La transparence, nouveau fantasme politique ?

Va-t-on vers une « idéologie de la transparence », qui comblerait en réalité un manque de démocratie ?

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Wikileaks van by Jagz Mario(CC BY-SA 2.0)

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La transparence, nouveau fantasme politique ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 11 mars 2018
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Par Farid Gueham.
Un article de Trop Libre

Aujourd’hui, l’idéalisation médiatique de la transparence en fait une vertu, au nom de laquelle le vol et la publication d’écoutes et de documents secrets en tout genre seraient légitimes (…) car la transparence n’est pas plus une vertu que le secret.

Ce sont les deux faces d’une médaille, qui constituent avant tout des techniques politiques, judiciaires et médiatiques, dans un exercice du pouvoir « normal », et non pas machiavélique ou totalitaire. La politique est ainsi l’art de voiler et de dévoiler.

Pour Daniel Soulez Larivière, notre passion toute contemporaine pour la transparence, dans les médias, l’information et notre rapport à la politique, est ambiguë. Le point d’entrée vers un monde manichéen où tout serait forcément bon à dire.

Le temps du secret et le secret du temps

Sur le plan international une vague de transparence déferle sur les médias : des révélations d’Edward Snowden, aux écoutes des conversations d’Angela Merkel, personne n’est épargné. Au niveau national, des indiscrétions de Patrick Buisson, conseiller de l’ancien président de la République aux écoutes de l’avocat de ce dernier, maître Thierry Herzog, les épisodes foisonnent, comme autant de marqueurs d’un mouvement de fond, révélateur de notre époque.

Le bourreau du jour n’a pas de hache, c’est l’opinion publique qui, versatile, peut tuer un jour et sauver l’autre jour… le même.

Le lanceur d’alerte, ce nouveau héros

Ce fils de pute est un héros national, son procès est annulé, le New York Times a reçu le prix Pulitzer et maintenant nous sommes pris dans une histoire de voleurs ! Mais qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?

C’était la réaction de Richard Nixon, suite aux révélations de Daniel Ellsberg, le premier lanceur d’alerte moderne, livrant un rapport de 7000 pages sur la guerre du Vietnam aux médias américains. Un document qui illustrait de façon implacable les erreurs, les mensonges et les petits arrangements avec la vérité de plusieurs gouvernements américains.

Si Nixon n’était pas favorable à des poursuites, Henry Kissinger finit par le convaincre. Daniel Ellsberg vit l’ensemble de ses charges rejetées à cause des irrégularités commises par le gouvernement, pour que son procès soit finalement annulé.

Il existe, bien entendu, des points communs entre cette affaire et celles de Wikileaks, de Bradley Manning, ou d’Edward Snowden : la livraison au public de documents classés secret-défense, divulgués par un fonctionnaire ou un chargé de service public, dévoilant à la presse des informations secrètes.

Mais là ou Ellsberg avait une mission politique (celle d’arrêter la guerre du Vietnam), l’affaire Manning relevait plus du coup médiatique. Dans des domaines économiques, financiers, environnementaux, ou encore de santé publique, les lanceurs d’alertes sont, en théorie, protégés par les lois nationales et même par la Cour européenne des droits de l’homme.

Les États-Unis sont un peu plus hypocrites en la matière, puisque s’il existe une loi le Wistlerblower Act de 1989, dont l’application ne concerne que les citoyens américains. Elle ne protège, pour ainsi dire que les fonctionnaires fédéraux. Ni Assange, ni Manning, ni Snowden, tous étrangers.

La politique de la transparence

Des écoutes de Liliane Bettencourt à celle de Nicolas Sarkozy, de notre volonté d’abolir le décalage entre le confidentiel et le public, de la professionnalisation de la fonction de lanceur d’alerte, ressort l’idée d’un manque, d’une quête, mais de quoi ? Daniel Soulez Larivière s’interroge :

La société tout entière se tord dans son lit pour chercher un sommeil plus confortable et un réveil plus tonique. Quel est ce manque qui remonte à la naissance de la démocratie représentative ? Symétriquement, qu’est-ce qui ne manque pas ?

Les années de la présidence De Gaulle ne présentaient pas de « vide » : c’était le temps de la maîtrise, du silence aussi. Une France qui sort d’une guerre qu’elle a perdue et dont le général héros affirme qu’elle est gagnée. C’est la France du discours orchestré, la France qui ne bronche pas, celle qui a souffert de la faim, de la privation et qui mangera ce que l’on veut bien lui donner.

Après 1968, c’est la participation qui est mise à la mode par René Capitant : de référendum en consultation, émerge la préfiguration de notre transparence actuelle.

Peut-être l’idée de participation était-elle le symptôme d’un problème non réglé du système politique caché dans la boîte de Pandore française. 

Car pour l’auteur, rien n’est plus contraire à la politique que la transparence. Pire encore, c’est l’idéologie de la transparence qui serait dangereuse, et si la publicité vient avec son contraire, à savoir le secret, la transparence a quelque chose du fantasme, comme une pièce de monnaie à travers on pourrait voir passer la lumière, gommant les côtés pile et face.

Et si la solution pour ré-enchanter notre vie démocratique était ailleurs?

Ce sont d’autres techniques ou d’autres vertus, ou d’autres techniques vertueuses, qu’il faudrait inventer pour combler le manque démocratique qui, depuis le Révolution, s’aggrave exponentiellement, et contenir du même coup cette gangrène conceptuelle qui occupe le corps social et le dévoie vers de dangereuses illusions.

Comment la solitude démocratique se nourrit de la transparence

Derrière l’écran de son ordinateur, lui-même relai de son écran de télévision, le citoyen se sent « solitaire réellement, mais solidaire virtuellement ». L’opposé d’un habitant d’une vraie ville ou d’un village, qui vivrait la solitude et la solidarité dans sa chair. Facebook et les réseaux sociaux permettent de s’exposer, de donner à voir, d’assouvir un besoin de se raconter.

L’isolement démocratique décrit par Tocqueville favorise toutes les occasions de s’exposer au regard de l’autre, au moyen de l’écran de la télévision, de l’ordinateur, ou de la radio. Cette individualisation comporte une part de souffrance dont l’antidote est la volonté de se rendre et de rendre l’autre transparent.

Pour d’autres, à l’instar de Pierre Rosanvallon dans son ouvrage Le Parlement des invisibles, cette transparence horizontale serait l’antidote à l’isolement. Se raconter, dans un livre, sur blog, ou un site, pour former des communautés d’expérience, avec lesquelles on se sentira proche.

Se pose enfin la question de savoir qui peut assumer cette fonction de dévoiler et à contrario, celle de voiler ? Qu’il s’agisse de conflit opposant un État à un de ses citoyens, ou même un litige international, la figure du juge semble s’imposer. Et même lorsqu’il s’agit de rendre la loi, la transparence absolue n’est pas de rigueur.

Que le véritable ami des libertés s’en tient à une conviction ; mis à part les contes de fées où le faible devient fort, il n’est en dernière instance qu’un seul garant matériel pour les libertés effectives. Nécessaire, même s’il n’est pas suffisant, il consiste dans le droit au secret, garanti au plus faible à l’égard du plus fort.

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Le lanceur d’alerte avait de sérieux espoirs d’y échapper pour trois raisons :

Un état de santé préoccupant La liberté d’expression et le droit à l’information dont son alerte est le symbole La jurisprudence Snowden

 

Ce n’est en effet qu’à l... Poursuivre la lecture

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