Les clips vidéo ont-ils vraiment besoin d’un soutien de l’État ?

Le ministère de la Culture veut aider la création, mais doit-on le laisser faire ?

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Les clips vidéo ont-ils vraiment besoin d’un soutien de l’État ?

Publié le 3 décembre 2017
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Par Constance Peruchot.

Le 27 novembre dernier, Françoise Nyssen, ministre de la Culture, a annoncé dans un tweet la création d’un nouveau plan de soutien aux vidéoclips musicaux par le Centre national du Cinéma et de l’image animée (CNC) en 2018. Ce plan fait suite aux conclusions du rapport de Roch-Olivier Maistre relatif à la mission de réflexion sur le projet de « maison commune de la musique ».

Françoise Nyssen affirme que l’aide en faveur des clips vidéo passerait alors de 300 000 à 3 millions d’euros. Cette décision est-elle indispensable et même souhaitable ?

Un ministère de la Culture qui cherche encore sa place

Dans le milieu hostile qu’est le paysage politique et institutionnel français, le ministère de la Culture a dû trouver sa place, et il lutte depuis lors pour sa survie. Se sentant perpétuellement en voie d’extinction, il semble vouloir justifier son importance dans la jungle gouvernementale en annonçant soutiens financiers, aides et autres mesures palliatives. Sans mouvement ni activité, une espèce se dégrade et meurt. Alors pour ne pas disparaître, il convient de se reproduire, de trouver sa place dans un environnement particulier pour s’y développer et survivre. Telle une espèce menacée de disparition, le ministère de la Culture cherche ainsi à se rendre indispensable dans le maximum de domaines possibles, être présent partout, quitte à agiter les bras pour rien.

Le clip vidéo est un de ces domaines que le ministère veut investir, le considérant comme un enjeu essentiel dans la création artistique musicale. Or, ce n’est pas parce que l’on ne souhaite pas l’intervention de l’État dans un domaine que l’on rejette celui-ci pour autant. Rappelons ici les mots1 de Frédéric Bastiat, énonçant que « nos adversaires croient qu’une activité qui n’est ni soudoyée ni réglementée est une activité anéantie. Nous croyons le contraire. Leur foi est dans le législateur, non dans l’humanité. »

Alors, comment le ministère parvient-il à se faire une place dans ce pan de l’industrie musicale ? (Trop) simplement en y injectant des fonds, en se faisant la béquille des artistes dont on ne considère pas qu’ils puissent s’en sortir seuls, et cela au risque d’une mauvaise redistribution de l’argent du contribuable, par un gestionnaire public dont les qualités sont encore souvent à démontrer, d’autant plus en matière de culture.

La question de la subvention culturelle a souvent fait débat, et a parfois mené à des échecs ou du moins des voies sans issue. Il en est ainsi du fonds d’avances participatives en faveur du jeu vidéo – constitué en majorité par l’Institut pour le Financement du Cinéma et des Industries Culturelles – créé en 2015 mais qui n’a toujours pas trouvé le succès escompté en 2017.

Les clips : utiles mais pas essentiels

Les exemples sont nombreux pour rappeler à quel point les artistes musicaux peuvent déborder d’imagination pour créer et se faire connaître, sans forcément recevoir d’aide financière publique.

Parmi les exemples récents, l’on peut citer le collectif rennais Columbine, dont le premier album Clubbing for Columbine est sorti sans aide extérieure en janvier 2016. Lorenzo, membre de Columbine, a mis en ligne une mixtape gratuite, Empereur du sale, en mars 2017, qui a rapidement dépassé le 1,5 million de vues sur Youtube, et a été téléchargé plus de 94 000 fois à ce jour. L’artisanat total de ce collectif ne leur a pas empêché de devenir un phénomène web incontournable chez les jeunes, et de mettre en ligne des clips vidéo dont le nombre de vues est tout à fait respectable.

Autre exemple, Rilès, jeune rouennais passionné de musique, qui débute en septembre 2016 les « Rilèssundayz ». Le principe est simple et audacieux : mettre en ligne un morceau chaque dimanche pendant un an. La notoriété de l’artiste se construit peu à peu, sans aucun clip vidéo durant les premiers mois, faute de moyens, mais riche d’une communauté de fans grandissante. En 2017 sa tournée internationale a débuté, et en novembre il remplissait deux Bataclan complets.

Pour ne pas s’arrêter au rap, et pour complaire la « diversité culturelle », nous pourrons également citer Grégoire bien évidemment, produit par le label My Major Company, mais encore les chanteuses Joyce Jonathan et Irma. Partis de rien, ces différents artistes ont développé leur image et leur identité pour construire leur propre parcours.

Il ne convient pas ici de dire que les clips vidéo ne sont pas essentiels à un artiste musical, ils peuvent l’être dans une certaine mesure, mais ils ne sont pas indispensables pour débuter, évoluer, développer son travail. La nécessité d’une nouvelle aide peut alors paraître quelque peu branlante.

Le ministère de la Culture fera un « effort sans précédent »

Dans son tweet, la ministre de la Culture appuie son annonce en rappelant qu’il s’agit d’un « effort sans précédent ». Le champ lexical du labeur peut surprendre concernant le domaine de la création, car il semble sous-entendre que les artistes attendaient cet « effort » du ministère pour enfin produire.

Personne n’a pourtant attendu la loi du 7 juillet 2016 – énonçant la liberté de création – pour créer, et les artistes n’ont pas mis de côté leurs projets uniquement parce qu’il n’existait pas d’aides d’État pour les mettre en œuvre. À l’instar de la liberté de culte, impliquant un libre-choix dans la pratique et le financement de sa pratique religieuse, la liberté de création suppose une neutralité la plus large possible de l’État. Il s’agit aussi d’une question d’égalité concurrentielle que d’interdire à l’État de distribuer tels ou tels privilèges financiers sur des critères politiques nécessairement arbitraires.

Enfin, si effectivement une aide est mise en place, comment s’assurer de son bon usage, et de la cohérence de ses modalités d’attribution ? Peut-être nous dirigeons-nous vers une nouvelle « prime à la qualité » existant pour la vidéomusique, dispositif dont les critères étonnent autant par leur complexité que par leur octroi exclusif.

Le ministère de la Culture veut aider la création, mais doit-on le laisser faire ? Ses méthodes et ses stratégies ne sont pas adaptées à la création contemporaine, elles sont en décalage avec les pratiques artistiques actuelles et peuvent même être inégalitaires. La mesure de soutien pour les clips vidéo ne paraît donc pas souhaitable, parce qu’une création aidée est biaisée, un art administré est bridé.

  1.  Frédéric Bastiat, Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas,  IV. Théâtres, Beaux-Arts, 1850.
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  • Sponsoriser avec l’argent de l’état les agences de pub , quelle belle idée de la gauche caviar….et en passsant cela profite à google , cette belle société qui ne veut pas payer d’impôts….

  • Bien d’accord avec ça, le secteur public n’a pas à financer la création. « Créatif » renvoi à un critère subjectif, l’état ne peut piloter qu’à travers des critères objectifs, et n’a jamais su anticiper des mouvements culturels émergeant.
    Donc, S’il veut aider la culture, l’etat peut aider à financer des infrastructures (locaux) de diffusion, d’enseignement ou de création, aider à trouver ou insonoriser des lieux propices au bruit, mais en aucun cas les gérer : ils doivent être en autonomie et en auto gestion.

  • Parfait exemple du clientélisme conduisant à la gabegie, un des secrets des politiciens français. Les clips rapportent de l’argent, donc il est parfaitement inutile de les aider.

  • Les commentaires sont fermés.

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