L’inéligibilité est-elle antidémocratique ?

Tout homme doit être puni à une peine qui signale la gravité de l’offense commise et permet à la société de se protéger efficacement. Le reste est une affaire de jugement personnel et souverain dans lequel un tribunal n’a pas à s’immiscer.

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L’inéligibilité est-elle antidémocratique ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 22 novembre 2017
- A +

Par Jean-Michel Arnaud.

La loi pour la confiance dans la vie politique, entrée en vigueur le 15 septembre, était une des promesses phare du Président Macron, censée retisser les liens entre une classe politique frappée par les scandales à répétition et une population échaudée. Les avancées qu’elle propose, notamment en matière de prévention des conflits d’intérêts, méritent d’être saluées.
Mais elle contient une disposition d’apparence anodine qui n’est pas sans poser de graves questions. Désormais, sauf décision motivée du tribunal, l’inéligibilité est obligatoirement prononcée pour les élus s’étant rendus coupables de divers crimes et délits.
 
Le premier problème posé par cette disposition est la confusion entretenue entre le droit et la morale. Le moral, ou le souhaitable, est largement affaire de circonstances et d’appréciation. Il est de ce fait nécessairement imprécis. Il relève de l’appréciation personnelle s’agissant de la vie privée, et de la déontologie s’agissant de la vie publique ou professionnelle.

Le domaine de la loi pénale

Le pénal, quant à lui, doit uniquement proscrire ce que la société considère comme particulièrement grave. Il relève du juge et de  la loi pénale, laquelle est strictement encadrée. Elle doit être précise, afin que le juge, en l’interprétant, ne se substitue pas au législateur, et les peines qu’elle prévoit doivent être proportionnées et adaptées, ce qui interdit une automaticité absolue. Un homme politique doit être puni pour ses fautes, mais il n’appartient pas à la justice d’estimer si il présente dès lors les qualités requises pour exercer un mandat électif.
 
En effet, les peines complémentaires viennent, comme leur nom l’indique, en prolongement d’une première peine. Elles doivent donc, en vertu du principe constitutionnel de nécessité, être en rapport avec l’infraction sanctionnée. C’est ainsi que les peines relatives aux délits d’émission de chèques sans provision, ou d’usage de drogues, peuvent être complétées par une interdiction de posséder un chéquier ou une obligation de soins. Il s’agit d’éviter une réitération de l’infraction ou, plus généralement, de remédier au trouble que celle-ci a apporté à l’ordre public.

Respect des droits fondamentaux

 
S’agissant de candidats aux élections, on comprend bien qu’une condamnation pour fraude électorale soit assortie d’inéligibilité. Il en est de même d’une condamnation pour atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou pour des faits de prévarication.
Le lien est déjà beaucoup moins net s’agissant d’escroquerie, et on peut s’interroger sur son existence s’agissant des condamnations pour harcèlement ou discrimination… Un individu coupable d’un de ces chefs est naturellement frappé des peines principales.
Faut-il considérer qu’il est dès lors, pour une durée pouvant aller jusqu’à dix ans, inapte à exercer un mandat électif ? Moralement, sans doute, mais cela n’est pas du ressort de la loi pénale. Une sanction obligatoire pose donc problème au regard des droits fondamentaux garantis par les principes de nécessité et de proportionnalité des peines.

C’est à l’électeur de décider, pas au juge

 
Politiquement, de la même manière, il appartient aux électeurs de décider, pas au juge. Ce point est évidemment d’une importance capitale puisque, si c’est l’auteur de l’infraction qui est l’objet de la sanction, il n’en subit pas seul les effets. En lui interdisant de se présenter, on empêche le corps électoral de le choisir.
C’est donc la souveraineté du peuple, fondement même de la démocratie, qui se trouve ainsi limitée sans nécessité impérieuse. Ce point n’est ni théorique, ni anecdotique, ni marginal. C’est la séparation des pouvoirs qui est ici en cause, l’autorité judiciaire se posant comme un filtre de la volonté populaire.
 
L’actualité récente nous a d’ailleurs montré que l’opinion publique n’avait pas besoin du juge pour rendre de facto inéligible un candidat dont la probité avait été sérieusement mise en cause, même si dans le cas présent se pose un autre problème, celui de la présomption d’innocence foulée aux pieds par le tumulte médiatique.
On peut dès lors aisément imaginer les réactions si le candidat en question avait été effectivement condamné. Inversement, le peuple octroie parfois une seconde chance à des hommes ayant suffisamment fait amende honorable, c’est son droit le plus strict.
 
Tout homme doit être puni à une peine qui signale la gravité de l’offense commise et permet à la société de se protéger efficacement. Le reste est une affaire de jugement personnel et souverain dans lequel un tribunal n’a pas à s’immiscer, a fortiori lorsqu’il s’agit de désigner les citoyens dignes d’accéder aux charges publiques. La présente réforme introduit malheureusement dans notre corpus juridique une confusion légalement douteuse et politiquement dangereuse.
Voir les commentaires (9)

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  • Je ne comprends pas cet article.
    Le peine d’inéligibilité est obligatoire dans une société où l’information de l’électeur est biaisé soit par manque d’information soit désinformation.e il’semblerait que même un PV devrait faire elle cherche de se présenter à une élection..qui vole un œuf vole un bœuf !

