La chute de Mugabe ne signifie pas la fin de la misère au Zimbabwe

On peut se réjouir de voir Mugabe destitué. Mais celui qui risque de le remplacer pourrait bien être pire encore.

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Mugabe aux obsèques de Nelson Mandela en 2013 by GovernmentZA(CC BY-ND 2.0)

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La chute de Mugabe ne signifie pas la fin de la misère au Zimbabwe

Publié le 20 novembre 2017
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Par Marian L. Tupy

Je n’étais encore qu’un étudiant lorsque j’ai appris que Robert Mugabe, à la tête du Zimbabwe depuis 1980, avait commencé l’expropriation des terres agricoles du pays, ce qui avait entraîné la deuxième hyperinflation la plus élevée de toute l’histoire et une incroyable crise économique. À l’époque, j’étais persuadé que le peuple zimbabwéen se lèverait et renverserait la dictature instaurée par le parti d’extrême gauche ZANU-PF.

C’était il y a 17 ans et, démenti par les faits, j’ai cessé toute prévision de ce genre par la suite. Mais finalement, le tyran rusé, aujourd’hui âgé de 93 ans, semble avoir rencontré son égal en la personne de celui dont on peut dire qu’il est encore plus violent que Mugabe lui-même. Le sinistre assassin Emmerson Mnangagwa semble être son digne successeur.

Pendant des décennies, Mugabe a dominé la vie politique du Zimbabwe et s’est imposé sur la scène internationale en tant que doyen des hommes d’État africains. L’exercice de sa fonction est entaché d’actes de corruptions, de tortures et d’assassinats de ses adversaires.

Il a réussi à se maintenir grâce au biais culturel qui veut que les personnes âgées, aussi méprisables soient-elles, sont vénérées. Le nonagénaire de plus en plus sénile a cependant commis une grave erreur le 6 novembre lorsqu’il a limogé son vice-président, Emmerson « Crocodile » Mnangagwa, en vue de favoriser son épouse de 52 ans, Grace « Gucci » Mugabe, à sa succession. C’était le plan B. Mugabe a d’abord essayé d’empoisonner Mnangagwa en août dernier. Hélas, le Crocodile a survécu à cette tentative d’assassinat et a utilisé les relations militaires qu’il avait soigneusement cultivées pour renverser la situation.

Dans l’état actuel des choses, les militaires, qui ont orchestré un coup de force mardi, ont arrêté Mugabe à Harare et sa femme exilée en Namibie. La plupart des commentateurs semblent considérer que le tyran sera désormais contraint de remettre les rênes du pouvoir à son ancien adjoint. Mnangagwa est au cœur du pouvoir au Zimbabwe depuis l’indépendance du pays en 1980. Outre la vice-présidence, il a occupé un certain nombre de postes ministériels, dont aucun n’a été aussi important que celui de ministre de la Sécurité nationale entre 1980 et 1988, lorsqu’il a présidé les massacres de Gukurahundi et le meurtre d’environ 20 000 personnes au Matabeleland.

Quel genre de pays le génocidaire de 75 ans va-t-il hériter de son prédécesseur ? Tout d’abord, le Zimbabwe est une dictature, les opposants au régime de la ZANU-PF (le parti au pouvoir) étant régulièrement brutalisés, emprisonnés voire assassinés. Les élections, y compris celle de 1980 qui a porté Mugabe au pouvoir, sont fortement truquées ou conduites dans un climat de violence politique contre une opposition héroïque mais maladroite. Le pays n’a aucune liberté d’expression, la Zimbabwe Broadcasting Corporation étant l’instrument de propagande du régime. C’est pourquoi le premier acte de l’armée a été de s’emparer de son siège à Harare.

Quelque quatre millions de Zimbabwéens, en particulier les plus talentueux et les plus brillants, ont quitté le pays. Ils maintiennent à flot les 16 millions de personnes qui vivent encore dans le pays grâce à des transferts de fonds s’élevant à plus d’un milliard de dollars par an.

Concernant l’économie, après les atteintes aux droits de propriété et à l’état de droit de Mugabe au début des années 2000, le pays a connu une hyperinflation qui a culminé à un taux annuel de 90% en novembre 2008. Cette année-là, la production est tombée à son niveau de 1979, tandis que le PIB par habitant a chuté à son niveau des années 1950. Le chômage a grimpé à 90% et les fonctions de l’État – à l’exception cruciale des forces armées et de la police secrète – ont dans les faits cessé de fonctionner.

La communauté internationale est intervenue et a organisé un accord de partage du pouvoir entre la ZANU-PF de Mugabe et le Mouvement pour le changement démocratique (MDC), le parti de l’opposition. C’est en vertu de cet accord que le pays a été gouverné entre 2009 et 2013. Comme de juste, le MDC s’est vu confier la tâche ingrate de remettre de l’ordre dans l’économie et d’essayer d’améliorer les conditions de santé et l’éducation du Zimbabwe. Pendant ce temps, la ZANU-PF a conservé le contrôle des ministères influents, comme la police et l’armée.

Sans surprise, les élections générales de 2013 ont vu Mugabe reprendre le contrôle total du pays tandis que Mnangagwa, qui a joué un rôle déterminant dans le maintien au pouvoir du tyran durant le pire de la crise économique, a rapidement été élevé au rang de vice-président.

