« Fake news » : un alibi pour une censure étatique mondiale ?

Se pourrait-il que la notion de « Fake news » soit demain appliquée à tout support ou information « contrariante » ?

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« Fake news » : un alibi pour une censure étatique mondiale ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 8 janvier 2018
- A +

Par Yannick Chatelain.

Ces dernières années les « Fakes news » se sont quantitativement amplifiées. Cela s’explique d’une part par la puissance et la vitesse d’essaimage qu’offrent les réseaux sociaux. Une fois une « information » diffusée, elle ne passe plus par le tamis d’une validation journalistique. N’importe quel utilisateur, vous, moi pouvons la retweeter, la partager, sans recourir à la moindre double vérification .

« Fake news » : un mot inexorablement dévoyé

Depuis sa popularisation et son intégration dans le langage courant, le recours au terme de « Fake news » est de plus en plus dévoyé. Il est usité à l’envi par la classe politique occidentale. Jusqu’à devenir une sorte de réflexe pavlovien.

D’aucuns ont rapidement intégré qu’à la vitesse du réseau, il était plus rapide et moins coûteux de qualifier une information compromettante de « Fake » (fut-elle vraie), plutôt que d’engager une procédure juridique qui rétablirait la vérité. Taxer une information de « Fake » offre ainsi aux États et à leurs représentants deux usages qui sont pour le moins peu glorieux   :

  • Disqualifier une information et son émetteur.
  • Ne pas passer dans un premier temps par la case juridique. Comme si l’utilisation du mot magique « Fake news » était nécessaire et suffisante pour jeter l’opprobre et le doute sur une information, en attendant que l’information se noie dans le flux d’une époque à informations continue.

« Fake news » : un alibi pour une censure d’État augmentée ?

Naturellement les véritables « Fake news » existent. Elles ne sont qu’une simple évolution des Hoax (facilement vérifiables sur hoaxbuster), à la différence près qu’elles ne servent pas une escroquerie, ni la bonne blague, mais la manipulation d’opinion.

Les États, bien qu’ils s’en défaussent ne manquent pas, tous autant qu’ils sont, d’en produire, d’en dénoncer, à l’instar des pays autoritaires coutumiers du fait, contribuant à mettre en péril ce qui structure nos démocraties.

Pour exemple, et sans pour autant accabler la Russie sous la gouvernance de Vladimir Putin (qui est pour l’Occident, en matière de « Fake news », le bouc émissaire idéal) la fabrique de « Fake news » la plus largement popularisée par les médias occidentaux, qui est une véritable « usine à troll », se situerait dans la banlieue de Saint-Pétersbourg et serait proche du Kremlin (ce qui pour le Kremlin est naturellement une « Fake news »).

« Fake news », un alibi potentiel pour une censure d’État débridée ?

Il est à noter que les pays qui sonnent l’hallali des fausses informations mélangent bien étrangement les genres : n’est-il pas une différence notable entre l’« usine à troll » évoquée qui fabrique à la chaîne des reportages totalement fantaisistes, et des sites « propagandistes » comme Sputnik (agence de presse russe) ou RT ?

N’est-il pas « inquiétant » que les gouvernances occidentales ne se soient guère montrées émues, lorsque ces supports se sont vu interdire en octobre 2017 la possibilité de toute publicité sur Twitter. Cette censure de la presse étrangère par une Entreprise-État (qu’elle soit télécommandée ou non) ne pose-t-elle pas questionnement ? N’est-elle porteuse d’aucune inquiétude légitime pour toute personne de bon sens ?

Nul ne me contestera qu’il est aisé, quel que soit son pays d’appartenance, en occident comme ailleurs, de positionner les médias par rapport au pouvoir en place. Ce n’est faire offense à quiconque que d’énoncer des faits. Quel que soit le média, celui-ci est plus ou moins proche ou éloigné des idées du pouvoir en place. Certains sont de fait plus prompts que d’autres à vanter ses mérites qu’à s’épancher sur ses travers et vice-versa.

