La concurrence est déjà partout

Il y a concurrence à peu près partout, pour obtenir le pouvoir, pour avoir l’oreille de ses concitoyens, pour les faveurs d’une femme… L’existence de ces luttes est parfaitement indépendante du système social.

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course By: Joshua Kehn - CC BY 2.0

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La concurrence est déjà partout

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 27 février 2018
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Par Stanislas Kowalski.

Éliminer la concurrence du système social est tout bonnement impossible. Il s’agit d’une impossibilité profonde et logique. Je ne suis pas en train de dire que la suppression de la concurrence aurait des effets économiques déplorables ou qu’elle paralyserait la société.

Je dis que cette suppression ne serait jamais qu’un faux-semblant et un déplacement du problème. La tentative d’élimination de la concurrence aurait bien ces effets, mais ce ne serait jamais qu’une tentative, au mieux maladroite, au pire hypocrite.

Nationaliser les moyens de production pour les confier à une seule organisation publique ne supprime pas la concurrence. Il y aura toujours concurrence pour prendre le contrôle des entreprises publiques ou pour rédiger les lois qui s’y appliqueront.

Il y a concurrence à peu près partout, pour obtenir le pouvoir, pour avoir l’oreille de ses concitoyens, pour les faveurs d’une femme… L’existence de ces luttes est parfaitement indépendante du système social. La concurrence est inscrite dans la nature à un niveau extrêmement profond, à un niveau ontologique. Économiquement, elle découle directement de la rareté des ressources, pas du capitalisme. Les ressources sont fondamentalement rares, même dans une société prospère comme la nôtre, à cause de l’infini des désirs.

 

Besoin de reconnaissance

C’est une vérité psychologique fondamentale, nous serons toujours insatisfaits, et de ce fait toujours en concurrence les uns avec les autres. Quand bien même nous aurions tous de quoi nous faire éclater la panse, il y aurait des tas d’autres besoins à assouvir, ne serait-ce que le besoin de reconnaissance ou le désir de perpétuer sa lignée alors que l’attention des autres est limitée et que les partenaires valables ne sont pas en nombre infini.

Politiquement, la compétition est redoutable, quel que soit le régime. Même dans une monarchie héréditaire stable, il y a une concurrence féroce pour les faveurs du roi. Les bassesses des courtisans ont été suffisamment commentées par les moralistes du 17e siècle, de la Rochefoucauld à La Fontaine en passant par La Bruyère et tant d’autres.

Eux-mêmes pratiquaient la courtisanerie à leur manière. Portaient-ils la perruque par simple goût personnel ? Même le roi est en concurrence avec les grands et doit s’assurer qu’aucun ministre n’ait l’affront de se faire construire un palais trop brillant. Un général trop efficace devient un danger pour l’Empire. Que dire de la prise de pouvoir chez les rouges ?

 

Férocité des débats

En démocratie, inutile de souligner la férocité des débats. Il n’y a normalement pas de mise à mort, mais en dehors de cela, les coups bas sont nombreux. Cela fait déjà deux élections présidentielles que le favori est éliminé par un scandale qui éclate juste au bon moment. Peu importe ici la réalité des accusations portées contre eux. Je constate la férocité du combat. Plus l’enjeu est grand, plus celui-ci est rude.

Il y a un trait caractéristique de la concurrence politique qui la distingue très clairement de la concurrence commerciale. C’est le principe winner takes all. Le représentant de la majorité impose sa loi à la totalité du peuple et non pas seulement à ceux qui ont voté pour lui. Le pouvoir économique d’un baron de l’industrie est strictement proportionnel à ce que ses clients sont prêts à payer.

La question n’est pas de savoir s’il y a compétition ou non. La question est de savoir si la compétition est honnête. Peut-on se montrer fair-play ?

