Routes meurtrières en Côte d’Ivoire : comment arrêter l’hémorragie ?

En 15 jours, la route a déjà fait 10% des décès de l’ensemble de l’année 2017. À ce rythme, elle ferait trois fois plus de victimes en 2018 qu’en 2017.  La cause humaine est à 95 % à l’origine des accidents selon le ministère.

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voiture credits billy wilson (licence creative commons)

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Routes meurtrières en Côte d’Ivoire : comment arrêter l’hémorragie ?

Publié le 28 février 2018
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Fangnariga YEO.
Un article de Libre Afrique

Du 1er au 15 janvier 2018, le pays a enregistré 1458 accidents de la circulation avec un bilan de 3225 blessés et 81 décès selon les chiffres livrés par le ministère de la Santé et de l’hygiène publique. La capitale économique, Abidjan, totalise 47,04% de ces accidents. En 15 jours, la route a déjà fait 10% des décès de l’ensemble de l’année 2017. À ce rythme, elle ferait trois fois plus de victimes en 2018 qu’en 2017.  La cause humaine est à 95 % à l’origine des accidents selon le ministère. Est-ce un problème de trait de caractère ? Est-ce la réaction à un environnement défavorable au civisme routier ?

Un environnement favorisant l’incivisme au volant

Depuis belle lurette, on assiste à la perte de vitesse de l’éducation traditionnelle et citoyenne dans la société ivoirienne. Une tendance au gain facile s’est aussi incrustée dans la culture ivoirienne. Ce qui engendre l’effritement du respect des normes et des valeurs. D’où l’incivisme qui gangrène la société ivoirienne. Cela dit, au-delà des prédispositions des uns et des autres, il existe également un environnement (règles de jeu encadrant la conduite) qui facilite/incite les conducteurs à violer l’esprit de la loi.

En effet, pendant longtemps les agents de police chargés de veiller au respect du Code de la route, jouissaient d’un pouvoir discrétionnaire dans l’interprétation des lois conjugué à l’absence de contrôle de ces mêmes policiers.

De ce fait, les conducteurs de véhicules transportant des marchandises ou servant au transport en commun devenaient assujettis au racket au point qu’ils avaient tous les documents requis et respectaient le Code de la route.

Les différentes campagnes de lutte contre le racket ont permis une petite réduction mais la pratique n’a pas disparu. Face à cette norme parallèle, les conducteurs proposent régulièrement de l’argent aux agents de police pour leur permettre de circuler lorsque les papiers du véhicule ne sont pas au complet ou qu’eux-mêmes ne remplissent pas toutes les conditions pour conduire. Le nombre croissant de conducteurs mineurs et inconscients dans le transport en commun en est une illustration.

Aussi, le système rentier d’agréments, basé sur le clientélisme et le favoritisme,  rend le coût des dépenses d’investissement et d’exploitation élevé, notamment les taxes étatiques (dédouanement des véhicules, patente, visite technique, péage, etc.), communales, et l’assurance constituent un réel poids financier pour les propriétaires de véhicules. Plumés par ces coûts, ils exploitent les conducteurs en fixant des recettes journalières surréalistes. Ces conducteurs sont aussi exploités par les Gnambros (groupe mafieux) qui les harcèle et exige des taxes illégales en usant de violences. Tout cela pousse les conducteurs à l’incivisme routier pour obtenir la recette journalière. Cela s’illustre surtout lors des heures de pointes où ces derniers roulent sur le trottoir.

Par ailleurs, la défaillance de la régulation des auto-écoles par les services de tutelle du ministère du Transport favorise la corruption de certains moniteurs d’auto-écoles qui exigent des pots de vin lors des évaluations. Cette pratique est presque devenue une norme informelle. Ceux qui refusent de payer ses pots de vin échouent maintes fois à l’évaluation. Leurs échecs finissent par les contraindre à les payer afin d’être admis. C’est pourquoi certaines personnes obtiennent le permis sans avoir réellement suivi la formation.

Des incitations positives pour responsabiliser les automobilistes

Pour amener les automobilistes à être plus responsables au volant, il convient de changer le contrat et les règles encadrant la relation entre les propriétaires de véhicules et les conducteurs, les conducteurs et les agents de police, les conducteurs et les auto-écoles.

Le but étant d’inciter les chauffeurs à la bonne conduite. Ainsi, convient-il de réduire en amont les coûts connexes au transport. Pour ce faire, le gouvernement ivoirien pourrait revoir à la baisse les taxes payées par les transporteurs, et propriétaires de véhicules.

Cet allègement pourrait se faire contre la mise en place d’une fourchette raisonnable des recettes journalières issues de discussions décentralisées entre les représentants des propriétaires et ceux des conducteurs. Par ailleurs, ces discussions pourraient faciliter la définition d’un statut de ces conducteurs leur permettant de mieux jouir des fruits de leur travail.

Dans cet élan, le gouvernement ivoirien pourra prendre les mesures nécessaires pour mettre fin au règne des Gnambros et de toutes les taxes illégales. L’assouplissement du système rigide actuel des agréments, et son abolition à terme, permettra de supprimer les rentes des propriétaires et réduira l’incitation à exploiter les conducteurs. Ces derniers pourraient bénéficier du statut d’auto-entrepreneur avec des facilités réglementaires, fiscales, financières pour acquérir des voitures (via  du microcrédit) pour assainir le marché des pratiques d’un autre âge.

En outre, pour mettre fin à la tentation de corruption entre agents de la police et conducteurs, la gouvernance électronique pourrait être une alternative pour limiter tout contact entre les agents de l’État et les usagers. La politique de vidéo surveillance initiée par le gouvernement devrait s’étendre à d’autres grandes villes et pourrait être utilisée pour le suivi des agents. Ce suivi pourra être renforcé par des contrôles inopinés de la police anti-racket. Le paiement des frais de contraventions aux services du trésor devrait être facilité par des guichets dédiés fonctionnant 24H/24.

Quant aux moniteurs d’auto-écoles corrompus, des moyens techniques devront être introduits lors des évaluations pour renforcer la transparence. À cet effet, l’instauration de caméras lors des tests de réussite, donnant la possibilité de contestation aux candidats qui s’estiment lésés ou rackettés, serait une bonne avancée. Un répertoire des auto-écoles pourrait être dressé par le ministère et mis à la disposition des usagers. Une mise à jour annuelle de ce répertoire, appuyée par une notation, serait une bonne innovation. Cela permettrait à tous d’avoir l’information sur les meilleures auto-écoles.

Enfin, il faudrait relancer la réforme du permis de conduire à points suspendue depuis 2016, par le président Alassane Ouattara, suite à une grogne sociale contre la vie chère et au danger que peut représenter la mesure dans un environnement corrompu où les points seraient à la merci d’agents de police tout-puissants.

Pour y arriver, le gouvernement pourrait nouer le dialogue avec les professionnels du transport et les syndicats pour aboutir à un coût consensuel du nouveau permis. L’application de la règle du permis de conduire à points devrait renforcer la responsabilisation des conducteurs. Dans cette réforme, la carotte et le bâton devront être maniés avec dextérité.

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  • Nos si géniaux énarques ont la solution: Radars et vitesse à 80 km/h

  • « il faudrait relancer la réforme du permis de conduire à points suspendue depuis 2016 »

    Heureux citoyens qui ne subissent pas les affres du permis à points.

    On pourrait me rétorquer : oui mais le permis à points, c’est l’assurance d’une baisse des tués sur la route.
    Même pas ! Parmi les mesures qui ont été mises en place chez nous depuis 45 ans, le permis à points est probablement celle qui a eu le moins d’effet sur la mortalité routière.
    Les mesures qui ont été le plus efficaces pour faire baisser la sinistralité routière sont :
    – ceinture et casque obligatoire sur route (en ville, le bénéfice a été quasi nul)
    – toutes les mesures pour limiter ou réprimer l’alcoolémie
    – la rénovation des infrastructures et l’amélioration des véhicules.

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