Accepter la flexibilité sans s’oublier

La flexibilité donne une capacité à faire face à l’adversité dans la durée, tandis que la rigidité conduit à encaisser des coups avant de s’effondrer faute d’endurance.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Accepter la flexibilité sans s’oublier

Publié le 17 février 2018
- A +

Par Cécile Philippe.
Un article de l’Institut économique Molinari

Dans la fable de Jean de La Fontaine, Le chêne et le roseau, on trouve une idée assez imagée de ce à quoi peut ressembler la flexibilité, celle du roseau qui « plie, et ne rompt pas. » Le chêne, quant à lui, incarne la rigidité qui redouble d’efforts face aux vents redoutables et finit néanmoins déraciné. La flexibilité donnerait une capacité à faire face à l’adversité dans la durée, tandis que la rigidité conduirait à encaisser des coups avant de s’effondrer faute d’endurance.

La liste des sujets à propos desquels la flexibilité semble être la réponse adéquate est bien longue. Qu’il s’agisse de gérer ses émotions, d’organiser le marché du travail (flexisécurité) ou de former les élèves (intelligence émotionnelle), la flexibilité semble être la recette idéale pour améliorer notre bien-être et la vie en société. Le concept est très attrayant, mais il recouvre des subtilités qu’il est utile d’expliciter.

Laisser libre cours à ses émotions

Dans un Ted talk récent, la psychologue Susan David argumente en faveur d’une plus grande flexibilité dans la gestion de nos émotions.

Partant de son cas personnel, elle explique comment laisser libre cours à ses émotions, les entendre, les écouter, les déchiffrer est une démarche essentielle pour rebondir et surmonter les affres de la vie. Son approche permet d’aborder différemment la dépression, qui selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) « est la première cause d’incapacité dans le monde et contribue fortement à la charge mondiale de la maladie ».

Susan David considère qu’il s’agit d’une conséquence de la réponse, inadaptée et rigide, que les individus apportent à leur situation dans un monde complexe. Ils se cabrent face aux changements politiques, économiques et technologiques. Pour elle, la solution consiste à rompre avec la culture du positivisme déconnecté du vécu.

Il faut cesser de réprimer nos émotions négatives pour au contraire les embrasser, les nommer et les laisser nous guider. L’enjeu est pour autant d’en rester les maîtres et de les utiliser pour tracer le chemin nous menant à une meilleure vie.

Détecter nos instincts nuisibles

Rester maître de ses émotions n’est pas une mince affaire. C’est le thème abordé par Alan Jacobs dans How to Think, a Survival Guide to a World at Odds (2017). Dans cet ouvrage, l’auteur part du constat que nous sommes plutôt les esclaves de nos instincts rigides et de nos émotions.

Mais il montre aussi qu’il y a moyen de les assouplir, de les éduquer et de les concilier avec notre raison. Jacob prône la flexibilité émotionnelle pour éviter les conflits avec les autres. Il considère qu’elle rend la vie en société plus paisible, tout comme Susan David prônait la flexibilité pour améliorer son bien être personnel.

L’enjeu serait de détecter nos instincts possiblement nuisibles : notre besoin d’être accepté ; nos dégoûts ; nos raccourcis mentaux ; notre difficulté à abandonner des idées pour lesquelles nous nous sommes investis.

Pour ce faire, Alan Jacobs propose des conseils contre-intuitifs, comme celui de créer des interactions avec des personnes défendant des positions qu’on déteste. S’obliger à reformuler leurs propos, sans les caricaturer et en veillant à être pleinement respectueux de ceux qui les véhiculent, serait un bon moyen de se libérer de nos rejets instinctifs.

Ne pas renoncer à notre capacité de jugement

Alan Jacobs insiste aussi sur un élément clé d’une bonne gestion des émotions : refuser les groupes, les communautés, les entités qui exigent de nous que nous abandonnions notre esprit critique.

La question de la flexibilité touche ici un point délicat. La flexibilité n’est pas une forme de relativisme conduisant mécaniquement à tout accepter. Elle ne doit pas nous conduire à renoncer à notre capacité de jugement, qui reste au cœur de notre capacité morale.

D’où le conseil de Jacobs de s’écarter des groupes qui exigent de nous ce renoncement. Ces groupes peuvent être religieux, politiques, familiaux, associatifs, ou même des entreprises. S’agissant de ces dernières, on peut se demander si les évolutions technologiques, économiques et politiques ne font pas peser sur les individus une attente de flexibilité incompatible avec leur « bonne vie ».

C’est la thèse du philosophe et mécanicien Matthew B. Crawford. Dans Éloge du carburateur (2016), il fait un plaidoyer en faveur de l’artisanat. Ce mode d’organisation permet selon lui d’échapper à la bureaucratisation des emplois, au management scientifique conduisant à séparer le travail intellectuel du travail manuel, la conception de l’exécution.

Les métiers de la connaissance

Cette dichotomie, bien connue des lignes d’assemblage organisées autour des principes tayloriens, serait aussi à l’œuvre dans tous les métiers de la connaissance. Elle entraînerait une dégradation de la perception de son travail par le salarié. Elle pourrait expliquer, en partie, le syndrome dépressif constaté par l’OMS. D’où l’incitation de Crawford à privilégier les métiers n’exigeant pas cette dichotomie.

Le projet semble peut-être utopique mais le constat est essentiel. La tendance à la centralisation de l’autorité et du droit à penser serait nuisible au bien-être humain, à la capacité de jugement et à la responsabilité individuelle.

Le roseau ne rompt pas car il est à la fois flexible et bien enraciné. Il existe nécessairement une tension entre nos racines et la souplesse qu’il faut savoir déployer face au changement. Cette tension s’exprime nécessairement au sein des institutions que nous créons. Comme le conseille Susan David, il faut l’accepter pour pouvoir la piloter.

Sur le web

Voir les commentaires (2)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (2)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

La rupture conventionnelle est un dispositif de rupture du contrat de travail d’un commun accord entre l’employeur et le salarié. Contrairement à la démission, elle permet au salarié de bénéficier des allocations chômage.

Voici 5 raisons de conserver tel quel ce dispositif.

 

Sa remise en cause serait un acte de défiance envers le dialogue social

La rupture conventionnelle est issue de la négociation entre partenaires sociaux : sa création a été prévue par l’accord national interprofessionnel de 2008 (signé par l’e... Poursuivre la lecture

2
Sauvegarder cet article

Un article de Philbert Carbon.

 

L’Insee dresse un portrait des multinationales françaises dans une note récente. Par firme multinationale française, l’institut désigne un groupe de sociétés (hors services non marchands et filiales bancaires) dont le centre de décision est situé en France et qui contrôle au moins une filiale à l’étranger.

 

Les multinationales françaises réalisent plus de la moitié de leur chiffre d’affaires à l’étranger

En 2021 (année sur laquelle porte la note), elles contrôlaient 51 00... Poursuivre la lecture

Un article de Bertrand Nouel

Qu’est-ce que la « trappe à bas salaires » ? C’est le fait d’encourager l’embauche de salariés peu productifs (peu compétents, peu expérimentés…) en abaissant, jusqu’à les supprimer, les cotisations et charges patronales qui seraient normalement prélevées sur le salaire brut. On a « en même temps » complété la rémunération des mêmes salariés avec la « prime d’activité », qui est à la charge de la CAF. Ces exonérations et ce complément n’existent que pour les bas salaires : au niveau du smic et en dégressivi... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles