Vers l’abolition du droit de propriété ?

L’abolition du droit de propriété, envisagée par un rapport d’un organisme rattaché au Premier ministre, serait aussi répugnante en droit qu’inefficace en pratique.

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Propriété privée-Audesou- (CC BY-NC-ND 2.0)

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Vers l’abolition du droit de propriété ?

Publié le 14 octobre 2017
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Par Drieu Godefridi.

Dans un rapport remis au Premier ministre, l’organisme de réflexion France Stratégie propose que l’État révoque unilatéralement le droit de propriété, pour s’emparer d’une « fraction » de la propriété immobilière de chaque citoyen.

Certes, il ne faut pas accorder trop d’importance à ce qui n’est qu’un rapport, surtout dans un pays hérissé d’experts payés par le contribuable pour en rédiger.

Tout de même, il s’agit ici d’un organisme héritier du Commissariat au Plan fondé en 1946 et qui dépend du Premier ministre : tâchons, dès lors, de prendre leur proposition au sérieux (même si le Premier ministre vient de prier ses auteurs de faire preuve de moins de créativité dans l’avenir).

 

Résoudre le problème de la dette par le vol

De quoi parle-t-on ? Le rapport en question, qui fait douze pages, se propose de répondre à la question de savoir comment rencontrer le problème de la dette publique « élevée », dans une situation de crise.

Dit autrement, il s’agit d’examiner comment l’État devrait procéder si son crédit se trouvait ébranlé, par exemple en cas de remontée des taux, pour éviter le défaut de paiement. C’est-à-dire pour éviter que la France ne finisse comme la Grèce, sous tutelle internationale.

Pour la forme, les experts de France Stratégie examinent deux autres pistes : politique d’achats des obligations d’État par la BCE, mutualisation européenne du risque souverain. Ces deux pistes consistant à faire supporter une partie du poids de la dette française par les autres pays européens, elles n’ont pas la moindre chance d’aboutir.

 

L’abolition du droit de propriété

Et d’en venir à la proposition-phare de leur rapport : l’abolition du droit de propriété.

Citons les experts :

« Instauration d’un impôt exceptionnel sur le capital immobilier résidentiel.

Pour assurer la soutenabilité d’une dette publique considérée comme excessive, cette fois sans que l’État concerné dispose d’aucun soutien extérieur, la seule solution consiste à augmenter, d’une façon ou d’une autre, la capacité de cet État à lever l’impôt ; en d’autres termes, augmenter le poids futur des prélèvements obligatoires […].

La soutenabilité d’une dette publique excessive pourrait être crédibilisée en rééquilibrant comptablement le bilan patrimonial de l’État, par la voie d’un transfert d’actifs depuis le bilan des agents économiques privés résidents, ce transfert étant assimilable à un impôt exceptionnel sur le capital. Concrètement, une façon de procéder consisterait en ce quel’État décrète qu’il devient copropriétaire de tous les terrains construits résidentiels, à hauteur d’une fraction fixée de leur valeur, et que ce nouveau droit de propriété est désormais incessible. En conséquence, l’État deviendrait créditeur d’une somme annuelle, correspondant à une part de la fraction de la rente immobilière associée à la copossession du terrain. »

 

Il s’agit bien d’une abolition du droit de propriété, et non d’une restriction à la marge : dès lors que le droit des propriétaires devient révocable par décret, il cesse d’exister comme droit de propriété pour devenir une sorte de droit d’occupation précaire (lui-même révocable).

 

Et la Convention européenne des droits de l’Homme ?

Cette prédation se heurte frontalement à la consécration constitutionnelle et conventionnelle du droit de propriété ; le respect des biens que garantit, par exemple, l’article 1 du Protocole n°1 à la Convention européenne des Droits de l’Homme n’est plus qu’une mascarade s’il autorise ce qui est, en fait comme en droit, l’abolition du droit de propriété.

Comment un organisme rattaché au Premier ministre peut-il en venir à de telles extrémités ?

Il existe dans la littérature de l’expertise française une veine intellectuelle, nourrie par des figures telles que Jacques Attali ou Jean Pisani-Ferry, qui considèrent la propriété comme un simple actif que l’on pourrait sans difficulté transférer du bilan des propriétaires à celui de l’État (ce sont les termes du rapport cité).

De ce point de vue, il n’existe plus de droit, seulement des flux et des écritures comptables. Il y a là, convenons-en, une différence paradigmatique qui est vertigineuse si l’on en mesure les implications.