Les monopoles établissent en réalité une compétition absolue, dans laquelle les résultats sont plus ou moins définitifs. On gagne ou on perd en bloc, là où un système ouvert donne à chaque compétiteur un succès relatif. Il est significatif de voir que beaucoup de contempteurs de la libre concurrence sont des fonctionnaires très imbus de leur réussite à un concours.

 

Le concurrent le plus féroce

Curieux paradoxe ! Difficile pourtant de soutenir la moralité d’un système qui assure une position définitive. Où est passé le cri révolutionnaire contre les positions acquises et les privilèges ? Un concours passé à 23 ou 24 ans, quand on n’a encore aucune expérience, assure une position sociale jusqu’à la retraite ! Le businessman qui remet en jeu sa position à chaque fois qu’il traite avec un client serait le concurrent le plus féroce ? Pas évident.

Un inspecteur n’a besoin de convaincre de sa compétence pédagogique qu’une seule fois dans sa carrière. Et encore, il ne doit convaincre que ses pairs, non ceux qui auront à subir ses décisions. Un professeur est un peu dans la même situation avec les jurys de concours, mais les élèves, eux, savent se venger, s’il n’est pas convaincant dans sa pratique quotidienne (et même parfois s’il est bon, parce que les élèves sont enrôlés de force).

Bien sûr, le fonctionnaire veut croire qu’il se bat une seule fois et qu’il n’a plus à y penser. Il serait au pire le coupable d’un seul crime, à la manière d’un Raskolnikov, prêt à faire le bien tout le reste du temps. Mais c’est sans compter sur la nécessité de la lutte syndicale pour défendre son statut.

 

Éliminer la concurrence n’est pas moral

La prétention d’éliminer la concurrence est moralement douteuse : elle consiste à verrouiller le résultat quand on pense avoir gagné la compétition. Il y a une fraîcheur ou une naïveté chez beaucoup de nos concitoyens : ils se souhaitent mutuellement bonne chance pour leurs concours et s’encouragent à aller voter !

Par définition, plus les votants sont nombreux, plus le poids de chacun d’entre eux est faible. Un prince-électeur du Saint-Empire était pris au sérieux, lui ! Cette naïveté n’existe pas au plus haut niveau. Je ne saurais dire à quel moment elle se change en sournoiserie.

Une concurrence honnête laisse une possibilité au nouvel entrant. La position socialiste est finalement assez proche de celle des conservateurs. Il s’agit d’empêcher les nouveaux entrants, mais seulement quand on aura achevé nos réformes. Rien de plus conservateur que les acquis sociaux. Socialisme et conservatisme sont des doctrines sans contenu. La même loi sera socialiste dans ses débuts et conservatrice dans sa maturité.

Quant au fait pour un militant d’être socialiste ou conservateur, c’est plus une question de tempérament que d’idées. Il est impressionnant de voir comment des idées nouvelles, qui jusque-là n’étaient que des incongruités ou des non-sujets, deviennent brusquement des absolus à défendre à tout prix.

Il faut bien se trouver des causes à défendre, peu importe lesquelles. L’intersectionnalité des luttes est significative à cet égard. On a ainsi de quoi faire toute une carrière dans la lutte sociale. Peu importe que l’on maîtrise le nouveau sujet ou non.

 

La concurrence économique

Concentrons-nous un peu sur la concurrence économique, car c’est elle qui attire l’essentiel des critiques. C’est assez curieux qu’on réclame des libertés partout sauf dans le domaine économique, qui pourtant constitue la condition matérielle des autres libertés. Mais je m’égare.

Il est certain que les sociétés par actions permettent une grande concentration des richesses et des pouvoirs économiques. Cette concentration a pu faire dire que la concurrence du libre marché était une hypocrisie et ne fonctionnait pas de manière honnête. Cependant il faut considérer plusieurs choses.

Tout d’abord la complexité des effets réels de la concentration capitaliste. Ensuite les résultats des alternatives existantes. Car même si le résultat du capitalisme n’est pas toujours impeccable, si le résultat des autres systèmes est encore pire, le choix est vite fait.

