Génération « J’ai le droit », de Barbara Lefebvre

Un véritable cri de révolte contre toutes les complaisances qui ont mené à la faillite de notre éducation.

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Génération « J’ai le droit », de Barbara Lefebvre

Publié le 28 février 2018
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Plus de quinze ans après « Les territoires perdus de la République » et plus de dix après « Élèves sous influence », Barbara Lefebvre revient avec un ouvrage fort au titre évocateur, véritable cri de révolte contre cette faillite de notre éducation dont le processus inexorable était évident.

Toujours avec la même vigueur. Celle d’une femme déterminée qui entend jouer de toute son énergie pour tenter d’inverser un processus destructeur sur lequel trop de monde a trop longtemps fermé les yeux.

Elle s’érige ainsi contre le triomphe de l’égalitarisme, qui fait trop souvent fi des devoirs, pour privilégier les seuls droits créances (les « droits à »). Fruits du maternage de l’État-Providence, ils entretiennent la confusion avec les droits-libertés traditionnels (les « droits de »), fondamentaux et inaliénables.

Les remises en cause de l’autorité

La délégitimation de l’autorité, sous l’effet des idées dites progressistes des sociologues des années 1970, a entraîné, écrit-elle, la récusation effective de l’autorité des enseignants, policiers, juges, ou encore médecins des hôpitaux publics, avant de s’étendre, sur des modes racialistes et sexistes.

Ces  « dominés » autoproclamés poussent si loin les revendications de leurs droits particuliers, s’enferrent dans tant de contradictions qu’ils produisent un racisme et un sexisme bientôt plus radicaux que ceux qu’ils prétendent combattre. (…) Les militants « racisés », les néoféministes indigénistes et leurs alliés politiques d’extrême gauche ressemblent aux aristocrates décrits par Tocqueville : ils ne voient « leurs semblables que dans les membres de leur caste ». Ce n’est donc pas la fin du lien social qui marque notre époque, c’est bien la fin du lien national.

Cette délégitimation de l’autorité se retrouve également au sein des familles, remettant en cause le rôle éducatif parental et conduisant, in fine, nombre d’enfants à l’échec, la frustration et l’exclusion. Surtout lorsqu’ils s’élèvent ensuite contre l’autorité à l’école, base de l’apprentissage de la coexistence nécessaire en société.

Ce qui mène, en définitive, à une régression du bien commun.

Dans un monde ouvert où tout se vaut, où la légitimité des institutions collectives est récusée au nom des lois individuelles ou communautaires supérieures, où l’on récuse les notes de l’enseignant mais accepte la férocité des classements dans les émissions de téléréalité, des parents, des enseignants et des intellectuels luttent pour éduquer la nouvelle génération. Ils s’efforcent de lui rappeler, contre la doxa, qu’elle hérite d’un monde qui la précède, que toute réussite individuelle passe par une intégration volontaire au sein d’un collectif dont on est l’héritier.

Les démolisseurs de l’école

Se référant au déracinement culturel des dernières générations, dont les conséquences sont avérées sur le tissu social ou le sens civique, Barbara Lefebvre insiste sur les défaillances profondes en matière de transmission de la langue française, le recul du langage engendrant toujours des effets ravageurs, notamment en termes de violence, mais aussi de crédulité, les théories du complot ayant, comme on le sait, plus que jamais la cote auprès d’une jeunesse parfois un peu perdue. Sans omettre les méfaits de la drogue, de l’alcool, de la pornographie et de l’addiction aux réseaux sociaux, dont on ne peut nier l’impact parfois catastrophique, au moins sur une partie de cette jeunesse.

Face à ces constats, il est urgent d’en revenir à ce que – nous avions eu ici l’occasion de l’aborder – Jacqueline de Romilly place au-dessus de tout, et considère comme la « clef de voûte » de l’édifice de ce en quoi elle croit, à savoir l’éducation. Sans laquelle il n’y a que connaissance inutile et convictions irrationnelles, pour paraphraser Jean-François Revel.

