L’âge du faire : hacking, travail, anarchie

Au-delà du travail autonome, l’absolu des hackers et des makers, c’est en fait « le travail pour soi ».  Une représentation autotélique, au service d’une vision, celle d’une société ouverte, coopérative, inclusive et juste.

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L’âge du faire : hacking, travail, anarchie

Publié le 6 février 2018
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Par Farid Gueham.
Un article de Trop Libre

« De nouveaux lieux de conception, de production et de collaboration voient aujourd’hui le jour, un peu partout dans le monde. Équipés de machines industrielles comme des plus récents matériels informatiques, les hackers inventent un nouveau modèle d’activité : le faire (make).

À distance des exigences imposées par le marché et les grandes exigences bureaucratiques, les membres des hackerspaces et autres laboratoires de fabrication font du travail une fin en lui-même, sans que quiconque n’impose d’objectifs, de délais, de contraintes… Juste l’envie de faire pour soi. »

Michel Lallement, professeur au CNAM et auteurs de plusieurs ouvrages de sociologie du travail, restitue les conclusions d’une enquête ethnographique menée dans la région de San Francisco, berceau de la contre-culture libertaire et des startups de la Silicon Valley.

Ce mouvement du « faire » à de multiples incidences sur la société et l’économie. De nouvelles communautés s’organisent, elles participeront autant à la croissance qu’à l’anarchie de ce paysage contrasté. Des groupes qui se croisent, se côtoient parfois, mais qui participent tous, à leur manière, à l’émergence d’une « nouvelle grammaire du vivre-ensemble ».

Le paradigme du « faire » : sociologie des utopies concrètes

Les hackers sont parmi les ambassadeurs les plus actifs du « faire », promoteurs d’une exigence fondamentale : le travail est une finalité en soi. Le mouvement du faire et le monde des hackers peuvent être envisagés comme deux déclinaisons du paradigme du faire.

Deux territoires qui ne se recouvrent pas entièrement, même si les hackers constituent une pièce majeure de ce paysage, où la valorisation du faire sert à fédérer des acteurs aux identités et aux intérêts divergents.

Dans son essai « The Hacker Ethic and the Spirit of the Information Age », le philosophe finlandais Pekka Himanen va jusqu’à comparer l’éthique des hackers à celle du protestantisme décryptée par Max Weber : deux idéologies véhiculées par des sectes puritaines, mettant à mal le registre du capitalisme et portant de nouvelles valeurs : « passion, liberté, attention à autrui – qui pourraient transformer radicalement notre façon de travailler et de produire ».

Aux sources du mouvement faire : hackerspace, fablabs, techshop

Depuis 2010, le vocabulaire du mouvement du faire s’est enrichi de nouveaux substantifs « hackerspace, fablabs, techshop, makerspace, creative space, laboratoire ouvert… ». Il s’agit là des déclinaisons d’une nouvelle organisation du travail, souvent difficiles à dissocier les unes des autres.

Un foisonnement sémantique qui vise aussi à représenter la diversité des choix structurels : qu’il s’agisse de la gratuité, de la technologie choisie etc… Entre 2011 et 2012, on parle déjà de « hackerspace » sur la côte Ouest des États Unis, tandis que la côte Est, voit émerger des « fablabs ».

Toutefois, les différences sémantiques ne recouvrent qu’une réalité partielle dans l’organisation de ces nouveaux espaces. Le « hackerspace » est donc un lieu communautaire, où des individus se rencontrent, travaillent sur leurs projets. Il s’agit donc d’une organisation ouverte, de personnes désireuses de partager leurs projets : de la réalisation de pièces, à la fabrication d’objets en passant par des montages électroniques, de la programmation informatique ou même de la cuisine.

Le creuset californien et l’invention de la Silicon Valley

« L’habitant des États-Unis apprend dès sa naissance qu’il faut s’appuyer sur lui-même pour lutter contre les maux et les embarras de la vie ; il ne jette sur l’autorité sociale qu’un regard défiant et inquiet, et n’en appelle à son pouvoir que quand il ne peut pas s’en passer (…). Aux États-Unis, on s’associe dans des buts de sécurité publique, de commerce et d’industrie, de morale et de religion. Il n’y a rien que la volonté humaine désespère d’atteindre par l’action libre de la puissance collective des individus ».

C’est l’esprit même des hackerspace, qu’anticipait Alexis de Tocqueville, dans son essai « De la démocratie en Amérique ». Les hackers forment bien un groupe, mais pas tout à fait une « communauté ».

Peu de chance qu’un hacker accepte de sacrifier ses intérêts propres au profit du collectif, ou même qu’il se plie aux règles de partage économique d’une communauté, pouvant aller de l’allocation partielle, à la mise en commun totale des biens des uns et des autres.

Pas de communauté donc, mais un creuset, un lieu mythique : la Silicon Valley dont les origines fantastiques sont dignes d’un scénario de Spielberg. Au 367, Addisson Avenue à Palo Alto, une plaque apposée au mur d’un garage de particulier plante le décor. « Ce garage est le lieu de naissance de la première région au monde de haute technologie, la « Silicon Valley » ». 

Il ne manquait au récit qu’une poignée de héros, dont les incarnations seront Gordon Morre et Robert Noyce, les pères de la technologie Intel, mais aussi les deux Steve, Jobs et Wozniak, patriarches d’Apple. Jusqu’aux années 60, c’est la demande de technologie pour l’appareil militaire qui va contribuer au développement de la Silicon Valley.

Après 1960, l’armée change la donne en réduisant ses commandes. Mais les entreprises les plus visionnaires comprennent alors l’urgence de passer par des marchés civils. Un constat partagé par l’État, qui finance sur ses fonds propres deux laboratoires universitaires pour le développement de l’industrie informatique : l’« Augmented Human Intellect Resarch Center » et le « Stanford Artificial Intelligence Laboratory », autour d’une promesse commune : celle que la machine puisse un jour réaliser des performances comparables à celles d’un cerveau humain.

De l’éthique et des principes aux réalisations pratiques

Véritable pilier de la culture du hacking à San Francisco, Noisebridge est un espace ouvert à tous, en permanence. Une plate-forme d’un genre nouveau où se mêlent anarchistes, hackers de la première heure, bricoleurs etc… « À Noisebridge, les activités battent essentiellement leur plein en fin d’après-midi, tout au long de la soirée et le week-end. En ce lundi de janvier, le 2169 Mission Street est plein à craquer. Presque une centaine de personnes, des jeunes hommes blancs dans leur écrasante majorité, est présente dans les locaux. Ce soir, le hacking est roi ». 

Le progrès et la réforme, prônés par Noisebridge, c’est en somme l’idéal cartésien, celui-là même qui nous encourage à démonter le monde, pour l’analyser, l’étudier, le comprendre, l’augmenter et l’améliorer.

Au-delà du travail autonome, l’absolu des hackers et des makers, c’est en fait « le travail pour soi ».  Une représentation autotélique, au service d’une vision, celle d’une société ouverte, coopérative, inclusive et juste.

Pour aller plus loin :

–       « L’âge du faire : hacking, travail, anarchie », France Culture.fr

–       Présentation de l’ouvrage par l’auteur, Michel Lallement : « L’âge du faire, hacking, travail, anarchie » aux éditions Seuil.

–       « L’Éthique hacker de Pekka Himanen », multitudes.net

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