Télémédecine : c’est pour demain… ou après-demain ?

Les miracles de la télémédecine ne vont pas s’accomplir sous nos yeux comme par magie. Ils impliquent des changements techniques et organisationnels. Et dans ces domaines là, tout reste à construire.

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Télémédecine : c’est pour demain… ou après-demain ?

Publié le 19 novembre 2017
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Par Roxana Ologeanu-Taddei1 et David Morquin2.
Un article de The Conversation

Les initiatives de télémédecine se multiplient un peu partout en France. Elles donnent lieu, chaque fois, à une large médiatisation. Ces derniers jours, on a célébré la plate-forme Santé Landes installée à Mont-de-Marsan ou encore l’équipement dont s’est dotée une maison de retraite médicalisée à Chartres. En dépit de cet effort généralisé, les promesses du soin à distance tardent à se concrétiser.

Le premier ministre a pourtant mis en avant les bienfaits de la télémédecine lors de la présentation de son plan de lutte contre les déserts médicaux, le 13 octobre. En septembre déjà, la Cour des comptes rappelait dans son rapport sur le sujet les nombreux bénéfices escomptés de cette nouvelle pratique de la médecine par écrans interposés : la modernisation du système de santé, les économies à travers la mise en place de la télésurveillance des patients, l’amélioration de la prise en charge des personnes vivant dans des territoires isolés ou en situation de détention. La Cour soulignait toutefois le fait que les expérimentations menées ces dernières années constituaient des initiatives hétérogènes, aboutissant à « des résultats modestes ».

D’où viennent ces résultats décevants, et surtout, comment les améliorer ? Nous pensons qu’un facteur clé tient à une vision trop idyllique de la télémédecine. Le recours à cette pratique est invoqué à la façon d’une « pensée magique », niant les problèmes qui jaillissent face à tout changement à la fois technique et organisationnel.

La vision simpliste de la télémédecine

La définition de la télémédecine retenue par l’article L6361-1 du code de la santé publique, qu’on retrouve dans beaucoup d’articles scientifiques, est éloquente. Il s’agit « d’une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication ».

Ces termes entretiennent la vision simpliste d’une pratique clinique inchangée qui se passerait juste « à distance ». Ils sous-estiment la transformation de la pratique elle-même par son informatisation. Cet obstacle se dresse immanquablement au moment où l’expérimentation réussie doit être transformée en un système pérenne. Il faut alors s’attaquer à des aspects pragmatiques moins valorisants et plus fastidieux.

Le nouveau logiciel de télémédecine adopté par un établissement, par exemple, doit s’insérer dans l’écosystème technologique existant. On rêve en effet d’une médecine « dématérialisée » mais celle-ci pose en réalité des problèmes tout à fait matériels : la capacité de mémoire nécessaire, la compatibilité avec les programmes déjà installés (système d’exploitation, versions du navigateur et autres applicatifs pour la bureautique), le débit nécessaire pour le transfert des données, la sécurité des transmissions de données, la procédure de sauvegarde et l’hébergement des données.

Lors de l’annonce du plan contre les déserts médicaux, le premier ministre a d’ailleurs relevé l’importance de la connexion Internet, affirmant que le problème serait résolu par la future couverture totale du territoire.

12 logiciels différents pour la prise en charge de l’AVC

Le choix du logiciel est une autre question pragmatique qui se pose quand on décide de se lancer dans la télémédecine. L’observatoire du référencement des Éditeurs de logiciels et intégrateurs du marché de la santé (RELIMS) rapporte une grande diversité dans le secteur de la santé, avec 301 sociétés inscrites et 840 logiciels disponibles déclarés sur le marché français. Pas moins de 135 éditeurs proposent, par exemple, des logiciels pour l’hospitalisation à domicile !

Et si l’on regarde un segment très spécifique comme les dispositifs de télémédecine dans la prise en charge de l’accident vasculaire cérébral (AVC), il existe actuellement 12 logiciels différents… Cette multiplicité pose la question de leur pérennité et des conséquences pour les clients en cas de faillite de l’éditeur – comment récupérer les données, par exemple.