  • Contrairement au précédent commentateur j’approuve entièrement cet article.
    Le pouvoir des juges doit être de sanctionner les infractions, pas d’orienter la politique. Or c’est la tendance – la dérive – inévitable qui se profile avec des mesures comme celle proposée ici.

    • +1 très bon article. l’extension des cas d’inéligibilité augmente inutilement la tentation (déjà élevée) d’utiliser la justice de façon politique pour éliminer les opposants…

    • @ humpty-dumpty
      D’abord, on appréciera, chacun pour soi, le fond de la sanction.
      Ensuite la forme (de cette loi) sera jugée par le vote des 2 chambres et sa constitutionnalité par le conseil du même nom.
      Si il y a un problème, elle ne pourra être d’application, en l’état.
      Prudence supplémentaire: il est précisé dans un cas pareil, une condition supplémentaire: « sauf décision motivée du tribunal »: la porte n’est pas fermée et la sanction n’est pas « automatique »!
      Mon avis est donc que ce texte est acceptable, en l’état! L’exécutif propose la loi, le parlement la vote, la justice l’interprète (au cas par cas, donc sans la changer).

      • « la forme sera jugée par le vote des 2 chambres » : la chambre basse est décisionnaire en cas de désaccord, qui ne manquent pas d’arriver ces derniers temps. Si je suis attaché sur le principe au bicamérisme, les dernières évolutions (passage au mandat de six ans au lieu de neuf, et plus encore, amorce d’une lésion sinon rupture du lien aux territoires avec le non-cumul avec un mandat de maire) et surtout sa pratique (particulièrement avec un Macron peu soutenu au Sénat), tendent à faire de la chambre haute un gadget pas assez écouté. Je ne me reposerai donc pas dessus pour un équilibrage sérieux des textes.
        « sa constitutionnalité par le conseil du même nom » : sur le cas présent, en effet, je ne suis pas dénué de tout espoir.
        « « sauf décision motivée du tribunal »: la porte n’est pas fermée » : ouais ! Alors ce genre de précision, c’est pour faire joli et se draper dans les oripeaux du discernement au cas par cas et de l’indépendance de la justice. Et accessoirement (enfin non, principalement), de tenter d’éviter la censure du CC justement. La question est de savoir où est la norme et où est l’exception. Là on renverse les deux.
        Or ma crainte est l’instrumentalisation du judiciaire à des fins politiques. Cette formulation du texte ne prémunit absolument pas contre celle-ci. Si c’est « par exception on peut ajouter une peine d’inéligibilité » il faudra justifier et la justification pourra être remise en cause en appel. Si c’est le contraire, pour faire appel, ce sera beaucoup plus compliqué d’aller dire que la première instance aurait dû « spécialement motiver » de ne pas la prononcer. La motiver par quoi ? Par la désapprobation qu’aurait le juge du caractère automatique ? Bien sûr que non.
        La vérité est qu’une peine « automatique sauf exception » est dans la pratique une peine quasi-automatique.
        Bref : compter sur la motivation spéciale de chaque juge sur chaque jugement pour assouplir un peu la position générale du législateur ? Ce n’est pas comme ça qu’on fonde une politique pénale !

        • @ humpty-dumpty

          Vous n’aurez pas omis de lire ma « précaution oratoire » sur le fond de la loi! (Et je suis bien d’accord qu’une sanction complémentaire « automatique », ça doit être difficile à avaler pour un juge!

          J’aurais plus facilement vu cette procédure dans le droit administratif, si la loi passe.

          Maintenant que vous pensiez qu’il s’agit d’une hypocrisie démagogique pour « blanchir » les politiciens, à peu de frais, c’est un avis que je respecte et ne commenterai pas, comme étranger! Le texte n’est pas en cause, ce qu’on en fera sera plus à surveiller!

          Cordialement.

          • Je n’ai pas dit que je trouvais que c’était une hypocrisie démagogique pour se blanchir à peu de frais, et ne l’ai pas pensé (alors que je l’ai pensé d’autres lois récentes dans le même domaine). En particulier justement parce que je ne considère pas que ce soit « à peu de frais » : ce ne l’est que pour ceux qui sont – ou pensent être – du « bon » côté… En donnant un pouvoir qui me paraît démesuré aux juges sur une matière qui ne relève pas de leur appréciation (je ne dis pas autre chose que l’article, là !)
            Le sujet est celui des limites posées à chaque pouvoir pour garantir un niveau suffisant de liberté(s). Sujet qui me semble avoir toute sa place sur ce site. Et qui me paraît maltraité par cette loi en discussion.

  • Article nécessaire. Sauf que si les élus arrêtaient de voter des lois absurdes, personne ne devrait dépenser de l’énergie pour défendre le droit des électeurs à apprécier leur aptitude à être élus. L’accumulation de lois et règlements inutiles qui nous font perdre notre temps, notre argent et notre énergie vont finir par nous rendre allergiques à la démocratie et aux élus qui l’entretiennent.
    Quand la démocratie est pervertie au point de devenir liberticide, elle perd son statut d’idéal. Peut-être vaudrait-il mieux une inéligibilité totale et totalement antidémocratique dans un contexte libéral où les élus seraient devenus superflus.
    Sur le marché, les partenaires de relations de coopération n’ont pas besoin de voter pour se mettre d’accord. Finalement l’idéal que nous pourrions poursuivre pour neutraliser les tentatives de despotisme et défendre notre liberté ne serait plus la démocratie mais un libéralisme de partenaires qui se passent d’élus.

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