La Catalogne victime du franquisme zombie

La crise catalane et le réveil des nationalismes antilibéraux d’Europe centrale illustrent la difficulté des jeunes démocraties à surmonter le cycle oppression-illusion.

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La Catalogne victime du franquisme zombie

Publié le 24 octobre 2017
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Par Henri Astier.

Eduardo Mendoza, l’un des écrivains les plus célèbres de Barcelone, déclarait dans une interview de 1989 :

L’effet le plus pernicieux de la censure a été de nous faire croire que le jour de sa disparition tous les livres seraient bien écrits. Nous sommes tombés dans une illusion.  Puis nous avons pris conscience que nous étions très arriérés.  Ce fut douloureux.

Cette vérité profonde peut être généralisée : l’effet le plus pernicieux de la répression est de faire croire que sa disparition résoudra tous les problèmes.  L’effondrement d’un absolutisme n’éteint pas la soif d’absolu : il entraîne les hommes vers un autre absolu, tout aussi illusoire.

Naissance et mort des utopies

Les révolutions française et bolchevique ont vu les utopies, et non les libertés, fleurir sur la tombe des Anciens régimes. Ce phénomène a été constaté, à un moindre degré, dans l’Europe centrale désoviétisée. Quoi, se sont récriés les déçus du nouvel ordre libéral, n’a-t-on abandonné le totalitarisme communiste que pour tomber dans celui du consumérisme et des logos ?

L’utopie n’est pas simplement la croyance que le paradis est à portée de main. Elle peut survivre à la mort d’une telle croyance par la certitude de vivre en enfer. En 1992, Karel Kosik, penseur du Printemps de Prague, faisait ce constat :

L’époque moderne est celle où l’homme, le sujet d’autrefois, est de plus en plus enchaîné par les forces du système de production, et en devient le prisonnier, et l’objet. Les rôles changent : le système qui doit servir à l’Homme devient le maître.

Les écrits de Vaclav Havel, autre grand penseur antitotalitaire tchèque, sont empreints d’une même amertume : l’URSS et l’Occident n’étaient que les deux versants d’une modernité qui noie les individus dans le monde des objets.

Tournant autoritaire de l’antilibéralisme

Comme l’a noté Alain Finkielkraut, « Havel a été un président heideggérien. »  (propos tiré de cette émission : https://www.franceculture.fr/emissions/repliques/y-t-il-une-identite-europeenne – le son n’est plus disponible sur la page)  Plus récemment, la contestation du capitalisme libéral en Europe centrale a pris un tour autoritaire.  Mais qu’elle soit classée à droite ou à gauche, la critique du libéralisme a poussé sur un terreau fertilisé par la décomposition de l’oppression communiste.

On a souvent noté que l’utopie menait à la dictature. Mendoza montre que l’inverse est aussi vrai. On touche là un aspect de la tragédie qui se déroule dans sa Catalogne : le franquisme – ou plutôt son zombie, qui aurait survécu à la mort de Franco  – continue d’alimenter une radicalité fauteuse de rêve, comme de cauchemar.

Côté rêve, les indépendantistes catalans promettent des lendemains qui chantent dans un pays libéré de l’oppression fiscale et culturelle de Madrid, source présumée de ses maux.

Deux courants incompatibles

À ce prurit nationaliste, s’ajoute l’anarchisme anticapitaliste, selon lequel le salut de l’humanité passe par l’abolition du profit. J’ai noté ici l’incompatibilité foncière de ces deux courants. Mais ils ont en commun un onirisme qui a pu s’épanouir sous l’oppression franquiste, avant d’allier leurs forces pour le référendum.

Quant au cauchemar, il a été illustré avec éloquence par cette résidente de Barcelone, qui déclarait, à propos des indéniables violences policières qui ont marqué le référendum du 1er octobre :

J’ai assisté aujourd’hui aux pires actions qu’un gouvernement peut infliger à son propre peuple.

L’utopie n’a pas besoin de la tyrannie pour s’emparer des esprits. Mais cette dernière favorise les fantasmes en répandant l’idée que la liberté forcément mène au bonheur : on en tire la conclusion que là où certains maux subsistent – et dans les sociétés les plus prospères, le choix de tares à souligner est grand – la liberté n’existe pas vraiment.