 

Le témoignage intéressant d’un professeur confronté à la réalité de l’école au quotidien

 

Mais l’ouvrage, loin d’être théorique, abstrait ou dogmatique, est un excellent témoignage des réalités quotidiennes auxquelles est confronté aujourd’hui un professeur, pris entre les instructions parfois capricieuses, voire souvent pernicieuses, de l’institution et l’incompréhension de nombre de parents, face au malentendu (ou « mensonge » dit l’auteur) de ce qu’est le rôle de l’enseignant et de l’engagement dont devraient faire preuve des parents malheureusement trop souvent désinvestis, aux abonnés absents, ou en position de simples consommateurs, même parfois violents pour certains.

Aux parents l’éducation et aux enseignants l’instruction, telle est la répartition des missions de chacun comme on devrait la concevoir ; ce qui n’empêche pas des échanges et une coopération allant en ce sens.

Au lieu de quoi, dénonce l’auteur à travers un chapitre à part entière, on nous ressert le couplet habituel de « l’égalité des chances », à la fois mensonger et vicié par les théories bourdieusiennes habituelles consistant à inverser les logiques de bon sens, en abaissant perpétuellement les niveaux (contrairement à ce qui est sans cesse affirmé) au lieu de permettre réellement l’accès aux savoirs et à la culture de ceux qu’on devrait avoir pour rôle d’élever.

L’auteur s’en prend ainsi vigoureusement aux méfaits du pédagogisme et aux institutions telles que les IUFM il y a quelques années, les ESPE aujourd’hui, qui ont largement montré leur inefficacité. S’appuyant sur les résultats de multiples enquêtes, elle parle « d’illettrisme de masse » et « d’égalité des malchances », puisqu’aujourd’hui toutes les catégories sociales sont touchées. Et elle met en cause les inepties telles que « l’élève artisan de son propre savoir », qui ont conduit au désastre.

Le seul reproche que je ferais cependant à Barbara Lefebvre, qui me conduira d’ailleurs à imaginer rapidement un nouveau volet de ma série sur « ce que le libéralisme n’est pas » (une bonne occasion de m’y remettre enfin) est son insistance à assimiler théories libertaires et libéralisme en fustigeant de manière répétée ce dernier, utilisant des formules comme « la société consumériste ultralibérale » ou la « concurrence ultralibérale ».

Expressions galvaudées que je ne lui reproche pas outre mesure d’utiliser, comprenant en partie sa colère, si ce n’est qu’elles sont hélas utilisées à mauvais escient. Il ne faudrait pas que notre auteur, de bonne foi, pour qui j’éprouve une très grande sympathie et une vive compréhension (surtout en tant qu’enseignant qui vit en partie les mêmes choses et se bat au quotidien avec la même détermination au service de ses élèves dont il espère favoriser la réussite au maximum), applique à certaines choses ce qu’elle déplore pour d’autres : l’emploi de lieux communs par méconnaissance fondamentale de quelque chose qui, il est vrai, est tristement méconnu sous l’effet d’un dévoiement largement orchestré et des caricatures permanentes auxquelles il donne lieu.

Non, Barbara Lefebvre, le libéralisme ne consiste pas à dévoyer l’instruction et sacrifier la culture pour former une armée de bons petits soldats au service des entreprises ! Mille fois non. Je dirais même que c’est tout le contraire : promouvoir l’épanouissement de l’individu grâce à l’éducation, l’instruction et la culture, à la base de tout. Ce qui lui permettra ensuite de se réaliser et suivre librement le chemin qu’il aura choisi.

Comment l’idéologie a détruit l’éducation

La suite de l’ouvrage revient sur des sujets hélas bien connus : l’effondrement du nombre d’heures de français dans l’enseignement, les méthodes de lecture douteuses qui ont ravagé des générations entières, le recul de la grammaire, le vocabulaire effarant désormais typique de l’Éducation nationale mais révélateur d’un certain état d’esprit, le désintérêt pour la graphie dès le plus jeune âge, le déracinement de la littérature, et toutes ces lubies politiques qui, sous prétexte de « démocratiser » l’éducation, l’ont annihilée.

De même pour l’histoire, discipline que l’auteur enseigne : assemblage hétéroclite de textes, remise en cause de la chronologie, déconstruction, relativisme, moralisme, concurrence mémorielle, anachronismes, allègement des horaires et des programmes, suppression de pans entiers de l’histoire, multiculturalisme, méthodes dites « actives », folie du numérique, etc. Là encore, les considérations politiques, en décalage avec l’intérêt propre à cet enseignement majeur, l’ont emporté et ont emporté avec elles la connaissance et ce qui faisait tout le caractère fondamental de cet enseignement.

