La passion de l’égalité, de Drieu Godefridi

Drieu Godefridi soutient dans son nouvel essai la thèse de l’égalité, au sens matériel, comme constituant l’inspiration, le programme et l’horizon du socialisme.

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La passion de l’égalité, de Drieu Godefridi

Publié le 9 novembre 2017
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Par Thierry Godefridi.

Dans La passion de l’égalité, son essai sur la civilisation socialiste, Drieu explique aux socialistes ce qu’ils sont, d’où ils viennent et où ils vont. La démarche est curieuse de la part de « l’un des chefs de file de l’école libérale contemporaine », mais louable et utile car les socialistes d’aujourd’hui, de quelque horizon qu’ils soient, ont apparemment oublié leurs racines et perdu le sens de l’orientation.

Y a-t-il une intuition première qui fonde le socialisme ? Justice et liberté pourraient, par exemple, venir à l’esprit, si ce n’est que les socialistes n’en ont pas le monopole et que leur notion de la justice paraît plus sélective que distributive et celle de la liberté, au mieux circonstancielle, à nul moment primordiale.

Citant Henri de Man, figure éminente du socialisme européen de l’entre-deux-guerres et dirigeant du Parti ouvrier belge devenu par la suite Parti socialiste, qui énonçait dans Au-delà du marxisme que « toute conception socialiste est basée en dernière analyse sur l’idée d’égalité », Drieu soutient comme thèse que c’est bien l’égalité, mais au sens matériel, qui constitue l’inspiration, le programme et l’horizon du socialisme.

Egalité de fait et égalité en droit

Et, pour éclaircir les idées de ceux qui les confondraient ou s’imagineraient leur consubstantialité, l’auteur de La passion de l’égalité insiste sur la distinction entre l’égalité de fait et l’égalité en droit, deux notions parfaitement antinomiques, source de fâcheuses méprises et de toutes nos avanies.

L’égalité en droit (isonomie) protège le citoyen contre l’arbitraire, la volonté de l’autorité qui viserait partialement telle personne en particulier. L’égalité de fait (isomoirie) ne se préoccupe pas de droit, ni d’arbitraire, elle instaure une distribution des biens entre les citoyens, à parts égales ou selon leurs besoins.

Que ces concepts d’isomoirie et d’isonomie soient radicalement différents, contrairement à ce que certains laissent volontiers accroire, se traduit dans ce que l’égalité de fait peut s’accommoder d’un régime politique parfaitement arbitraire (par exemple, dans l’évaluation des besoins de chacun) et l’égalité devant la loi, d’une répartition parfaitement inégalitaire des biens (parce qu’il y en a qui sont plus ingénieux ou chanceux que d’autres).

Isonomie et isomoirie

Qui plus est, précise Drieu, les concepts d’isonomie et d’isomoirie sont inconciliables. Si vous appliquez l’un, vous n’obtiendrez nécessairement pas l’autre. La nature est inégalitaire. Si les mêmes règles s’appliquent à tous, certains dotés d’une plus grande intelligence ou de plus de force en tireront un plus grand parti matériel que d’autres.

Si l’égalité matérielle est décrétée, c’est l’être humain qu’il faut dénaturer et ses faits et gestes qu’il faut réguler jusque dans le moindre détail. « Périssent, s’il le faut, tous les arts pourvu qu’il nous reste l’égalité réelle ! », écrivaient les proto-socialistes Babeuf et Maréchal, cités par Drieu, dans leur Manifeste des égaux.

Même les plus érudits parmi les socialistes omettent de nos jours de faire la distinction entre les deux concepts et entretiennent volontiers la confusion, et pour cause, puisque celui d’isonomie (égalité en droit) sous-tend une société de laisser faire et de laisser vivre, de libre-arbitre et de responsabilité, et l’autre, l’isomoirie ou l’égalité de fait, un État total, c’est-à-dire une dictature totalitaire qui doit régir le comportement de ses sujets jusque dans les moindres détails de leur existence.

