Affaire Urvoas-Solère : justice idéale, justice réelle

Réfléchir sur les principes de la justice ne doit pas nous faire oublier son fonctionnement réel.

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Affaire Urvoas-Solère : justice idéale, justice réelle

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 15 décembre 2017
- A +

Par Philippe Bilger.

Il y a le paysage officiel, ce que la Justice montre d’elle-même et qui, contrairement à ce que pensent des contempteurs compulsifs, n’est pas médiocre et mérite d’être expliqué et défendu.

Il y a, sur le plan des apparences qui – par l’entremise de médias qui ne seraient pas trop ignorants ou partiaux – sont offertes à la curiosité du citoyen, des avancées considérables.

Non seulement par rapport à ce que j’ai pu connaître comme magistrat en quarante années de carrière mais au regard de la simple observation politique qui permet de distinguer un état de droit dévoyé sous la présidence de Nicolas Sarkozy et une normalité judiciaire favorisée par François Hollande et Christiane Taubira à l’égard de laquelle, pour l’essentiel, j’ai pourtant économisé mon indulgence.

Aussi surprenant que ce constat puisse apparaître pour beaucoup qui préfèrent leurs préjugés à une réalité qui les contredirait, nous n’avons pas pâti de 2012 à 2017, pas davantage avec les premiers mois d’Emmanuel Macron, d’une justice politique dans le mauvais sens du terme. Une indépendance du juge battue en brèche par un pouvoir ayant caporalisé les Parquets et les procureurs ! Cette vision serait totalement erronée et injuste.

La justice démocratique

Il y a une Justice qui dans sa transparence – limitée par le secret de l’enquête et de l’instruction – et avec son visage public n’est pas indigne de ce qu’une démocratie se doit d’exiger d’elle. Ce ne sont pas l’ineptie, le sommaire ou l’amateurisme de beaucoup de critiques qui me feront dévier de cette cohérence appuyée sur une certaine expérience.

Mais je ne suis pas naïf.

Derrière le paysage officiel, il y a les coulisses, l’officieux. Les cachotteries, les petits secrets.

Je ne fais pas seulement référence à ce qui vient de surgir et qui semble concerner l’ancien garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas – certains se déchaînent sans attendre – et le député Thierry Solère.

Pour ce dernier qui a donné si volontiers des leçons de moralité politique à une droite qui a décidé, elle, de ne pas s’éparpiller, il y a comme une étrange ironie à relever qu’il y a l’éthique affichée et les accommodements personnels. J’apprécie que le délégué général de LREM ait immédiatement réagi et envisagé que Thierry Solère puisse être exclu de ce groupe si largement majoritaire (Le Figaro).

L’histoire occulte de l’institution judiciaire

Quand on réfléchit aux statuts, aux structures, à la pureté des principes, on oublie – ou on feint d’oublier – cette triste évidence que de manière occulte il y aura toujours des circuits, des processus, des ententes, des complicités, des amitiés et des fraternités qui viendront sinon mettre à bas l’édifice ostensible, l’institution éclatante mais les éviter, les suspendre ou les négliger quelque temps. Il y a des exemples à foison dans l’histoire judiciaire.

Au risque de sembler trop pessimiste, je n’imagine pas un seul instant qu’une rectitude singulière et collective puisse être si globalement respectée qu’elle garantisse que derrière le monde officiel espéré irréprochable, il n’y ait pas une multitude d’ombres s’agitant sur un mode clandestin et à l’abri d’une imprudence à la Thierry Solère ayant gardé la preuve dans son portable.

Pourtant c’est cette certitude d’exemplarité absolue – de ceux qui sont en charge du pouvoir et de ceux qui viennent abusivement le solliciter – qui serait seule à entraîner la coïncidence de la superficialité, de ce qui est montré, avec le profond, ce qui est caché. Du discours et des pratiques à l’air libre avec les manœuvres en catimini. Et donc la disparition de ce qui n’est plus acceptable.

Ne pas tomber dans le désespoir républicain

Cette certitude, nous ne l’aurons jamais, parce que l’univers idéal où une éthique sans faille, une résistance roide et constante à tous les sentiments, à l’amitié, à la réciprocité des services, à l’appréciation indulgente des transgressions discrètes domineraient, sera toujours à mille lieues de notre monde si tragiquement, humainement imparfait.

Pourtant il convient, pour ne pas tomber dans un désespoir républicain, une sorte de cynisme à la « à quoi bon », de se battre, fût-ce tout seul, contre les facilités de la souplesse morale et intellectuelle, en portant haut l’exigence de l’éthique personnelle et professionnelle (La Croix).

La Justice a ses naïfs mais il ne faut pas se moquer d’eux. Ils sont comme un aiguillon, un défi.

