Crise SNCF : en attendant la prochaine fois…

Au-delà des milliards nécessaires à la modernisation du réseau et au-delà de la mobilisation des compétences pour que ces investissements puissent être les plus efficaces possibles, la SNCF souffre d’un mal chronique : la vétusté de son organisation.

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Crise SNCF : en attendant la prochaine fois…

Publié le 7 décembre 2017
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Par Laurent Sabbah.

Le scénario et les séquences de la crise sont désormais bien rodés :

  1. Bug informatique aboutissant à une « super-panne », au mécontentement des clients-usagers et à la mobilisation des médias.
  2. Colère du ministre des Transports qui explique que cela est « inacceptable». Comme le soulignait Raymond Aron « dire que c’est inacceptable, c’est que déjà l’on accepte ! »
  3. Convocation des responsables de la SNCF au ministère pour se faire vertement tancer et interpeller sur le mode, « c’est la dernière fois ! ».
  4. Demande par le ministre d’un rapport à remettre… dans une semaine, accompagné d’une nouvelle organisation.
  5. Remise par la SNCF du rapport au ministre à la date convenue.
  6. Crise suivante… et retour au point 1.

Un principe semble se confirmer : en faisant toujours plus de la même chose, l’on obtient toujours plus du même résultat. Et il n’y a pas de raison pour que cette « boucle » s’interrompe.

Une organisation bloquée

Au-delà des milliards nécessaires à la modernisation du réseau et au-delà de la mobilisation des compétences pour que ces investissements puissent être les plus efficaces possibles, la SNCF souffre d’un mal chronique : la vétusté de son organisation. Ce problème aura du mal à se résoudre en… une semaine

Toutes les structures ferroviaires pourront être remises à neuf, toutes les data, les intelligences artificielles (IA), les appli’, les newsroom et autres chatbots pourront être interconnectés rien ne remplacera l’intervention humaine avec son « intelligence réelle », parfois même son simple bon sens.

Dans ce cas, il est prévisible qu’au plus les systèmes seront sophistiqués et au plus le numérique sera présent, au plus l’organisation sera vulnérable, au plus les crises se multiplieront et au plus les dirigeants de la SNCF seront convoqués chez le ministre !  C’est une question de géométrie : comment faire entrer un rond dans un carré ?

Comment marier une organisation du siècle dernier avec des systèmes d’information de ce siècle et avec des dirigeants dont on ne sait exactement de quelle époque et, dans le même temps, mobiliser des équipes qui ne savent plus à quelles horloges se fier ?

Problème de cohérence

Oui, l’information voyageur n’a pas été assez précise et coordonnée, avec un problème de cohérence entre celle délivrée par le personnel en gare, et celle sur les applications. Le retour d’expérience conduira à un changement manifeste et important.

Celui qui parle, c’est Mathias Vicherat, DG adjoint en charge de la Communication, dans une interview du… 1er août au lendemain de l’autre « super-panne », celle de cet été. Quelques jours avant la seconde « super-panne », celle du 3 décembre (vous suivez ?), il indiquait au magazine Stratégies (30/11/2017) :

Notre responsabilité était totale, à la fois dans la cause de la panne [celle du 1er août] et dans la mauvaise gestion de l’information voyageurs… Culturellement, l’entreprise a toujours eu tendance à privilégier la production (le fait de faire partir un train même en situation perturbée) plutôt que l’information.

Hier comme aujourd’hui, le discours – lui aussi –  est rodé. Il pourra même être réutilisé lors de la prochaine crise, il aura encore tout son « sens ».

Trop de marketing et de commercial, et pas assez de production ou l’inverse. Rien n’est encore clair. Seule certitude, chacun se renvoie la balle sur la responsabilité de la crise, des crises. La cause pourtant est entendue et elle se situe du côté de l’organisation.

