Le chaos ou l’erreur : peut-on se passer de prédiction ?

La prédiction est une condition nécessaire à la réussite du lancement d’un nouveau produit car elle évite le chaos, c’est-à-dire l’échec assuré. Mais elle n’est pas suffisante.

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Le chaos ou l’erreur : peut-on se passer de prédiction ?

Publié le 30 janvier 2018
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Par Philippe Silberzahn.

La plupart des outils de management et de prise de décision repose sur l’idée que notre environnement est largement prédictible. C’est inexact et les conséquences sont parfois très importantes. Toutefois, la solution ne peut résider dans un abandon pur et simple de la prédiction, car les contraintes de la prise de décision font qu’elle reste nécessaire dans de nombreux contextes, malgré les risques évidents qu’elle crée. Que faire ?

La plupart des managers auxquels j’expose les limites de notre capacité prédictive les admettent sans trop de difficulté (mais non sans douleur). Mais leur argument est alors le suivant :  « J’ai bien compris les limites de ma capacité à prédire, mais je gère une usine de briquets et je ne peux pas définir mon niveau de production pour l’année prochaine en lançant un dé. Ce serait le chaos. »

Préparer le lancement d’un produit

Si en effet vous êtes un fabricant de briquets et que vous devez lancer un nouveau modèle en Turquie, il est difficile de ne pas travailler avec une base prédictive. Il y a des centaines, voire des milliers de choix à faire pour préparer le lancement : il faut mettre au point le produit, préparer son industrialisation, configurer l’usine, former les vendeurs, préparer le réseau de distribution, concevoir la campagne de communication, etc.

Ces éléments disparates doivent être planifiés à l’avance pour être bien, sinon parfaitement, synchronisés afin que le lancement soit réussi. On est donc dans ce cas dans un paradigme nécessairement prédictif. Dit autrement, on peut être très sceptique sur la nature de notre environnement et être parfaitement conscient que des surprises peuvent survenir, on n’a pour autant pas d’autre choix que d’adopter un paradigme prédictif.

Eviter le chaos

Sans prédiction, c’est le chaos assuré, c’est-à- dire que l’on est sûr que le lancement sera raté. Parmi les milliards de combinaisons possibles, il n’y a aucune chance d’obtenir spontanément celle dans laquelle le briquet sort en temps et en heure. La prédiction est donc ici une condition nécessaire à la réussite du lancement car elle évite le chaos, c’est-à-dire l’échec assuré.

Mais elle n’est pas suffisante : avec la prédiction, la réussite n’est bien évidemment pas certaine pour autant car ces fameuses surprises peuvent survenir pour fausser les prédictions. La mise au point de mon briquet peut s’avérer plus difficile que prévu, la machine-outil sur laquelle je comptais dans ma nouvelle usine peut être livrée en retard, ou une grève peut paralyser la Turquie au moment de mon lancement.

La prédiction évite donc le chaos certain et le remplace par l’échec possible. Elle permet d’éliminer les faux positifs c’est-à-dire qu’elle définit un espace de possibilités dont sont exclues les combinaisons de choix dont on est certain qu’elles ne fonctionneraient pas.

Ainsi, je prévois trois mois de mise au point du produit car je sais que cela ne peut pas prendre moins de temps. Je sais aussi que la livraison dans le réseau ne peut se faire qu’une fois la fabrication terminée et que si j’attends que la fabrication soit engagée pour trouver un réseau de distribution au lieu de l’organiser à l’avance, je perdrais beaucoup de temps et d’argent.

Le droit de jouer

La prédiction est donc, ici, une condition nécessaire pour avoir le droit de jouer, en quelque sorte. On passe de l’échec certain à la réussite possible en définissant une sorte d’espace des possibles. Mais au-delà, que peut-on faire ? En théorie rien de plus.

L’incertitude régnant au sein de cet espace rend la prédiction hasardeuse. En pratique toutefois, ce qui sauve souvent le prévisionniste c’est que la plupart du temps il n’y a pas de grosse surprise ; les systèmes évoluent de façon linéaire, à savoir que demain est grosso-modo la continuation d’hier, et surtout que l’ensemble des principaux paramètres qui déterminent l’environnement reste inchangé. C’est notamment le cas pour les marchés existants.

La production de briquets ou de crèmes glacées de l’année prochaine sera déterminée par les mêmes paramètres que celle de cette année et les valeurs de ces paramètres ne changeront normalement pas de façon inattendue.

Et de fait c’est ce qui se passe la plupart du temps. On peut même dire que cela se passe suffisamment souvent pour que l’approche prédictive soit conservée et qu’il soit raisonnable d’en faire le pari, même si cela reste un pari et que notre projet est fragile en conséquence.

Résumé

On peut résumer l’approche ainsi :

  • Essayer d’éviter de baser nos décisions sur la prédiction autant que possible ;

Si on doit prédire :

  • Investir dans l’amélioration des prédictions essentiellement en éliminant des faux positifs. On ne peut guère aller plus loin mais c’est déjà pas mal : il est toujours plus facile d’identifier avec certitude ce qui ne marchera pas que ce qui marchera. Dans quelle mesure cette approche réduit le champ des possibles et facilite vraiment la prise de décision n’est pas évident cependant…
  • Investir dans la préparation pour le cas où les prédictions s’avèrent fausses. En particulier, envisager l’impact pour les cas où elles seraient fausses de façon majeure. Une façon de procéder est de se ménager des marges au sein des prédictions. Cela réduira l’optimisation globale mais réduira également le risque.

L’idée d’identifier des zones d’incertitude rejoint la notion de cône d’incertitude proposée par le chercheur Paul Saffo ; elle permet d’aller au-delà d’une opposition un peu stérile prédire/pas prédire.

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  • Deux éléments à ne pas négliger : le coût de la prédiction ( aussi bien en temps des dirigeants qu’en argent pour les recherches, du marché p.ex. ) et le temps nécessaire pour parvenir à la prédiction

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