l’objet d’une perfusion d’argent public illimitée. Les politiques protectionnistes vis-à-vis de ces exploitations doivent cesser pour que ces agriculteurs puissent envisager sereinement une restructuration ou une reconversion professionnelle.

9. Les syndicats d’agriculteurs ne devraient recevoir aucun financement public et ne reposer que sur les cotisations volontaires de leurs membres.

10. Enfin, pour les mêmes raisons que celles invoquées ci-dessus, les organismes publics et parapublics suivants peuvent être privatisés et mis en concurrence tandis que toute forme de soutien public ou de financement obligatoire peut être aboli pour :

  • le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER),
  • l’institut national de l’origine et de la qualité (INAO),
  • l’Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer,
  • l’Institut français du cheval et de l’équitation,
  • le Pari mutuel urbain (PMU),
  • l’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique.

 

Dans son étude sur les suicides des agriculteurs, Santé publique France liste une série de facteurs aggravants pour les agriculteurs déprimés tels que les « problèmes de modernisation, de normes écologiques à respecter, de procédures administratives lourdes ou encore […] de transmission de l’exploitation ».

Il est urgent de redonner le droit aux paysans d’être de véritables entrepreneurs sur leurs terres et d’éliminer la technostructure d’État dont le rôle consiste ni plus ni moins à leur casser les genoux au nom de considérations arbitraires pour leur offrir a posteriori des béquilles avec l’argent du contribuable.

Une telle réforme affectera probablement lourdement les structures agricoles actuelles et accélérera la reconversion d’un certain nombre d’exploitations. Mais elle est nécessaire et plus elle sera retardée, plus l’adaptation sera violente.

Les agriculteurs français disposent des terres, du climat et des talents nécessaires pour répondre aux attentes des consommateurs et pour relever les défis de notre époque. Laissons-les révolutionner l’agriculture de demain.

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