Faut-il sauver la langue corse ?

Faut-il officialiser la langue corse ? C’est possible, mais ce n’est pas sans poser quelques problèmes…

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Faut-il sauver la langue corse ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 7 mars 2018
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Par Yves Montenay.

 

Comment disparaissent les langues non officielles ?

C’est une vieille question dans beaucoup de pays qui s’uniformisent linguistiquement, et notamment en France. Cette question a été une fois de plus d’actualité avec la revendication de co-officialité du corse, et la réflexion « Si la langue corse n’est pas co-officielle, elle est morte ».

À mon avis, c’est vrai techniquement. Reste à savoir s’il faut sauver telle ou telle langue, et au prix de quels problèmes…

 

Langue officielle et langue locale

Faisons un tour d’horizon géo–historique purement technique et indépendant des questions d’identité.

Il faut distinguer les pays où la scolarisation est incomplète de ceux où la scolarisation est totale et dans une langue unique comme c’est le cas en France et de nombreux autres pays, et enfin évoquer le cas tout à fait différent de ceux où la scolarisation est totale mais plurilingue, parce que la langue locale est co-officielle, ce que demandent justement les Corses.

Pour simplifier je vais appeler « langue officielle » celle de l’école et de l’administration et « langue locale » les autres langues.

 

Dans les pays où la scolarisation est partielle

Dans les pays où la scolarisation est incomplète, les langues locales ne sont pas menacées à court terme, car les non scolarisés ne connaissent que peu ou pas la langue officielle;

Il faut donc que ceux qui sont scolarisés la pratiquent dans la rue, et même dans leur famille si leurs parents ou grands-parents n’étaient pas scolarisés, ce qui est fréquent en Afrique.

Néanmoins la langue officielle contamine des langues locales pour plusieurs raisons.

Elle est nécessaire dans certaines situations, et a souvent un prestige social (le français au Maghreb et ailleurs)

Elle a un vocabulaire plus étendu (dans le cas du français, tout le corpus littéraire, pédagogique, juridique, commercial, scientifique…), et ce vocabulaire gagne les langues locales. Bien entendu ce raisonnement s’applique d’autant plus que la langue locale n’est pas écrite, n’a pas sa propre littérature et est parfois spécialisée géographiquement et professionnellement (en Afrique, la langue des pêcheurs habitant les rives d’un fleuve). Et il s’applique d’autant moins que la langue locale (le provençal en France) a au contraire une littérature, et s’est développée dans un milieu qui génère en partie le même vocabulaire que la langue officielle.

Donc la langue locale évolue, ce qui pose un problème supplémentaire pour ses partisans, car si on la fige pour qu’elle devienne officielle ou du moins soit enseignée avec une version écrite, elle ne reflétera plus les variantes locales (il y a trois dialectes différents en Corse), sera toujours en retard dans son rapprochement avec la langue officielle (cas des Créoles des Antilles françaises, ou de l’occitan formel ) et ne sera plus vraiment une langue locale parlée par la population. Bien entendu ce genre de considération est écarté par les partisans de l’officialisation des langues locales, même si ils l’admettent en privé.

 

Dans les pays où la scolarisation est totale

Lorsque la scolarisation est totale et en langue officielle seulement, s’applique souvent la règle de la disparition de la langue locale en trois générations.

  1. Dans un premier temps les enfants adoptent entre eux la langue de l’école (et leurs parents les y encouragent souvent en pensant à leur avenir professionnel).
  2. Devenus parents à leur tour, ils continuent à parler la langue officielle autour d’eux et la transmettre à leurs enfants.
  3. Seuls les contacts avec les grands-parents maintiennent une certaine connaissance de la langue locale, qui disparaît avec eux.

 

C’est ce qui s’est déroulé en France depuis un peu plus d’un siècle, avec la disparition des langues locales sur la majorité de leur territoire, leur survivance probablement provisoire chez les personnes âgées de leurs anciens bastions (bretons par exemple) et dans des familles militantes appuyées par une scolarité privée.