Les Français sont si bien habitués à avoir des droits qu’ils ont du mal à conceptualiser ce que serait leur absence, c’est-à-dire la toute-puissance d’un État arbitraire.

 

La seule richesse qui échappe à l’État

Cette même veine intellectuelle nourrit une hostilité ontologique à l’égard de la propriété immobilière. Pourquoi ? C’est facile à comprendre : c’est la seule richesse qui échappe partiellement à l’État.

58 % des Français sont propriétaires de leur logement. Dans l’écrasante majorité des cas, cette propriété est l’essentiel de leur patrimoine, et le fruit de revenus frappés en leur temps des impôts, notamment sur le travail, qui sont les plus élevés de l’OCDE.

Nonobstant, quand leur prêt est remboursé, et qu’ils vivent dans leur propre logement, les Français se sont constitués un petit patrimoine qui, en dépit de taxes foncières et autres de plus en plus élevées, échappe partiellement à l’impôt. Ce qui est la définition de la propriété et ce que ne peuvent tolérer nos amateurs de flux.

Ce sont d’ailleurs les mêmes qui, il y a un an, proposaient déjà que les propriétaires qui occupent leur propre logement soient taxés sur un loyer virtuel (la taxation d’un revenu virtuel signale toujours l’entrée dans une autre dimension), c’est-à-dire le loyer qu’ils percevraient s’ils mettaient leur bien en location (quod non).

 

La rente immobilière

C’est ce que nos experts nomment la rente immobilière. Le mot, bien sûr, n’est pas choisi au hasard.

Depuis les auteurs proto-socialistes jusqu’à nos jours, en passant par Keynes et tant d’autres, la rente évoque une sorte de mal absolu, c’est-à-dire les revenus qu’un bourgeois tire de ses possessions sans travailler. Sauf qu’ici il n’y a, par hypothèse, aucun revenu ! L’abus de langage est donc parfait.

 

Changement de civilisation

Constatons que le présent rapport passe à la vitesse supérieure : l’abolition du droit de propriété, ce qui a le mérite de la clarté. Sa mise en œuvre marquerait un changement de civilisation, d’ailleurs revendiqué par ses promoteurs : de la propriété privée en règne du droit, à la propriété collective sous la férule d’un État arbitraire.

Ceci pour la nature de la mesure envisagée. Qu’en serait-il de son efficacité ? Écoutons nos experts :

« L’impact immédiat qu’aurait l’annonce de cette mesure  serait double. D’une part, il crédibiliserait la capacité de l’État à rembourser sa dette, donc améliorerait la qualité de sa signature d’emprunteur sur les marchés financiers, diminuant d’un seul coup le taux porté par ses obligations publiques. D’autre part, il induirait une baisse instantanée de la valeur des biens immobiliers… »

On peut être expert et oublier de se relire. Un esprit moins entraîné verrait dans les deux effets discernés par ces experts une contradiction dans les termes. Car si l’abolition du droit de propriété conduirait en effet immanquablement à l’effondrement du marché immobilier français (nos experts), on ne voit pas comment elle serait de nature à crédibiliser la signature de l’État français.

D’autant que le bénéfice de cette prédation, aussitôt revu à la baisse par son fait même, s’accompagnerait de l’instabilité inhérente à la révocation des principes fondateurs du droit. Les bailleurs de fonds internationaux sont des êtres rationnels qui verraient dans cette abolition ce qu’elle est : le décret désespéré d’un État aux abois.

 

L’alibi de l’instabilité

Qu’il nous soit dès lors permis de diverger de nos experts lorsqu’ils écrivent :

« D’un point de vue économique et social, on peut arguer que la mesure préconisée est bien moins porteuse d’instabilité que les alternatives qui se présentent en cas de crise : coupes budgétaires drastiques… »

Faut-il être audacieux pour soutenir que la réduction des dépenses publiques serait davantage porteuse d’instabilité que l’abolition du droit de propriété.

L’abolition du droit de propriété serait aussi répugnante en droit qu’inefficace en pratique.

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  • poussé par le besoin infini d’argent , ils sont prets à tout ; je gage qu’il y aura durant ce quinquénat d’autres mauvaises surprises ;

  • Il me semble que ce ne serait pas la première entorse au droit de propriété et qu’à la longue hélas le peuple s’y habituerait comme aux autres spoliations en vigueur.
    Je pense par exemple aux « droits » de succession manifestement contraires à la DDHC-1789 et qui ne choquent même plus.

