Le Liban face à ses contradictions politiques

La crise d’aujourd’hui gouvernementale est lue comme la conséquence de rivalités entre Iran et Arabie saoudite. Pourtant ses facteurs prennent racine dans la structure propre du système politique libanais, excessivement communautarisé.

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Le Liban face à ses contradictions politiques

Publié le 24 novembre 2017
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Par Raphaël Gourrada.
Un article de The Conversation

La récente crise politique que traverse le Liban depuis le 4 novembre 2017 contraint le Pays du Cèdre à faire face à ses contradictions.

Cet État de 10 452 km2 est une fois de plus ballotté par les remous des tensions régionales et à la merci des revers stratégiques internationaux.

La vie politique du pays semblait pourtant enfin se mouvoir après deux ans et demi de blocage, consécutif à la crise de la vacance présidentielle (mai 2014-octobre 2016).

Mais le 4 novembre, la démission de Saad Hariri, alors Premier ministre, annoncée par l’intéressé depuis Riyad en Arabie saoudite, a sonné comme un coup de tonnerre ayant surpris l’ensemble (pour ne pas dire la quasi-totalité) de la classe politique libanaise. Bien que Saad Hariri soit aujourd’hui revenu au Liban et soit revenu partiellement sur sa décision, le pays reste en proie à de vives incertitudes.

Saad Hariri annonce sa démission depuis Riyad, Al-Arabiya English.

Ainsi de nombreuses spéculations ont entouré la question de sa liberté supposée restreinte à Riyad, ainsi que le délai anormalement long de son séjour dans la capitale saoudienne.

Tensions et rumeurs

Ces questions ont contribué à exacerber une tension palpable autour de l’avenir politique du pays.

Désireux de mettre un terme aux rumeurs, le leader sunnite avait accordé une interview télévisée dimanche 12 novembre, une semaine après l’éclatement de cette crise, relayée par son propre média Future TV, dans laquelle il justifiait sa décision, tempérait la virulence des propos tenus lors de son discours de démission, et affirmait sa liberté de mouvement à Riyad.

Jugée peu convaincante, sa prestation, bien que saluée par certains observateurs comme l’annonce d’une désescalade, alimenta davantage les rumeurs dénonçant les pressions saoudiennes.

La polémique s’est même emparée de la rue lorsque la question de la « libération » de l’ex–Premier ministre s’est invitée lors du marathon de Beyrouth le 12 novembre. « Hariri, nous courons pour toi » pouvait-on lire sur les banderoles dressées dans les rues de la capitale.

Et, de leur côté, tweets, hashtags et autres détournements photographiques ironiques ont envahit les réseaux sociaux telle la circulation d’une affiche « Sauver le soldat Saad » (en référence au film de Spielberg Sauver le soldat Ryan).

Il a, semble-t-il, fallu attendre une médiation diplomatique française pour que la fièvre redescende quelque peu, sans toutefois complètement disparaître.

Démocratie du compromis

La vie politique libanaise sortie de son anémie à l’automne 2016, avait permis au Président Michel Aoun (chrétien maronite) de charger Saad Hariri (de confession sunnite) de former un gouvernement d’union nationale réunissant aussi les factions politiques chiites.

Ce type de compromis politique est classique au Liban, où la pratique du pouvoir se répartit traditionnellement entre les différentes communautés présentes dans le pays.

Le compromis politique de 1943, issu des négociations entre les leaderships musulman sunnite et chrétien maronite, consacre un mode de gouvernement consensuel par l’attribution coutumière de la Présidence de la République à un ressortissant de la communauté maronite, la Présidence du Conseil à un musulman sunnite et la Présidence du Parlement à un musulman chiite.

Afin de respecter cet équilibre, la démocratie libanaise repose sur le principe du consensus. Si celui-ci garantit la représentativité des communautés aux différents échelons des institutions étatiques, il entrave bien souvent la mise en place d’une politique nationale transcendant les particularismes de groupes, et donc l’émergence d’un sentiment national libanais vécu comme tel par les forces vives du pays.

La démocratie « consociative », sacralisant la pratique du consensus et la représentativité de toutes les communautés, et construite initialement comme un moyen favorisant l’émergence d’une nation forte, est progressivement devenue une fin en soi.

Le souvenir douloureux des conflits civils qui ont embrasé le pays de 1975 à 1990 est encore vivace. Or, cette période a vu l’intervention armée directe de puissances étrangères comme la Syrie voisine ou Israël, événements qui conditionnent encore aujourd’hui la vision politique de certains dirigeants, comme l’ancien Président Michel Sleiman ou l’ex–Premier ministre Nagib Mikati, désireux de distancer le Liban des enjeux et rivalités déchirant la région.

Des alliances internationales encombrantes

C’est en ce sens que fut élaborée la « déclaration de Baabda » (du nom du siège de la Présidence de la République) en 2012, sous l’initiative du Président Michel Sleiman.

Consacrant une « politique de dissociation » à l’heure de l’embrasement syrien, la « déclaration de Baabda » entend apaiser les tensions entre les deux blocs politiques formés à l’issue des événements de l’année 2005, suite à l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, père de Saad.