Egalité des chances et luttes contre les discriminations

Drieu donne deux exemples de confusion, l’égalité des chances et la lutte contre les discriminations. Pour ce qui est de l’égalité des chances, soit elle postule que nous avons les mêmes droits au départ, soit que nous sommes égaux sur le plan matériel à l’arrivée.

La nature nous ayant fait différents, si nous sommes égaux à l’arrivée, c’est que nous n’avions pas les mêmes droits au départ. La notion d’égalité des chances ne veut rien dire ; elle se contente d’entretenir le flou quant à ce qu’elle signifie réellement.

Il en va de même pour ce qui est de la lutte contre les discriminations, lutte qui aboutit à établir des discriminations d’ordre juridique à rebours tant il est question d’effacer toute différence de tout autre ordre.

Le socialisme, une éthique à géométrie variable

À cet égard, La passion de l’égalité a le grand mérite de démontrer, au fil des fluctuations de la pensée socialiste et de l’histoire des mouvements qui s’en prévalurent, en Allemagne, en Italie, en Russie et en Chine par exemple, que si le socialisme n’a pas le privilège du cœur, il n’a pas non plus celui de la sainteté, tant son éthique s’est avérée à périmètre variable.

George Orwell, socialiste convaincu, écrivit à propos de La Ferme des animaux, sa fable animalière dénonçant les régimes totalitaires : « Le tournant du récit, c’est le moment où les cochons gardent pour eux le lait et les pommes. »

Si, dans La passion de l’égalité (Editions Texquis, Bruxelles, 2017) Drieu se livre à un brillant inventaire savamment documenté de l’univers conceptuel de la pensée socialiste et à une déconstruction intellectuelle de la tentation égalitaire de notre époque et des risques que cette égalisation forcée présente pour les droits naturels des hommes et des femmes libres, il reste à écrire une anthropologie, une sociologie et une psychologie de l’égalitarisme qui expliquent pourquoi ce concept continue à subjuguer les masses malgré les horreurs qui ont émaillé l’histoire du socialisme et malgré les prévarications dont nombre de ceux qui s’en réclament, peu ou prou, encore de nos jours, se rendent coupables.

Drieu Godefridi, La passion de l’égalité. Essai sur la civilisation socialiste, éditions Texquis, octobre 2017, 150 pages.

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  • Ajoutons à cette réflexion sur l’égalité qu’elle entraîne mécaniquement les sociétés vers leur déclin puisque, les mathématiciens le savent bien, l’égalité se fait au niveau du plus vil (PPCM), tirant l’ensemble vers le bas. Au contraire l’inégalité est source d’émulation, indiquant le sens des flèches à ceux que la nature a moins bien servi, leur permettant de progresser soit au contact de ceux qui réussissent mieux, soit à leur exemple.

    • @Gaston +1 et comme le système est dynamique il entraîne inéluctablement tout le monde dans une vrille vers le bas … jusqu’à l’écrasement final.

    • Bien entendu l’égalité de fait est une bêtise. Mais je ne partage pas votre vision progressiste de l’inégalité. L’émulation ne concerne que les gens d’un niveau assez semblable. Ceux qui réussissent mieux entraînent les autres dans leur sillage parce que ces derniers n’ont pas le choix. Ils subissent le mouvement ce qui n’empêche pas qu’ils en tirent des profits indéniablement. Cependant, en dehors de ces avantages indirects perçus, comme ils subissent ils sont très sensibles au mépris ou à la considération que les autres mieux dotés leurs accordent. C’est en sens que certains souhaitent l’égalité, pas dans les faits mais dans le traitement (ou de perception). Je ne sais pas si j’ai réussi à exprimer clairement mon idée.

  • Plus qu’ une passion, une obsession.