Un vieux truc taylorien 

Pour qualifier la complexité et l’inefficacité de l’organisation de la SNCF, François Dupuy, éminent sociologue des organisations, qui a longtemps travaillé sur le cas de la compagnie nationale, estime qu’il s’agit « d’un vieux truc taylorien incapable de faire face à la complexité ». Dupuy parle même « d’une organisation à la dérive ». Retour au vintage dans un monde tourné vers le futur où les informations s’échangent au rythme de la microseconde.

La SNCF accumule les erreurs et collectionne les talons d’Achille ; des fragilités pourvoyeuses de crises à répétition (nous ne parlerons pas ici de l’accident de Brétigny-sur-Orge et du déraillement mortel du TGV Est).

Erreur stratégique avec la politique du tout TGV et des investissements concentrés sur une partie réduite des infrastructures.

Erreur organisationnelle avec des structures extraordinairement cloisonnées où la communication peine à circuler et où la collaboration ne parvient pas à franchir les parois des silos érigés et consolidés depuis des décennies. Dans un monde dématérialisé et digitalisé, la coopération entre les départements, les managers et les collaborateurs est vitale, sauf à préparer les crises de demain.

Erreur sociale où la cogestion syndicale et les inerties dans l’organisation du travail doivent cohabiter avec les mutations digitales et leur lot de disruption. Il semble que le retour à plus de simplicité, de réalisme et de responsabilité pourrait être une piste de transformation en profondeur. Cela nécessite de l’audace, du courage et du temps. Pas simple !

Il faut que ça change !

L’interne s’épuise face aux déficiences de l’organisation. Être compétent et dévoué ne suffit pas dépasser les lourdeurs et les incohérences de la structure qui sapent les motivations les plus affirmées. Confusions et contradictions finissent par éroder les plus résistants.

Comme le disent avec un brin d’incrédulité les cheminots : « Et pourtant ils roulent ». Sauf qu’aujourd’hui, ils ne roulent pas toujours. Le mot de la fin reviendra au Président de la SNCF, Guillaume Pepy : « Il faut que ça change ».

Le constat est incontestable !  Mais le changement viendra probablement de l’externe, de l’Élysée, lorsque le Président de la République considérera que le prix politique à payer pour l’enchaînement des crises sera trop élevé – pour lui et son Gouvernement –  pour se contenter de quelques mots et quelques rapports bouclés… en une semaine.

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  • Ouais bof, on fait tout un pataques de ce bug somme toute assez vite traité parce qu’il survient dans la même gare où est intervenu un autre gros bug nettement plus pénalisant pour les clients l’été dernier.
    Il faut bien comprendre que la Sncf est en train de moderniser son réseau en l’informatisant. Il sera plus efficace et permettra de faire circuler plus de trains, mais il sera aussi sans doute plus fragile. Chacun a déjà pu constater avec ses propres outils électroniques modernes que cette technologie a parfois des réactions difficilement compréhensibles même par des spécialistes.
    Il faudra probablement accepter d’autres bugs comme celui de dimanche dernier.
    En attendant, l’Etat ferait mieux de balayer devant sa porte, il n’est pas non plus exempte de reproches::
    http://www.europe1.fr/societe/carte-grise-100000-demandes-dimmatriculation-en-retard-3512147

    • Il n’y a qu’une porte, la même pour l’Etat et la SNCF. Que ce soient les logiciels de contrôle du réseau à la SNCF, de paie des militaires, de gestion des établissements publics, de délivrance des cartes grises, ou autres, les principes de développement sont les mêmes : spécification par des incompétents surveillés par des politiciens, sous-traitance à des copains, conditions offrant d’autant plus de rémunération au sous-traitant que le travail durera longtemps et aura besoin de corrections, paiement des pertes par le contribuable, impunité totale des « responsables » chez le donneur d’ordres lorsque le fiasco finit par se révéler.

      • C’est le mal français par excellence, la république bananière! Et on se moque des africains alors que c’est la même chose chez nous.

    • Vous m’avez coupé l’herbe sous le pied avec la gestion des immats.