N’apparaît-il pas dès lors tout à fait envisageable pour des États historiquement non autoritaires de masquer aux yeux de la population ce qui correspondrait, in fine, à de la censure pure et simple ? Serait-il inimaginable que sous couvert de faire la chasse aux fausses informations, soit qualifiée de « Fake news » toute information dérangeante ?

Pour être encore plus clair, la chasse menée aux « Fake news » par les Occidentaux, cette soudaine prise de conscience, cette urgence décrétée contre ce qui serait préjudiciable à nos démocraties, ne serait-elle pas un leurre qui cacherait une forêt qui pourrait paradoxalement devenir bien sombre ?

Le vice-président de l’UE, Frans Timmermans fait un juste constat lorsqu’il déclare :

À notre époque, la circulation de l’information et la désinformation sont devenues presque écrasantes.

Mais il ajoute que l’UE a la tâche de protéger ses citoyens des « Fake news » et de « gérer les informations qu’ils reçoivent » ! Outre le fait d’infantiliser les populations et de s’ériger en parangon de vertu, faire une telle assertion n’a-t-il pas de quoi inquiéter ?

Dans cette aspiration au grand tri informationnel, se pourrait-il que la notion de « Fake news » soit demain appliquée à tout support ou information « contrariante » ? Tout contenu mettant en défaut les États-Unis, ses pays alliés, pourrait demain être « bloqué », « éradiqué » sans autre forme de procès. Quels autres supports presse que ceux que j’ai pu évoquer seront demain qualifiés par nos démocraties occidentales de « propagandistes », de « diffuseur de « Fake News » » et feront l’objet de sanctions, de restrictions ? De simples supports d’opposition ?

Pour conclure

Au pays de #JeSuisCharlie, lorsque j’entends le président de la France Emmanuel Macron évoquer la notion de propagande positive (comme si le terme propagande pouvait tolérer un adjectif ), fût-ce pour lutter contre le fléau du terrorisme, permettez-moi d’exprimer quelques inquiétudes quant au devenir de la liberté d’expression. Pire encore dans la configuration actuelle hystérisée, de mettre en garde vis-à-vis d’une ombre encore plus redoutable qui se met à planer sur Internet et sur l’information : le délit d’opinion.

Mais après tout, cet article ne serait-il pas lui-même une ignominieuse «  Fake news » ?

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  • va de pair avec les fakes news les tribunaux de l’opinion… metoo pose question…
    beaucoup de gens déclarent qu’il faut supprimer la présomption d’innocence dans les cas d’agressions faites aux femmes. Et c’est bien pire parce qu’alors il ne restera aucun endroit pour établir la vérité.

    On appelait une fake news une rumeur…

    • Le point commun ce sont les SJW, nouvel avatar du socialisme. Dès qu ils sont heurtés par une idée ou une statue il faut l interdire.

      En revanche je ne sais pas qui est allé jusqu à demander la suppression de la présomption d innocence pour les violences faites à certaines femmes. Sérieux? Certains ont osés ?
      Pouvez vous m éclairez, source, nom…?

  • Cette affaire de fake News est elle même une fake News..cela ne concerne que la Russie, tous les médias auront le loisir de dispenser la pensée unique de leur milieu comme à leur habitude..et sans doute nous n’en entendrons plus d’écho demain ,l’info chasse l’info.

    • La Russie aujourd’hui.
      Demain la Chine.
      Puis d’autres pays.
      Et enfin des personnes et des associations.
      Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’à partir du moment où des fonctionnaires / élus se mêlents de définir le vrai et le faux, par décret ou via le juge par la loi, ça sent le sapin pour les libertés…

  • Brigitte devrait faire relire et expliquer Camus à Emmanuel.

  • C’est surtout une demande de dictateur.

    • C’est surtout un ado attardé égocentrique et arrogant. Un dictateur ne fait pas un caprice d’autorité devant l’armée.

  • La prochaine étape , ce sera l’interprétation de l’information qui sera qualifier de « fakes news » avec censure internet et ce jour là la démocratie en Europe de vaudra pas plus que celle de Poutine ou celle de Xi.