La crise catalane et le réveil des nationalismes antilibéraux d’Europe centrale illustrent la difficulté des jeunes démocraties à surmonter le cycle oppression-illusion. Comme l’indique Mendoza, seuls le temps et l’épreuve des dures réalités peuvent en affranchir ceux qui veulent bien reconnaître qu’ils sont malgré tout libres.

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  • j’aurais plutôt dit que la répression policière est une excellente démonstration que la démocratie est une forme de dictature sur les minorités. On voit bien que l’etat se pose comme propriétaire du sol..Un catalan peut partir de l’Espagne, mais pas la catalogne.
    Les transferts de richesses par les impots sont une nouvelles forme du tribut payé par un royaume vassal. Bon..si les catalans imaginent que de quitter l’Espagne va résoudre ses problèmes , ils se trompent. Et la question des raisons de chaque catalan de quitter l’espagne se pose.

    • Répression policière, c’ est une des expressions favorites de la mouvance d’ extrême gauche, vous auriez pu rajoutter police fasciste ou franquiste. Allez demander aux Vénézueliens ce qu’ il en est de la vrai répression policière. Il n’ y a pa eu de répression policière en Catalogne, juste des policiers qui ont essayé de canaliser des enragés d’ extrême gauche.

      • 800 blessés suites aux interventions policières du 1er Octobre dont 12 en état grave.
        Si ce n’est pas de la répression, je me demande bien ce que ça peut-être…

        • La répression et la violence était des deux côtés cher monsieur, depuis l’Espagne nous avons vu les gentils indépendantistes essayer de lyncher la guardia civil dans leur hôtel, molester les unionistes, brûler les commerces des non catalans, etc…Savez vous que ces catalanistes sont aussi révisionnistes, ils enseignent dès la maternelle la haine de l’Espagne et une histoire revue et enjolivée à la sauce catalane. Avec la télé, et l’éducation, ils utilisent les vielles ficelles (efficaces) des dictatures.

          • Ah mais je n’ai jamais nié les violences. ni dans un sens, ni dans l’autre. Contrairement à certains ici qui prennent clairement parti.

      • c’est typiquement une répression policière…taper sur des gens qui votent et manifestent…sans rien casser…ben zut alors.

    • Mais qu’attendent-donc les Catalans pour émigrer vers le reste de l’Espagne ?

      • Ceux qui émigrent actuellement ce sont les capitalistes qui craignent les conséquences du séparatisme……Depuis 1 mois, 1300 entreprises ont quitté ou ont transféré leur siège social en dehors de la Catalogne.

    • En fait, ils n’ont aucune raison, sinon que les indépendantistes leur ont bourré le mou en leur faisant croire que leur richesse servait à entretenir le sud de l’Espagne pauvre. Ils s’imaginent qu’ainsi ils garderont leur argent pour eux. En fait ils ont tout à y perdre car l’UE n’acceptera jamais, ils vont se retrouver isolés et vont économiquement y perdre énormément.

      • Faudrait savoir…. c’est des gauchistes ou pas, finalement, ces indépendantistes?

        • je pense que justement il y a de tout… et c’est un peu l’article, tous les gens qui s’imaginent que l’indépendance résout des problèmes qui n’ont rien à voir.

          • En effet, donc prétendre que tous les indépendantistes sont des gauchistes en mal de révolution me semble quelque peu hasadeux si ce n’est malhonnête.

  • La racine du problème c’ est la complaisance que nous avons avec tout ce qui émane de la gauche. Le nationalisme de gauche est acceptable par contre celui de droite est horrible. Si ceux qui manifestent à Barcelone étaient des séparatistes patriotes de droite, il y aurait eu une levée de bouclier du monde entier mais non, en Catalogne ce sont de gentils anarcho gauchistes, de braves humanistes anti capitalistes.

    • Vous répétez ce mantra ad nauseum à chaque article sur la Catalogne mais il suffit de consulter en ligne le résultat des dernière élections pour prouver que vous divaguez: http://www.parties-and-elections.eu/catalonia.html

      Premier parti indépendantiste: CDC ; se revendique libéral.
      Premier parti unioniste: Ciudadanos; se revendique libéral.