Cette évolution est assez avancée en Corse où les locuteurs ne seraient que 60 à 80 000 sur 330 000 habitants, et cette transmission des locuteurs à leurs enfants ne serait que de 3 ou 4 %… d’où la nécessité des fameux villages de montagne où l’on envoie des enfants totalement francophones apprendre quelques éléments de corse ; d’où l’insistance sur la co-officialisation, urgente pour que la langue ne disparaisse pas.

Et que se passerait-il alors ?

 

Les nombreux exemples de co-officialité sont instructifs

Attention, je pense à la co-officialité à un même endroit, ce qui serait éventuellement le cas en Corse, et non à une séparation géographique comme en Suisse ou en Belgique (hors Bruxelles), où linguistiquement, ces pays sont divisés en régions officielles unilingues où le concitoyen venant d’une autre région doit abandonner sa langue maternelle, même si cet abandon est adouci par le fait que tout Suisse doit en principe avoir de bonnes notions des langues officielles des autres régions.

La consultation des boîtes aux lettres de la Suisse romande montre qu’une partie notable de la population est composée de germanophones assimilés. Et probablement réciproquement à Zurich.

J’ai particulièrement étudié le cas des rares communes bilingues de Suisse, celui de Bruxelles, du Luxembourg, celui du français hors Québec au Canada, et celui du gallois et gaélique au pays de Galles et en Irlande, mais les quelques échos d’ailleurs font apparaître des problèmes analogues. En gros c’est compliqué, parfois coûteux, mais ça peut marcher si une grande partie de la population y est favorable et prête en supporter les inconvénients.

 

Les répercussions sur l’emploi

Un des problèmes est celui des répercussions sur l’emploi. En effet, l’officialisation suppose que tout citoyen puisse être servi par l’administration, et au moins dans une partie de l’enseignement dans la langue devenue co-officielle.

Or là où la population n’est pas linguistiquement homogène (Montréal, Toronto, pays de Galles, Ajaccio,…), ça veut dire qu’il faut que les fonctionnaires soient bilingues. Ces emplois ne sont donc pas accessibles à tous, et en particulier à ceux qui viennent d’autres régions ; en pratique cela crée une inégalité en faveur d’une partie des locaux au détriment de leurs concitoyens. De plus n’est pas certain qu’il existe suffisamment de gens qualifiés bilingues pour certaines spécialités.

Toute la question est de savoir si les Corses sont prêts à cela. S’il est normal que les militants l’exigent, parce que sinon la langue aura bientôt disparu, je suis personnellement un peu sceptique sur la suite quand la population mesurera la complication que cela entraînerait.

Et de toute façon, même quand la co-officialité est bien respectée, la langue majoritaire, comme l’anglais hors Québec au Canada, ou encore l’anglais au pays de Galles et en Irlande, finit par faire disparaître la langue locale, encore une fois sauf exceptions très locales ou militantes. Cela fait dire aux sceptiques : « que de mal pour pas grand-chose ! »

Cela n’empêche pas une certaine liberté avec des créneaux pour les cours de corse dans l’emploi du temps scolaire, mais je crois que la loi française le permet déjà.

Sur le web

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  • Il y a une enorme difference entre un suisse de langue allemande et un corse de langue corse……Le suisse parle une langue majeure en Europe tandis que le corse…..

  • Si une langue n’est pas capable de survivre sans que le gouvernement en impose l’usage officiel, elle ne le mérite pas.