  • Cette proposition de loi fake news n’est qu’un avenant à celle de l’état d’urgence incorporée dans la Constitution l’année dernière. Les atteintes à la liberté en France ne datent pas d’hier. Quand je lis les commentaires, j’ai l’impression que vous découvrez ou redoutez une situation à venir qui existe pourtant depuis belle lurette, à l’image de la grenouille dans son bocal d’eau bouillante.

    • Vous semblez regretter la prise de conscience de certains commentateurs.
      C est pourtant une bonne chose.
      Et votre image de la grenouille est fort mauvaise car c est vous qui ne vous agitez pas dans ce bocal. A moins que vous n y soyez plus, dans ce cas félicitations.

      • @AerosolKid

        Malheureusement, je note depuis plusieurs décennies cette « prise de conscience ». Elle n’en finit pas cette prise de conscience au fur et à mesure du remplacement des générations.

  • « Il existe un moyen simple pour la société civile de combattre les comportements et les idées fausses, y compris les insultes : l’ostracisme et le boycott. C’est la seule méthode spontanément et naturellement efficace, qui protège la libre volonté des individus. Mais vouloir établir la tolérance universelle d’une manière coercitive en criminalisant la pensée et en forçant le citoyen à adopter une vérité d’État est aberrant  » – Damien Theillier.

  • S’il fallait commencer à censurer les mensonges des gouvernements occidentaux, les journaux ne publieraient plus grand chose. Les gouvernements occidentaux mentent tout le temps. Ça montre bien que la censure des Fakes News n’est qu’une excuse pour mieux censurer l’information que les gens reçoivent. Même Saint Obama, ne pouvait s’empêcher de mentir.

  • Article un peu décevant.
    La notion même de « fake news », présentée par les grands médias comme une sorte de nouveauté absolue qu’il importerait de contrer, est finalement assez peu questionnée dans le cours de l’article (comme si les « bobards » de presse n’étaient pas aussi anciens que celle-ci).
    (Point mineur : le terme de « propagande », contrairement à ce que prétend l’auteur, tolère évidemment un qualificatif (éventuellement positif). La « propagande » est un terme neutre à l’origine et peut conserver cette acception (par exemple, dans l’expression « documents de propagande électorale » ou encore dans la dénomination de l’ancienne Congrégation de la Propagande).

  • Le pire dans tout cela c’est que plus de la moitié des Français approuvent sa démarche.

  • A quand le délit d’opinion?

  • A la question posée, je répondrais sans hésiter, oui! Ceux qui se déclarent compétents pour « décoder » l’information et auxquels, naturellement, il faut faire crédit, ne sont pas indépendants puisqu’ils œuvrent au sein de rédactions subventionnées par l’Etat! Il incombe à chaque citoyen de faire ses propres enquêtes. Sinon, c’est le considérer comme incapable de penser par lui-même, jusqu’au jour où on finira par lui donner un seul bulletin à mettre dans l’urne.

  • Je viens de lire 1 info de la Quadrature du Net ( des gens suivant de près la liberté sur le web ) : Il existait déjà 1 loi sur les fake news… la loi de confiance dans l’économie numérique de 2004 prévoit aussi déjà, de façon générique, qu’un juge peut ordonner en référé à tout hébergeur ou, à défaut, à tout opérateur de télécommunication, de prendre « toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage » causé par un contenu illicite. Cette prérogative, dont la portée est par ailleurs dangereusement vague et large, couvre tant la suppression d’un contenu que le blocage d’un site. (sic)
    https://www.laquadrature.net/fr/macron_fake_news

  • Les commentaires sont fermés.

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Nicolas Quénel est journaliste indépendant. Il travaille principalement sur le développement des organisations terroristes en Asie du Sud-Est, les questions liées au renseignement et les opérations d’influence. Membre du collectif de journalistes Longshot, il collabore régulièrement avec Les Jours, le magazine Marianne, Libération. Son dernier livre, Allô, Paris ? Ici Moscou: Plongée au cœur de la guerre de l'information, est paru aux éditions Denoël en novembre 2023. Grand entretien pour Contrepoints.

 

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