Tout d’abord il n’est pas certain que le marché libre favorise toujours la démesure. Il n’est même pas certain qu’il y ait une stratégie optimale sur le marché. Dans le marché libre de la bière, il y a bien sûr des monstres comme Heineken ou Budweiser. Il y a aussi la brasserie la Soyeuse à Rontalon (Rhône). Leurs bières sont un peu chères, forcément, mais ça vaut le coup.

 

Prédateurs et proies

C’est comme dans la nature en fait. Il y a des prédateurs et des proies, mais les prédateurs ne peuvent pas éliminer totalement les proies. Il y a des animaux qui font des milliers de petits et d’autres qui n’en font qu’un seul à la fois, sans que l’on puisse dire qu’une stratégie de reproduction est meilleure qu’une autre.

Les espèces qui font peu d’enfants parviennent généralement à optimiser les taux de survie, là où les espèces plus prolifiques sacrifient une grande partie de leur progéniture. Tenter d’éliminer la compétition, c’est imposer de force une seule stratégie. C’est le plus sûr moyen de supprimer la résilience du système dans son ensemble. C’est la méga-brasserie toute seule.

Pour éliminer vraiment la compétition, il faudrait la gagner une fois pour toutes. Il faudrait pour cela une entité inhumaine. Un ordinateur central remplacerait les hommes pour toutes les décisions. Le dernier vainqueur humain serait le programmeur qui appuierait sur le bouton pour rendre la machine entièrement autonome. Scénario angoissant.

Mais, me direz-vous, il faut quand même s’assurer que tout le monde ait de quoi vivre. Or la libre concurrence augmente les inégalités. Alors, tout d’abord, oui, c’est vrai, la libre concurrence augmente les inégalités. Pas forcément plus que certains systèmes verrouillés, je pense par exemple aux systèmes féodaux ou mafieux. Mais elle les augmente tout de même davantage que si les salaires sont bloqués par la loi.

Notez qu’il est assez facile de faire émerger une nomenklatura en essayant de faire l’égalité. Les systèmes collectivistes ont trop besoin de la corruption comme soupape pour compenser les blocages excessifs de la bureaucratie.

 

Inégalités de marché

À la différence des inégalités qui émergent dans d’autres systèmes, celles du marché libre sont en relation assez directe avec l’utilité sociale. Après tout, les gens reconnaissent cette utilité en décidant de dépenser leur argent pour une chose plutôt qu’une autre. On peut mépriser les choix du populo, mais ce sont ses choix.

Le problème est en fait bien plus qu’économique. Nous avons un problème d’exclusion en France, pas un problème de pauvreté. Vous voulez voir de la vraie pauvreté ? Allez en Afrique, allez au Cambodge ou au Laos. Et encore, même là elle se résorbe. Et je n’ai pas besoin de statistiques douteuses pour m’en rendre compte. Il me suffit d’observer la consommation de bière, le nombre de motos ou l’usage des smartphones.

Même si cela reste cher pour les revenus locaux, il ne s’agit plus de rêves inaccessibles. Le marché a permis une augmentation des ressources si grande que l’inégalité est matériellement supportable. Au pire, pour ce qui est de manger, on peut toujours assister les gens, il y a des manières plus ou moins intelligentes d’aider ceux qui ne peuvent pas travailler.

 

Être encouragé et entouré

Ce qui est difficile en revanche, c’est de trouver une place dans une société complexe et de s’y sentir bien, même si l’on n’arrive pas au sommet de la compétition. Quel est le type de compétition qui me permet d’être bien sans être le grand vainqueur ?

Notons qu’il n’y a pas de réponse évidente, car cela dépend pour partie de comportements individuels. Même dans un concours de belote villageois, on peut devenir mesquin et méchant, parce que l’on s’oblige personnellement à gagner ou à vaincre tel ou tel. L’hybris rend amer quoi qu’il arrive.