Quels peuvent être les critères de choix objectifs ? L’un pourrait être la certification selon une des normes internationales de qualité (ISO), comme dans d’autres secteurs économiques. Il existe même des normes ISO spécifiques pour les logiciels de santé. Mais les éditeurs ne s’y intéressent pas beaucoup, ou pas encore – et cela est valable partout dans le monde. La plate-forme britannique de télémédecine SOS se targue ainsi d’avoir été, en 2015, la première entreprise certifiée dans le monde selon la norme ISO pour la qualité du service dans la télémédecine.

En France, la Haute Autorité de santé (HAS) n’a pas mis en place de certification spécifique pour les applications et logiciels de télémédecine. Aucune obligation réglementaire n’existe, à l’exception des logiciels visant à être certifiés comme dispositifs médicaux, ce qui ouvre droit au remboursement par l’Assurance Maladie. Actuellement, seule une application dédiée au diabète, Diabeo, a obtenu cette certification.

La HAS a publié récemment un référentiel de bonnes pratiques pour les logiciels et applications dans la « santé mobile », mais elles n’ont pas de caractère obligatoire. À la lecture de ce guide, les clients et utilisateurs potentiels apprennent que l’évaluation de la fiabilité, de la sécurité et du service rendu deviennent indispensables pour ces logiciels. Or, la documentation des éditeurs fournit peu de garanties sur ces critères.

L’ergonomie et la facilité d’usage figurent parmi les exigences qui devraient s’appliquer à tous les logiciels, comme le rappelle d’ailleurs le guide de la HAS. Il s’agit d’éviter les risques d’erreur associés à une mauvaise utilisation, ou simplement la perte de temps liée à un nombre important de clics.

En 2012 déjà, une étude internationale avait montré que 17% des incidents liés à la sécurité de la prise en charge des patients étaient imputables à des problèmes d’ergonomie du logiciel utilisé. De nombreux articles insistent sur les « erreurs silencieuses » engendrées par la ressaisie d’informations, l’ergonomie défaillante ou le contournement par les soignants de logiciels inadaptés aux processus de travail.

Des logiciels incompatibles entre eux

Un dernier aspect très pragmatique qui compromet l’essor de la télémédecine tient aux incompatibilités entre des logiciels incapables d’échanger automatiquement des données entre eux. Ce défaut d’interopérabilité technique et sémantique (signification de l’information) entre logiciels pose un problème croissant avec leur multiplication dans des buts et sur des supports différents, depuis le dossier informatisé du patient jusqu’aux logiciels liés à des appareils médicaux. Ces logiciels s’accumulent en mille-feuilles, entraînant une surcharge de travail pour les professionnels de santé.

Au Québec, l’absence d’interopérabilité entre les différents logiciels servant de support au dossier informatisé du patient a posé de gros problèmes. Le ministre de la Santé a donc décidé il y a deux ans que tous les hôpitaux de la province doivent migrer vers un logiciel unique. En France, une telle décision à l’échelle nationale n’est pas possible en raison de la circulaire de 1989 sur l’informatisation des hôpitaux publics laissant la possibilité aux établissements de choisir leur fournisseur informatique.

Aujourd’hui, il y a deux solutions pour faciliter l’échange de données entre les logiciels : soit imposer une norme à l’ensemble des éditeurs, ce que la HAS pourrait décider de faire, soit imposer un logiciel unique sur tout le territoire, ce qui paraît difficile en raison de la circulaire évoquée plus haut.

Quelle responsabilité pour les éditeurs de logiciels, en cas de problème chez un patient ?

Une autre question se pose, avec la généralisation attendue de la télémédecine. En cas de problème chez un patient lié à un défaut de l’informatique, qui est responsable : les professionnels de santé, les éditeurs du logiciel ? Jusqu’où les éditeurs peuvent-ils être mis en cause si leur logiciel tombe en panne ou ne fonctionne pas comme prévu ?