    • ce bug n’est que la pointe de l’iceberg de problèmes qui submerge les usagers de la SNCF. Si il n’y avait qu’un bug par an mais il y en a 100 par jours…

  • on coupe les subventions à la SNCF et on ouvre à la concurrence et on va ensuite aux résultats.

    • Sans subventions, les seules lignes rentables sont les axes Paris Lyon Marseille, Paris Lille (puis benelux) et Paris Strasbourg (puis l’allemagne). Donc tu acceptes de supprimer toutes les autres lignes de trains, qui ne sont pas compétitives face au bus dans notre pays, car l’entretien du réseau routier est essentiellement subventionné.

      • Pas du tout. Les lignes de bus ne sont compétitives que parce que l’exploitation du réseau ferré se fait en dépit du bon sens. Le bus TER, que l’on connaît bien, perd un temps fou à accéder au centre des villes, ne peut respecter un horaire, est peu souple en capacité, est soumis aux intempéries, est malcommode pour les passagers avec bagages, etc. Et le réseau routier subventionné est de plus en plus mal entretenu, plein de ralentisseurs et de ronds-points, et encombré aux heures où les gens souhaitent voyager.
        Il faut revenir à l’esprit de la micheline https://fr.wikipedia.org/wiki/Micheline_(transport) , Paris St Lazare – Deauville en 2h14 en 1931 quand même, mais la SNCF n’a pas pour objectif de satisfaire le voyageur.

        • Une ligne de bus ou même la voiture sera toujours plus compétitive qu’une ligne de train , les couts du trains sont tout simplement disproportionnés. Le volume potentiel de la route sont 1000 fois supérieur au volume du train sans compter le fait que la route permet le porte porte contrairement au train. Le fait que l’on puisse envisager que les transport en commun soit moins cher que le voiture ou le bus tient uniquement au fait qu’ils sont massivement subventionné et que l’état fait une guerre sans merci contre le trafic routier à tout les niveaux : en la taxant massivement (essence, péage, assurance, parking…) et en dégradant volontairement le réseau (non entretient volontaire, limitation de circulation, limitation de vitesse…)

          • Il ne faut pas juger des coûts du train à l’aune de la SNCF. La nouvelle route de la soie, c’est du rail et de la ligne maritime. La route est ultra-pénalisée par la nécessité d’avoir un conducteur à bord de chaque véhicule, et le guidage par intelligence artificielle est loin d’être au point, tandis que celui par le rail l’est depuis près de deux siècles.

      • Et sans subvention du contribuable, le prix du billet serait multiplié par trois (au moins).
        Du coup, je suis à deux doigts de penser que c’est tout bonnement le chemin de fer qu’il faudrait supprimer.
        Après tout, le rail, en France, c’est en terme de trafic (voyageurs-kilomètres) un petit huitième de la route (plus de 800 milliards vs 100 milliards !
        Et la comparaison des deux maillages (route vs rail) ne tourne vraiment pas à l’avantage du chemin de fer.

      • les autres lignes ne sont pas rentables lorsqu’elles sont gérées par la SNCF. Je paries que, privatisées, elle le deviendraient. Il faut dissoudre la SNCF et la vendre ligne par ligne aux enchères (et l’argent récolté sers intégralement à rembourser la dette bien sur)