  • Etude intéressante mais qui confirme une évidence de plus de deux siècles: le socialisme est l’utopie, liberticide par essence, qui institutionnalise un contresens puisé chez Rousseau. Condorcet l’a dénoncée, en fustigeant la « funeste égalité » de fait. La confusion volontaire avec l’égalité de droit est l’imposture constitutive de l’utopie socialiste qui nie l’existence des inégalités NATURELLES, lesquelles dynamisent la société. Guizot reprit l’idée pour la placer au coeur de sa réflexion sur l’instruction publique. Pour Chateaubriand, « les Français vont instinctivement au pouvoir. Ils n’aiment point la liberté, l’égalité seule est leur idole, Or, l’égalité et le despotisme ont des liaisons secrètes ». (Mémoires d’outre-tombe. T 4) Et son neveu comprit en Amérique la portée du tropisme: « Les hommes ont pour l’égalité une passion ardente, insatiable, éternelle, invincible. Ils veulent l’égalité dans la liberté et, s’ils ne peuvent l’obtenir, ils la veulent encore dans l’esclavage. Ils souffriront la pauvreté, l’asservissement, la barbarie, mais ne souffriront pas l’aristocratie ». (De la démocratie en Amérique, t.II) L’égalité doit céder le pas à la liberté, pour préserver l’une et l’autre. Le socialisme n’obtient ni l’une ni l’autre car il a choisi la combinaison inverse. ( Milton Friedman)

  • Les hommes de qualité n’ont pas peur de l’inégalité plutôt! Car étant différent, chaque homme a unes trajectoire différente!

  • Tout cela demeure bien connu, presque banal. Une approche théorique parallèle mais légèrement différente est celle d’Ayn Rand qui distingue les sociétés qui récompensent selon le mérite et celles qui distribuent selon les besoins, les secondes étant inéluctablement vouées à la catastrophe. La grande faille de la psychologie française a toujours été la jalousie sociale, ce qui nous rend très vulnérables aux idéaux égalitaristes et conduira à notre fin.

  • Caricatural. Déjà il n’y a pas le socialisme, mais les socialismes, mais surtout parce que les socialismes partent tous d’un constat assez clair après la révolution française : la liberté est fondamentale, mais que signifie liberté individuelle quand les choix individuels sont fatalement définis par des conditions matérielles et culturelles hérités des cellules familiales ? Que veut dire la main invisible (compétition d’individualité) si tous les compétiteurs ne partent pas sur la même ligne de départ ?
    Bien entendu, aucun régime humain n’a jamais résolu le problème, mais le socialisme bien qu’imparfait a tout de même permis quelques avancés sur la question. Sans quoi on aurait encore la moitié de la population analphabète, des riches dans des ghettos armés et une partie non négligeable de la population fouillant dans les poubelles. Une réalité dans pas mal de pays où les états n’interviennent pas pour au moins essayer de tendre à une égalité des chances (et non des conditions)

    • @ Tigrou
      A la naissance nous sommes tous égaux, et si les dés n’étaient pas pipés par la gauche, dans un pays méritocratique tout le monde a sa chance. La preuve l’ascenseur social a très bien fonctionné jusqu’en 1981. Mais l’intervention de la gauche dans l’éducation a fait passé de 30% à 9% les élèves de familles modestes dans les grandes écoles. En refusant d’enseigner aux enfants la culture que dispensaient les hussards de la République, indispensable pour y entrer, elle a barré la route aux défavorisés culturels, ceux auxquels les parents ne peuvent leur enseigner puisqu’ils ne la possèdent pas.

    • Le socialisme n’a absolument rien arrangé. C’est le capitalisme libéral, en créant des emplois et des richesses, qui a fait sortir les pauvres de leur état de misère. Le socialisme les y a maintenu, voir les pays socialistes, comme le mien, où on faisait la queue devant des magasins vides! La nomenklatura du parti communiste elle avait ses propres magasins et ne manquait de rien. Alors pour l’égalité socialiste vous repasserez!

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