    • Je ne suis pas sûr que le mot « mérite » soit bien choisi. De moins en moins de gens écoutent Brassens et lisent Ronsard ; peut-on pour autant sérieusement prétendre qu’ils « méritent » de disparaître ? Alors certes je ne demande pas que le gouvernement impose de faire connaître ces deux génies, mais en tout cas je déplore leur disparition…
      Deuxième point : je comprends ce que vous voulez dire quant au rôle de l’État, mais il ne faut pas oublier que, pour ce qui concerne les langues régionales, leur extinction trouve ses causes à la fois dans le processus décrit par l’article et dans une politique linguicide, consciente et parfaitement assumée, commise par les dirigeants français dès la Révolution et poursuivie sous diverses formes jusqu’à nos jours. On appelle cela la Vergonha, vous pourrez en apprendre plus à ce sujet sur Wikipédia. L’article existe en plusieurs langues régionales ainsi qu’en espagnol, russe, anglais… mais pas en français, étonnamment !

      • L’usage officiel n’est pas simplement la reconnaissance, mais une pénalité pour tous ceux qui ne parlent pas la langue, qu’il devient facile de tromper et d’exclure. On quitte là le domaine légitime de la défense d’une culture pour entrer dans celui de la basse vengeance : on a défendu à mon grand-père de cracher par terre et parler breton, j’ai donc un compte à régler avec les descendants de ces autoritaires et je vais utiliser l’absence de connaissances linguistiques des francophones pour les berner en toute légalité !

        • Je suis favorable à la reconnaissance mais pas à l’usage officiel. Je considère seulement que déclarer qu’une langue « mérite » de disparaître n’est pas l’expression appropriée.

      • La vergonha, ce n’est pas le nom d’un processus ni d’une « politique linguicide », c’est le mépris qu’étaient censés acquérir les jeunes envers les anciens qui ne parlaient pas le français.
        L’article en anglais est très violent et anti-français, mais dans les autres langues et notamment en russe (et même en catalan), il est édulcoré.

        • En effet, j’ai pris un raccourci, la Vergonha est le résultat de cette politique linguicide, qui n’est pas une chimère contrairement à ce que vous semblez avancer.

  • Pour éviter les conflits entre Wallons et Flamands , les belges utilisent l’Anglais dans les entreprises. Le latin est bien une langue morte, alors pourquoi pas le Corse ou le Breton … ou le Français.

  • La meilleure manière de conserver une langue régionale c’est que les parents l’utilisent avec leurs enfants, en suite pour se perfectionner, à l’école mais en dehors des cours classiques (qu’on les les considèrent bon ou mauvais), ceux de la République, le soir en étude, les mercredi après-midi et les samedi matin des cours spécifiques.
    On peut imaginer un jeune Corse ou Breton trouvant un super emploi en Guyane, je ne sais pas si le parlé régional présentera un intérêt pour lui et son employeur… Mais je pense réellement qu’il faut favoriser l’enseignement des langues régionales quelles qu’elles soient, c’est une ouverture d’esprit. Ne pas oublier toutefois que l’enseignement est déjà lourd pour les lycéens et étudiants du supérieur, et il faut que cela reste non pas un loisir mais un plaisir d’autre part, notre langue nationale n’est pas ce qu’il y a de plus simple et que les langues les plus parlées dans le monde sont le chinois, l’espagnol, le russe et l’anglais (surement dans un savant désordre mais l’anglais et peut-être le plus parlé en seconde langue).
    Il faudrait également que ceux qui, en France, donnent les cours de langues étrangères trouvent une autre méthode car les les résultats sont très loin d’être merveilleux et ce n’est pas avec joie que l' »ON » va en cours d’English… (Je suis mal placé pour dire cela, je n’étais pas spécialement copain avec mes profs de français non-plus)

  • Actuellement en Catalogne il existe officiellement un bilinguisme depuis de nombreuses années.
    En pratique, l’idéologie et le recrutement orienté des enseignants associé à une intimidation quotidienne ont actuellement abouti au fait que si l’on s’exprime en Castillan (Espagnol) on ne vous répond pas ou on vous fait remarquer si vous êtes étranger que c’est espagnol et non Catalan.
    Compte tenu de l’idéologie et de la pression exercée par les nationalistes Corses, il y a fort à parier que l’on observera la même chose en Corse avec quelques « bombes » en plus.

  • Les commentaires sont fermés.

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