En 2005, il s’était en effet formé une opposition entre le bloc dit du « 14 mars », regroupant le Courant du Futur haririste, le parti chrétien des Forces libanaises (FL), ou encore le Parti social progressiste (P.S.P.) du druze Walid Joumblatt ; et le bloc du « 8 mars » sous la houlette des partis chiites Hezbollah et Amal, et des partis à dominante chrétienne des Marada ainsi que le Courant patriotique libre (CPL) fondé par le général Aoun.

Si le premier bloc est perçu comme aligné entre autres sur l’alliance américano-saoudienne, le second est parfois dénoncé comme étant soutenu par l’Iran et le régime syrien de Bachar Al Assad. Difficile, dès lors, de dissocier un État des conflits extérieurs alors que les principaux systèmes d’alliances électorales (pour certaines purement tactiques) se définissent en fonction d’enjeux régionaux et non nationaux…

Redorer la classe politique

Le retrait relatif du régime saoudien des affaires libanaises depuis 2015 – faisant écho au déclenchement de l’opération « Tempête décisive » au Yémen –, avait, entre autres facteurs, permis de tempérer l’opposition entre ces deux blocs et d’ouvrir la voie à des compromis politiques.

Contre toute attente, Saad Hariri fit ainsi fait le choix dès l’automne 2016, de soutenir la candidature d’un membre du bloc du « 8 mars », Michel Aoun, à la Présidence de la République.

Le général Michel Aoun a été un membre fondateur du courant dit « patriotique » du 8 mars, opposé à la coalition du « 14 mars » dont faisait partie Hariri.
Imadmhj/Wikimedia, CC BY

Pour Hariri, absent du Liban depuis plusieurs années, il s’agissait ainsi de l’opportunité d’un retour aux affaires. Il fut ainsi nommé à la tête d’un gouvernement regroupant à la fois le Courant du Futur, les FL, le PSP, le CPL mais également le Hezbollah.

Ce compromis politique cachait surtout un moyen de redorer le blason d’une classe politique désavouée par une partie de la population, comme les récentes manifestations du collectif « Vous puez » contre la mauvaise gestion des déchets l’ont récemment démontré.

Mais cet accommodement n’a cependant pas tenu un an, en raison de dossiers clivants tels que les armes du Hezbollah et son implication dans le conflit syrien.

La répercussion des antagonismes régionaux entre l’Arabie saoudite, Iran, la Syrie, l’Irak et les ingérences étrangères dans les affaires du pays ont eu raison de ce pacte fragile.

Embourbements religieux

Cette crise pose non seulement l’éventualité d’un énième blocage institutionnel, mais exacerbe également à outrance la place de la religion dans l’analyse des rapports de force politiques au Liban.

Le pays est ainsi prisonnier de cette grille de lecture purement confessionnelle. Ainsi, l’opposition « 8 mars »/« 14 mars » est couramment lue comme une énième expression de la « fracture sunnito-chiite » qui ne tient sa réalité que dans l’exploitation qu’en font certains acteurs régionaux et les médias, notamment occidentaux.

La crise d’aujourd’hui gouvernementale est à son tour lue comme la conséquence de rivalités entre un Iran chiite et une Arabie saoudite sunnite.

Pourtant ses facteurs prennent racine dans la structure propre de ce système politique libanais excessivement communautarisé.

Même les leaderships politiques chrétiens, pourtant répartis « à parts égales » entre les deux blocs d’alliance, n’échappent pas à cette logique d’antagonisme et peinent à trouver le rôle de médiateurs qu’ils souhaitent parfois jouer.

Il n’est désormais un secret pour personne au Liban que le chef des FL, Samir Geagea, aligne ses positionnements sur ceux de Riyad, qui le finance en partie (comme l’a révélé un câble Wikileaks publié en juin 2015).

La relative réserve présidentielle observée par le Président Aoun s’est, quant à elle, bien vite transformée en critique à peine voilée de l’implication saoudienne dans la démission de Monsieur Hariri. Elle contraste avec l’indulgence des déclarations tenues par le Patriarche maronite Béchara Raï à l’encontre du pouvoir saoudien lors de son voyage à Riyad le 13 novembre dernier.

Il a ainsi affirmé « croire aux raisons de Saad Hariri et à sa liberté de mouvement dans le pays », révélant une fois de plus les rivalités et tensions entre leaderships politiques et religieux au sein de la communauté chrétienne maronite.

Si la crise provoquée par la démission de Saad Hariri révèle la dépendance encore forte de la scène politique libanaise vis-à-vis des développements internationaux, et porte en elle les germes de futures tensions dans le pays, elle constitue également un test décisif pour la classe politique du pays.

The ConversationIl semble évident que le pays ne pourra retrouver une vie politique saine et apaisée que lorsque ses dirigeants feront le choix de s’affranchir de leurs parrains internationaux, de refuser les antagonismes confessionnels, et de reprendre en main la destinée de leur État en s’attelant à sa remise en marche économique et au bien-être de sa société.

Raphaël Gourrada, Doctorant Centre d’Études Turques, Ottomanes, Balkaniques et Centrasiatiques, École des hautes études en sciences sociales (EHESS)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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