Ceux d’entre nous qui ont passé des années à militer pour les libertés politiques et économiques dans ce pays d’Afrique australe, sans parler des millions de Zimbabwéens de la diaspora et du pays, se réjouissent de voir la destitution d’un tyran corrompu et violent. Mais ce serait une erreur d’être trop optimiste. L’homme qui semble prêt à prendre le pouvoir est tout aussi corrompu et violent que Mugabe. Dans ce pays africain tourmenté, les choses peuvent encore empirer.


Sur le web. Traduction : Raphaël Marfaux pour Contrepoints.

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  • Mugabe a pris le pays avec le revenu par habitant le plus élevé d’Afrique et avec ses politiques socialistes, c’est devenu l’une des pires économies du monde
    Résumé de la dictature de Robert Mugabe.
    Chômage 94%
    PAUVRETÉ 91%
    Pénurie de médicaments 92%
    Billets de pénurie 88,5%
    Espérance de vie: 39 ans
    Taux de SIDA: Le plus grand au monde
    Orchestré le massacre de 20 000 opposants dans les années 1980
    Responsable de la fermeture de 12000 entreprises
    Hyperinflation

    • ce n’est pas tant le caractère « socialiste » de ses politiques (même si vous avez raison sur ce point) que leur caractère RACISTE.
      Dès qu’il l’a pu, et pour satisfaire la jalousie d’une partie de sa population, il s’en est pris aux blancs. Tout comme ls Algériens reportent toutes leursincompétences sur « la faute aux français », là-bas c’était la faute aux blancs.
      Eh bien réjouissez-vous : ça arrive en France ! Tout est la faute des blancs et la Mugabisation du pays est en marche. Il est temps de chercher son point de chute en exil. J’ai choisi la Hongrie. J’ai dit preum’s.

      • Les deux sont liés. Les blancs incarnaient les riches, les bourgeois.
        Dans un pays socialiste, le pouvoir s’en prends à l’élite (qui ici étaient les blancs). La haine des blancs venaient à la fois du racisme mais aussi du marxisme (on les hait car ils représentent l’élite). Dans tout pays socialiste, on s’en prends à l’élite (non socialiste) ce qui conduit le plus souvent à une fuite des cerveaux. Même chose pour le Venezuela: les gens les plus éduqués ont fuis le pays depuis longtemps.
        Le fait d’avoir pris la terre des fermiers blancs a été désastreux pour le Zimbabwé (car ils étaient les seuls compétents à gérer ces fermes). Mais le désastre économique du Zimbabwé ne peut pas seulement s’expliquer par le racisme anti blanc.
        En vérité, le socialisme et la haine des blancs sont étroitement liés au Zimbabwé.
        L’Algérie est autre pays très socialiste.
        Accuser des agents étrangers étrangers (en particulier l’Occident) d’être responsable de la faillite du socialisme c’est typiquement socialiste. Tout pays socialiste utilise des boucs émissaires pour justifier l’échec de ses politiques (complot américano sioniste,…). C’est vrai en Algérie comme au Venezuela ou au Zimbabwé

      • Moi aussi, en partie … pour y avoir vécu plusieurs années et parler le hongrois. Mais dépêchez-vous, l’immobilier flambe. Les Européens « de souche », particulièrement les Allemands, achètent autour du Balaton …

  • Zimbabwe hyperinflation, round two (although today’s 350% annual rate is much less than 10^23% peak in 2008)
    https://web.archive.org/web/20171119155936/https://pbs.twimg.com/media/DPAKWg1X4AA7MD8.jpg:large

  • D’accord sur le fait que passer de Mugabe à Mnangagwa c’est comme aller de Charybde en Scylla.
    Mais je me demande d’où viennent vos courbes qui montrent une forte amélioration a partir de 2008. Ce n’est certainement pas la réalité sur le terrain !

  • Pour remercier les rhodésiens de leur aide déterminante pendant la WWII l’ONU à organisé sciemment l' »indépendance de ce malheureux pays en espérant le faire basculer coté Moscou, ce qui a parfaitement réussi….
    Un des pays les plus éduqué,le plus riche au niveau agricole, asombré dans l’anarchie et la dictature avec en plus génocides tribaux, massacre des fermiers blancs

    • Oui la Rhodésie était le pays le plus riche d’Afrique mais il ne faut pas oublié que c’était un régime d’apartheid qui est un régime horrible hautement condamnable. Il était légitime de mettre fin à l’apartheid. Après on est d’accord que l’après apartheid a été un désastre total (pas seulement pour les blancs mais aussi pour les noirs sauf pour une petite élite noire proche du pouvoir en place)

    • @ Kansas beat
      Que racontez-vous? C’est I.Smith qui a déclaré la Rhodésie indépendante le 11/11/1965!

      • Oui et I. Smith a été contraint de par un embargo féroce à lacher son pays…Et ses concitoyens blancs….
        L’apartheid ? En Rhodésie? Une vue de marxistes germanopratins…

  • « C’était il y a 17 ans « je crois pas non…

    • Si, si : la réforme agraire de Mugabe date bien de 2000.

      • Une réforme agraire ne sert à rien si la population n’a pas le courage de travailler ces terres….Les fermiers blancs n’avaient pas les meilleures terres….Ils avaient les terres les mieux travaillées…
        En 1914 , 40% des hommes blancs rhodésiens se sont engagés dans l’armée britannique, en 1940, 45%…Les femmes, les vieux et les gamins ont tenu les fermes…Pendant que les hommes viraient Rommel de l’Afrique du nord.

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