Sur le web

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  • Pour devenir un pouvoir (et non une autorité comme aujourd’hui) indépendante (ce qui est normal dans un état de droit), les juges, les procureurs et les préfets de police (dont la fonction devrait être généralisée sur tout le territoire) devraient être élus au suffrage universelle sur leurs territoires de compétence.

    Actuellement, la Justice n’a rien de démocratique et ce n’est certainement pas en supprimant le lien de subordination entre le parquet et le ministère qu’elle le deviendra.

    Les magistrats sont-ils prêts à appuyer cette proposition ? J’en doute. Ils ne veulent pas de l’indépendance (qui implique d’être responsable de ses actes devant les français), ils veulent de l’autonomie (qui est, par définition, autocratique).

  • Oui, enfin, sous Hollande on a quand même eu une mise en examen supraluminique de Fillon pendant la campagne sur la foi d’articles de presse. Je ne me souviens pas de la même célérité pour Cahuzac….

    • @ Jack Shit et @ AlfredSG

      Si la Justice est bien le troisième POUVOIR de toute démocratie équilibrée!

      Il n’y a pas à sortir de là et la plainte d’un citoyen unique contre un ministre doit pouvoir le démettre de ses fonctions et le priver de certains droits civiques pour une période: elle aura là prouvé qu’elle n’est pas inféodée à l’exécutif et que les candidats aux promotions auront pu résisté aux « pressions!

      C’est bien cela que toute l’Europe reproche à la « démocratie » française!

      Un président pas du tout symbolique renforçant le pouvoir exécutif de son gouvernement selon le système d’un Général assez « autocratique », il faut bien le dire!

      Bon! On ne va pas reprocher à Ph.Bilger sa sympathie pour le milieu de ses 40 ans de carrière!

      • On aurait donc une sorte de caste cooptante (presque de droits divins) qui rendrait la « Justice » au nom du peuple français (sûr de sa bonne morale) sans jamais l’interroger (que les manants s’occupent de leurs basses oeuvres) ?

        Comme projet libéral, on a vu mieux … De là à dire qu’on se fout du monde : il n’y a pas qu’un pas.

        P.S. : La situation précédente me semblait à la limite même plus démocratique étant donné que tous les magistrats devaient des comptes à l’émanation (bien que souvent nauséabonde) de la volonté populaire … C’est dire.

        • @ Jack Shit
          Non, je ne « surhumanise » certainement pas la magistrature.

          Donc rien ne s’oppose à ce qu’un juge fautif puisse être réprimandé, sanctionné ou même démis!

          Mais comme dans d’autres professions (je suis dans cette catégorie) il y a une discipline professionnelle spécifique, supplémentaire à la loi commune, à respecter, d’ordre déontologique souvent conditionnée par un serment nécessaire à l’accès à la pratique professionnelle.

          On peut donc être sanctionné par cette voie, indépendamment de la justice civile ou pénale.

          Pour garder une indépendance du judiciaire face au législatif et à l’exécutif, le jugement se fait traditionnellement par « les pairs », parallèlement aux suites judiciaires normales. Si la juridiction par les pairs est inscrite dans la loi, rien ne s’oppose à ce que les sanctions prononcées soient légalement appliquées. Une collaboration des deux juridictions est fréquente et de bon aloi.

          Je ne suis pas du tout sûr que le système US avec élection des juges soit à préférer. Mais je ne pousse personne à penser comme moi!

          • Votre système (sans préjudice d’autres problèmes (nombreux et graves !) que je ne développeraient pas) n’a strictement rien de démocratique. Or, on nous parle ici de la justice démocratique.

            Drôle de façon de faire de la démocratie en prônant la création d’une organisation parallèle ne devant rendre des comptes qu’à elle même à travers un conseil élu par ses pairs … Donc, je maintiens : du bon gros foutage de gueule des familles.

  • Je ne veux pas rentrer dans la polémique , mais simplement tenter d’apporter une solution à cette situation de doute permanent , et je vais être concis . Suppression du ministre de la justice et remplacement de celui-ci par 3″ coo-ministres » issus de la majorité mais, aussi de l’opposition.
    On ne verrait plus de circulaires adressées aux tribunaux par dessus les textes de loi, et il y a eu une championne, car ces circulaires, ne seraient exécutoires que signées des
    3 « coo-ministres ». Un sujet de réflexion pour Mr Bilger!( ceci dit très respectueusement)
    respectueusement

    • @ TCAV

      3 coministres à la place d’un seul est déjà contraire à l’air du temps et résout un problème en en créant un autre: un désaccord potentiel entre les cosignataires (« majorité contre opposition », si on vous suit!).

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