À un niveau un peu plus grave, il y a la façon dont on est entouré et encouragé. Une mère ou un père qui veut le meilleur pour ses enfants les encourage à se dépasser et à se comparer aux autres. Danger ! Il faut aussi apprendre à perdre. Celui qui relance toujours son fils sous prétexte qu’Arthur ou Jean-Eudes a eu de meilleures notes l’empêche d’être jamais heureux. À quoi bon produire des enfants brillants et suicidaires ?

Les success stories de la finance contribuent peu au bonheur des gens. Je ne suis pas sûr que le multimilliardaire soit le mieux placé pour donner des conseils de vie. Bien sûr, il est inspirant, ses livres sont des best-sellers avant même que l’on ait une idée de leur contenu.

Mais il faut savoir que la probabilité de l’égaler est infime. Passé un certain niveau les richesses ne sont plus une question de ressources ou de confort. Elles n’ajoutent presque rien au bonheur. Quel confort supplémentaire y a-t-il à travailler 70 heures par semaine pour se hisser au sommet de la hiérarchie salariale ?

À ce niveau, c’est une question d’orgueil et de pouvoir. C’est la tentation de se croire indispensable. C’est aussi, du côté lumineux, la possibilité de mener de grands et beaux projets, comme de relancer la conquête spatiale avec Space X. Je veux que la société soit organisée d’une façon qui autorise les génies à se manifester et aux autres de mener une vie honnête, sans injonction de réussite minimale.

D’autres environnements humains produisent du ressentiment, par exemple les partis et les syndicats. C’est leur fonds de commerce. Il y a des revendications légitimes, mais soyons prudents. Qu’est-ce qui nous gêne vraiment ? D’être dans le besoin ? L’est-on vraiment ? Ou d’avoir quelqu’un au-dessus de soi ? L’insistance sur les inégalités plutôt que sur le chômage ou la misère est un indice qui doit nous alerter quant à la motivation des combats politiques.

Plus encore, il faut considérer les résultats. Attention aux minimums établis arbitrairement. À chaque fois qu’on établit un salaire minimum ou une norme quelconque pour les logements, il faut savoir qu’on lance un défi aux gens : produire assez pour atteindre ce seuil. Là est la vraie source du chômage et de l’exclusion. C’est un système de tout ou rien. Le SMIC ou pas de salaire du tout.

Les défis permettent sans doute d’avancer. Attention à ne pas charger les pauvres gens de fardeaux impossibles à porter. Il ne suffira pas de leur dire : C’est pour ton bien !

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  • Article intéressant partagé entre déterminisme et liberté. Pour le titre j’aurais affiché clairement la couleur : la concurrence est partout ! On est clairement dans le déterminisme puisque la division est aussi réelle que l’association.
    Soit on est associé soit on est concurrent (divisé). Parfois l’association ou la division se situe à un niveau très bas qu’on peut confondre avec de l’indifférence. La nature définit également les tempéramments comme l’exemple du militant dans l’article. Avec ce déterminisme elle maintient de la diversité sans laquelle il n’y a pas de division (concurrence).
    Les libéraux sont des personnes avec la caractéristique principale (je dirais c’est leur nature) d’être plus autonomes que les autres. Il va de soi que pour être autonome il faut de la liberté. Cela n’empêche pas qu’ils soient également divisés.

    De fait le monde ne sera jamais libéral ou non libéral, il oscillera entre les deux selon les circonstances (contexte, concurrence..). La nature a vraiment fait du bon boulot.

  • Tres bon article. Bravo.

  • Les commentaires sont fermés.

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La Fondation Valéry Giscard d’Estaing – dont le « but est de faire connaître la période de l’histoire politique, économique et sociale de la France et de l’Europe durant laquelle Valéry Giscard d’Estaing a joué un rôle déterminant et plus particulièrement la période de son septennat » – a organisé le 6 décembre 2023 un colloque intitulé : « 45 ans après les lois Scrivener, quelle protection du consommateur à l’heure des plateformes et de la data ? ».

 

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