Rappelons qu’en 2011, le décès d’une patiente a potentiellement été imputé à une erreur logicielle. Le représentant des éditeurs, le délégué de l’association “Les entreprises des systèmes d’information sanitaires et sociaux” (LESIS), avait remis en question la formation et les bonnes pratiques dans l’utilisation de ces logiciels. Cet accident a cependant abouti, à partir de 2014, à la certification par la HAS des logiciels d’aide à la prescription.

Pour l’implémentation de la télémédecine, là encore, un guide de bonnes pratiques existe. Loin d’en donner une vision idyllique, il laisse entrevoir le parcours de saut d’obstacles qu’un tel projet représente. Il souligne l’importance de prendre en compte les ressources humaines pour la maintenance et l’assistance technique, ainsi que pour la coordination entre les professionnels. Car la plus grande erreur consiste à imaginer que la technologie, par l’automatisation du traitement de données, répondrait à elle seule à tous ces besoins.

Le Premier ministre a cité, dans son plan de lutte contre les déserts médicaux, l’exemple du diagnostic à distance d’un grain de beauté, ou télédermatologie. Pour le rendre possible, il reste à concevoir des logiciels fiables, mettre en place des « entrepôts » pour stocker les photos de grains de beauté des patients, définir un protocole technico-médical basé sur des études cliniques – par exemple définir la résolution minimale pour que la photo soit exploitable – et coordonner des professionnels à même de réaliser le diagnostic.

Ainsi, les miracles de la télémédecine ne vont pas s’accomplir sous nos yeux comme par magie. Ils impliquent des changements techniques et organisationnels. Et dans ces domaines là, tout reste à construire.

Sur le web-Article publié sous licence Creative CommonsThe Conversation

  1. Maitre de conférence habilitée à diriger des recherches en Sciences de gestion à Polytech Montpellier, Université de Montpellier.
  2. Praticien hospitalier au CHU de Montpellier, doctorant en Gestion des Systemes d’information, Université de Montpellier.
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  • Rien que pour la carte vitale, la sécu impose déjà des MAJ de logiciels fréquentes et coûteuses. Mais le problème de responsabilité ne se limite pas à l’informatique. En télémédecine il y a un (ou des) professionnel(s) de santé à chaque bout. Pour mettre son grain de sel autour d’une table de conférence, on trouve toujours plein de monde ; mais quand il y a eu « bavure », tout le monde cherche sa gomme sous la table…
    Enfin il y a le problème des honoraires, sur lesquels la sécu monopoliste a la haute main. Elle ne paiera pas aux deux bouts, et si elle propose 50/50, ce ne ne sera pas très attrayant…

  • La télémédecine est une chose, la désertification médicale en est une autre, et il faut être politicien déconnecté des réalités pour vouloir traiter l’autre par l’une.
    Les causes de la désertification médicale sont le manque de médecins et le refus d’adapter les tarifs aux conditions locales d’exercice. Dans le manque de médecins, il faut compter la réglementation qui les conduit à consacrer une part bien trop importante de leur temps à des tâches administratives ou réglementaires qui ne demandent pas d’avoir un bac+10.
    La télémédecine est une technique naissante, dont je doute qu’elle sorte du contexte de la concertation entre spécialistes médicaux, mais qui dans ce domaine a sans nul doute un rôle futur important à jouer. Comme toute technique naissante, il est normal qu’elle souffre de bugs et d’incompatibilités, tout ça se corrigera avec le temps, mais ne sera nullement déterminant pour décider de quand et comment elle doit être utilisée.

    • Une fois encore ce sont les militaires américains qui la développent et l’utilisent depuis un temps déjà.

    • @ MichelO
      J’aime bien l’illusion d’une télémédecine « cache-misère » des déserts médicaux!
      Il n’est même pas concevable, jusqu’à présent, de concilier la variation (je laisse le choix de parler de « progrès ») dans le monde « informatique », d’une part, dans la sphère médicale de l’autre!
      Alors si ce sont les autorités politiques et administratives qui vont « organiser », alors qu’on n’envisage même pas de revenir sur la « circulaire de 1989 sur l’informatisation des hôpitaux publics », forcément « ça va bien se passer »!