Un constat plus large et bien inquiétant

Au-delà de ce diagnostic effrayant de ce qu’est devenu l’Éducation nationale et de l’esprit qui la guide, l’auteur revient sur sa participation à l’ouvrage cité plus haut en préambule, « Les territoires perdus de la République », qui lui avait valu une certaine hostilité à l’époque et avait aussi par la suite été largement récupéré par différentes chapelles politiques. L’objectif de ce livre, indique-t-elle, était de jouer le rôle de lanceur d’alerte sur ce qui se profilait déjà nettement en certains endroits : désintégration, antisémitisme, sexisme, montée de l’islamisme, etc.

Plus de quinze ans après, elle montre comment les zones de non-droits se sont multipliées et la situation aggravée. Les attentats, notamment en France, sont passés par là et ont abouti à une relative prise de conscience des dangers qui nous menacent.

Hélas, de politiques de la ville en promotion des associations de quartiers pour acheter la paix civile, ou de discours multiculturalistes en bonnes intentions en tous genres, le constat est peu glorieux et l’Éducation nationale trop soumise aux considérations politiques plus larges pour trouver les bonnes réponses à la gravité de la situation.

De même que Barbara Lefebvre partage son expérience récente comme enseignante auprès d’un public d’élèves handicapés ou autistes qui, eux, insiste-t-elle, devraient être en position de pouvoir dire « J’ai le droit », sans que l’idée d’école « inclusive » promue à leur sujet débouche sur des réponses véritablement solides et deviennent autre chose qu’une sorte de coquille vide là encore au service d’une sorte de politiquement correct visant plutôt d’autres formes d’intégration que celles attendues.

Changer d’état d’esprit

En conclusion, un ouvrage passionnant et un cri du cœur bienvenu pour tenter une nouvelle fois d’éveiller les consciences et susciter les réactions, face à une faillite dramatique de l’Éducation Nationale. Se référant de manière opportune à Hannah Arendt, Barbara Lefebvre montre ainsi que nous sommes face à une véritable « crise de la culture », et que ce ne sont pas les idées toutes faites qui nous permettront de nous en sortir.

Il est donc temps que les politiques viennent enfin véritablement en aide à ceux qui se démènent chaque jour sur le terrain pour tenter de faire vivre notre éducation, fondement de base de la Société et de son avenir.

Barbara Lefebvre, Génération « J’ai le droit », Albin Michel, janvier 2018, 240 pages.

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  • ça arrange peut être bien les politiques d’avoir une population d’illétrés doublé d’un crétinisme digne du moyen age ….

    • Jusqu’au jour où l’un de ces politiques s’avisera de leur retirer le droit de vote. Ce sera alors la génération « j’ai le droit de fermer ma grande gueule ».

      • Un petit plus … pour Cavaignac :
        Seulement ayant l’habitude du « j’ai le droit » il continuera à l’ouvrir et ne la fermera, qu’après qu’on lui ait tapé dessus !

        • @corbc
          pas du tout, personne ne lui tapera dessus, c’est lui qui tapera sur les autres, car le « j’ai droit à » inclut le droit à la violence pour obliger tout détenteur d’un bien à y renoncer pour qu’il soit donné à autrui.

          Autant dire que le « droit à » (droit-créance) instaure un état de guerre permanente ; contrairement au « droit de » (droit-liberté) réservé aux sociétés évoluées où chacun est éduqué à n’avoir d’exigences qu’envers soi-même pour obtenir ce qu’il veut.

  • Pour qui a lu « Le Poisson rouge dans le Perrier » de Despins et Bartholy en 1983, le livre de Barbara Lefebvre en est la conclusion logique. Les pédagogistes socialo-pseudo-libéraux nous ont menés au désastre.

  • La critique du gauchisme complaisant est pertinente. En revanche, ne conviendrait-il pas de lui associer la critique d’un certain mercantilisme consumériste tout aussi laxiste et dévastateur ?
    L’un comme l’autre sont à l’encontre d’un humanisme de la responsabilité. Fondement du libéralisme tel que je l’entends.
    Tout ne se pardonne pas. Mais tout ne s’achète pas non plus… JPL

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