      Le jour ou on verra ça en France, on pourra éventuellement se permettre de donner des leçons de tolérance au gauchisme…

      Je suis très étonné du nombre de like que l’on peut obtenir grâce à de la désinformation pourtant facilement démontable…

      • L’Allemagne de l’Est se revendiquait « démocratique », la Corée du Nord se veut « populaire démocratique », certains partis se disent « des travailleurs », mon excellent professeur Marc Ferro faisait remarquer que les qualificatifs choisis par les politiciens pour les noms de leurs organisations sont toujours à l’opposé de ce qu’ils sont : ce qu’ils sont se voit, et s’ils rappellent certaines valeurs dans leur dénomination, c’est parce que personne ne les leur aurait attribuées spontanément…

        • Il s’agit ici du terme « libéral » et, à ma connaissance, aucune dictature ne s’en est jamais affublé. Je vous concède cependant volontiers qu’pays qui ajoute à son nom les termes « démocratique » ou « socialiste « est un pays à fuir.

          D’autre part, je vous rejoins pour n’accorder qu’un crédit « modeste » (soyons idéalistes) aux promesses électorales des politiciens.

          Toutefois, ceci: « les qualificatifs choisis par les politiciens pour les noms de leurs organisations sont toujours à l’opposé de ce qu’ils sont » revient à dire que notre parti socialiste est en fait libéral, que le front national nous cacherait sa nature multiculturaliste et que Olivier Besancenot serait en réalité un trader sous couverture! Permettez moi de trouver cela un peu gros…

          Enfin, le fait est que les principaux partis élus (aussi bien chez les indépendantistes que chez les unionistes) assument et se revendiquent du libéralisme. Ce qui, comparé à la France, constitue une avancée assez fantastique.

          En résumé: la paille, la poutre.

      • Le CDC est un parti libéral qui a fait exploser la dette et le nombre de fonctionnaires en Catalogne…………Bref c’ est un parti qui magouille un max.

        • Comme tous les partis. indépendantistes ou unionistes, espagnols ou français, etc…

          En attendant, combien de partis se revendiquent du libéralisme en France? pour combien d’élus? bref, la paille, la poutre.

  • C’est l’inverse! Dans les pays de l’est qui sortent de 45 ans de communisme les gens n’ont aucune envie de devoir se plier à d’autres obligations imposées désagréables.
    En Pologne, tous ceux qui y sont allés savent qu’il n’y a pas de harcèlement des femmes ni d’agressions crapuleuses dans les rues, pas de voitures brûlées, pas de femmes voilées, pas d’attentats. Et quand ils regardent les informations à la télé et voient ce qui se passent en France ils n’ont AUCUNE envie que cela arrive de même chez eux. Monsieur Astier serait bien inspiré avant d’écrire un article de se renseigner sur ce qui se passe réellement et de réfléchir avant d’écrire un article outrancier.

    • Les gens à l’ouest n’imaginent pas, ne veulent pas imaginer ou se rappeler? le niveau intolérable de micro-agressions qu’ils ramassent par jour par rapport à la plupart des habitants de l’est (particulierement la Tchequie, Slovaquie, Pologne, Hongrie) la différence est stratosphérique, ces gens à long terme préféreront quitter l’UE plutôt qu’on les oblige à adopter le « ouestisme » et ce qu’il implique quitte à perdre les fond structurels europeens

  • « des nationalismes antilibéraux d’Europe centrale  » franchement cela dit par un Francais c’est l’hopital qui se fout de la charité … Les pays d’europe centrale sont infini plus liberaux que la plupart (tous?) des pays de l’ouest

    • Parce que pour vous le fait d’être un français vous interdit de dénoncer ce qui est anti-libéral dans les autres pays? Les français seraient donc sans exception tous génétiquement anti-libéraux?

  • J’ai cru comprendre qu’il fallait rendre hommage à ce grand penseur Mendoza
    Au niveau chronologique il y a une constitution approuvée en son temps par plus de 90 %de catalans
    Le pouvoir judiciaire,en l’occurrence le conseil constitutionnel a déclaré illégal toutes les décisions du gouvernement et le gouvernement espagnol a fait appliqué la loi
    Le premier octobre ceux qui ont participé au pseudo référendum le faisaient à leur risques et périls
    J’ai lu dans la presse espagnole que Puigdemont envisageait de se rendre au sénat avec certains maires
    Qui est-ce qui manipule si ce n’est la CUP ces radicaux violents qui ne veulent pas de touristes, qui crèvent les bicyclettes attaquent les bus touristiques.
    La réponse a été donné le 8 octobre par tous les catalans espagnols qui sont fiers de leur drapeau

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