        • Ne tombez pas non plus dans la caricature. L’écart induit par les avantages des cheminots (retraites/santé/etc…) n’est pas si élevé car les postes de dépenses liés aux salaires ne représentent pas une part si importante des coûts de fonctionnement du ferroviaire (c’est l’amortissement du matériel et des infrastructures qui coutent le plus). Donc même privatisés, les lignes rentables sans subventions ne représenteraient qu’une part faible (mais non négligeable en % de trafic) des 30000 km de voies existantes.
          Dire que les prix du billet seraient multipliés par 3 cache une réalité très hétérogène, sur certains parcours on verrait une augmentation de 10% et sur d’autres de 1000%
          Un des problèmes c’est que le réseau ferré a été développé à une époque ou personne n’imaginait l’essor qu’allait prendre le transport routier, on a donc relié le moindre patelin au rail, parfois en construisant des ouvrages d’arts extrêmement couteux (viaducs, tunnels, etc) et qu’aujourd’hui aucun élu n’est prêt à lâcher sa ligne (et on les comprend, l’élu local qui annonce la fermeture de sa ligne est a peu près sur de perdre sa réélection).
          Le pari sur le TGV (focus sur les grands axes) n’est pas si fou que cela (d’ailleurs beaucoup d’autres pays ont repris l’idée). Paris Marseille en 3h de centre ville à centre ville, c’est une excellente idée. Ce qui est fou c’est qu’ensuite sous la pression des politiques, on a continué de construire des lignes sur des axes ou le trafic potentiel est insuffisant (en gros tout ce qui est à l’ouest de Paris).
          En comparaison la route aujourd’hui est largement subventionnée, puisque l’utilisateur ne paie pas l’amortissement des infrastructures (sauf autoroutes). Une bonne solution serait de financer l’entretien du réseau routier à l’aide des taxes prélevées sur le carburant (l’utilisateur paie au prorata de son usage, c’est simple, et bien sur ces taxes ne sont pas utilisées pour autre chose)

          • Renseignez-vous ! Les diverses taxes sur les carburants et impôts spécifiques aux automobiles représentent beaucoup plus que toutes les dépenses consacrées aux routes. Routes qui sont nécessaires pour aller jusqu’aux gares d’ailleurs !

  • Il faudrait que les responsables paient à savoir qu’ils soient limogés point barre.

    Qui se souvient des rails (trop larges donc inutilisables) achetés à une certaine époque ???

  • Et elle souffre encore davantage des décisions politiques imposées par les élus, qui veulent tous le TGV et bien sûr qu’il s’arrête dans leur ville, d’où construction d’une nouvelle gare. Ce train a ruiné le réseau ferroviaire français.

  • Il faudrait mettre de la concurrence dans le système en brisant le monopole. Rappelez-vous le téléphone… et le 21 à Asnières (pour les plus anciens d’entre nous).

  • Et si tout simplement le train était un outil du passé. Il a été un formidable outil de développement au XIXème siècle, mais il a été supplanté par la voiture, car elle est avant tout un élément de liberté individuelle.
    Le train n’a que deux intérêts : quand l’usage est très important, par exemple les RER en banlieue parisienne, ou quand il va nettement plus vite que la voiture ou le bus, donc le TGV pour les distances supérieures à 300 km. En dehors de ces deux cas, il faut arrêter les frais. Car entretenir une infrastructure (et mobiliser du terrain) pour faire circuler quelques trains par jours, à un prix exhorbitant, chacun ne transportant au mieux que quelques dizaines de passager, c’est juste une folie.

    • oui, le train c’est le passé, avec les voiture autonome et la possibilité de former des « trains » de voiture circulant à grande vitesse sans ralentissement tout en permettant aux passagers de faire autre chose de leur temps, le train aura vécu.

      • « former des « trains » de voiture circulant à grande vitesse sans ralentissement »
        Vous ne permettrez pas l’insertion et la séparation sans des ralentissements considérables, ni ne convaincrez la prévention routière de rouler plus vite que les limites actuelles moins 20%.

  • SCNF, une entreprise sclérosée avec un personnel hyper-syndiqué mais hypocrite-productif. Un modèle du genre en terme d’inefficacité qu’il faut sans cesse renflouer.
    Préconisations :
    – réduire les structures de coûts en revoyant l’organisation et en dénonçant les avantages innombrables et injustifiés ;
    – faire payer le vrai prix du billet : pourquoi celui qui ne prend pas le train doit-il payer la ligne par ses impôts et taxes locales ?
    – supprimer les organisations pyramidales sans fin pour réduire les chaines de décisions aussi inutiles que contre-productives et coûteuses et mettre les efforts sur le réseau

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