  • Je me permets de réécrire mon commentaire d’il y a quelques jours à propos de la télémedecine , et qui est celui d’un médecin de terrain depuis quelques dizaines d’années…..
    1- qui dit tétémédecine dit télé (a distance, c’est la définition ) et médecine: donc à priori , une partie du problème de la médecine actuellement, ce serait l’impossibilité de consulter physiquement un médecin en France: problème religieux peut-etre , ou bien, nous les médecins , vivons tous en secteur hautement radioactif (au coeur d’une centrale nucléaire sans doute ) et les capacités de se déplacer sont bien pires que les carrioles du 18 eme siècle probablement enfin arrètons ce délire….. et je répondrai à ceux qui me rétorqueraient :  » et les déserts médicaux dans les campagnes, vous y avez pensé?  » Oui absolument, en France métropolitaine, que je sache, nous nous sommes pas à 1000 kilomètres ou plus sur une une ile non médicalisée comme en polynésie, et les patients peuvent prendre leur voiture ou le taxi (remboursé par la SECU pour les maladies graves donc prises en charges à 100% ); Alors de grace, ne me dites pas qu’on ne peut pas faire l’effort en france métropolitaine d’aller voir son médecin.
    2- Qui dit nouvelle technologie dit (si on l’utilise ) progrès scientifique et donc amélioration du service rendu: Pensez-vous sincèrement que voir un médecin à travers un écran est plus performant que physiquement?
    Alors oui , les progrès informatiques sont déja présents dans notre travail quotidien, aide à la prescription, information totale avec internet.
    IL faudrait aussi se poser la question pourquoi les jeunes diplomés ne veulent pas exercer en mode libéral, mais ça, c’est un autre débat, et je peux en discuter dans un autre commentaire.
    Dernière réflexion, le summum de la bètise en télémédecine a été l’intervention chirurgicale pratiquée entre les US et la France il y a quelques années: je ne savais que nous n’avions plus du tout de chirurgiens en Europe!!!!
    Et toute dernière réflexion, c’est super la télésurveillance, oui oui, beau joujou: si un patient télésurveillé fait un arret cardiaque et qu’il n’a pas de défibrillateur implantable, on pourra dire à la famille sur coté il est tombé mort….

  • Cet article me dérange. Il critique une vision simpliste de la télémédecine de par la définition qu’en a donné le législateur.
    Tout au contraire, cette définition ouvre tous les possibles et toutes les expérimentations à ce niveau.
    Pour une fois que le législateur n’a pas la prétention de normer les choses dès le départ, je suis déçu de voir une critique de ce point sur un site qui se veut libéral.

    • @ wakrap
      Ne vous tracassez pas!

      Comme dans d’autres domaines scientifiques et technologiques, l’état légifère avec retard et finit par plus ou moins s’adapter à la réalité: on peut déjà constater qu’il existe un « tourisme médical » en France afin d’obtenir ailleurs ce qui n’est pas autorisé en France: le législateur devra un jour s’adapter par souci de « justice sociale »! C’est inéluctable.

  • La solution québécoise du logiciel unique est à fuir absolument par principe libéral (on est sur Contrepoints ici !) et pour des raisons de sécurité et de confidentialité des données personnelles sensibles. Un travail institutionnel sur l’interoperabilité sémantique est en cours : http://esante.gouv.fr/sites/default/files/asset/document/20150504_etude_terminos_phase2_diagnostic.pdf

  • Deserts médicaux rimes souvent avec desert telecom! Impossible de concevoir une télémédecine fiable dans un pays dont le réseau telecom est l’un des moins avancé en europe . On parle de couvrir « 90 » % de la population en 4G …en 2030 et ne parlons pas de la couverture du territoire! Les zones peu denses ne seront couvertes qu’à la saint glin-glin…

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