    • En quoi les droits de succession sont-ils contraires à la DDHC ? La propriété est rattachée à un individu, pas à ses descendants. N’oublions pas, en outre, que tout produit qui change de mains est taxé, que ce soit la baguette de boulanger, votre maison ou le salaire que vous donne votre patron.
      J’ai en tête un autre exemple de spoliation non indemnisée : la confiscation de votre véhicule dans le cas de certaines infractions routières, et qui s’ajoute à amendes, retrait de point, voire prison. Les sanctions classiques sont justifiables, pas la soustraction de votre véhicule qui est votre propriété.

      • Donc si je vous suis bien, puisque la confiscation d’un véhicule est justifiée en cas d’infraction routière, les droits de succession et les taxes sur « tout produit qui change de mains » constituent des spoliations non indemnisées tout aussi justifiées.

        La question qui se pose est alors de savoir quelles infractions ont commis les redevables de ces droits et taxes pour mériter une telle spoliation. La réponse tient peut-être dans une interprétation de la notion de péché originel. Allez savoir ce qui peut germer dans la tête d’un militant zélé du mouvement En Marche.

        Quoi qu’il en soit, la limite des spoliations pratiquées par un Etat en proie à une rage de despotisme, c’est que le stock de ce qui peut être spolié se dévalorise très vite.

        A trop vouloir spolier, la sanction pour l’Etat est de se retrouver à la tête d’un pays où plus rien n’a de valeur pour personne, ni même de soi pour soi. A ce niveau de désintérêt et de désengagement, retour à la case départ : chasseurs-cueilleurs, nomades de cavernes en cavernes ou d’arbres en arbres…

        • Vous semblez avoir des difficultés à me suivre… forcément, si vous êtes à pied, et si je suis en voiture…
          Pour moi, la confiscation d’un véhicule n’est pas justifiable en cas d’infraction routière, il s’agit manifestement d’une spoliation de propriété privée, sans contrepartie financière, d’autant moins justifiable qu’il existe par ailleurs tout un éventail de sanctions.
          Evidemment, nulle sanction n’est sous-jacente au principe de l’imposition ; nulle inconstitutionnalité ne vient frapper la levée de l’impôt. Ceci est parfaitement établi aux articles 13 et 14 de la DDHC. La contribution financière des citoyens est nécessaire au maintien de l’ordre public et à l’administration du pays. L’impôt est justement ce qui nous sépare des nomades des cavernes.

          • @Jérémy Lapurée
            Bonjour,
            Ce pays n’a pas de Constitution. (Art. 16. Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution).Tout ce qui en découle, du système fiscal aux lois même, sont inconstitutionnels, illégaux et illégitimes.

      • Ne pas pouvoir donner ou transmettre son bien à qui on veut sans se faire piller au passage est une évidente violation du droit de propriété.
        Et piller les morts est juste un peu plus lâche.

        • Non. Je vais vous le redire plus lentement… VOTRE droit à la propriété privée, tel que défini dans la DDHC, concerne les biens dont VOUS êtes propriétaire. Vous ne pouvez pas en être spolié (sans une juste indemnité etc). Mais rien dans ce texte n’affirme que vos enfants bénéficient de ce même droit sur VOS biens, que vous soyez vivant (dans ce cas, il est évident qu’ils ne sauraient être propriétaires de VOS biens) ou mort (dans ce cas, votre droit de propriété s’éteignant avec vous, ce que deviennent vos biens… eh bien ça se discute).
          Faudrait quand même voir à pas utiliser la DDHC comme ça vous arrange, ou lui faire dire des trucs qu’elle n’a jamais dit.

          • @Jérémy Lapurée
            Bonjour,
            Le Droit de propriété est un droit individuel. Ce Droit est le fait de pouvoir acquérir un bien. Ce bien, est donc garanti par le droit et assuré par la loi. La Liberté est qu’on fait ce qu’on veut de ce bien, et qu’on peut le transmettre, contre indemnités, rétribution, troc, ou donnation, à qui on veut sans que cela ne regarde l’Etat.

  • Lle droit de propriété, absolu et inviolable, est la pierre angulaire de toute société libre.
    Dès lors qu’on y touche, on rentre en collectivisme.
    Et si on n’a que mépris, voire haine pour ce type de système qui aliène les individus au profit d’une seule caste dirigeante, on fuit, ce qu’on fait et font de plus en plus de français.

  • tous ces fonctionnaires biberonnés aux impôts n’ont pas compris que les contribuables ne sont pas des machines : leurs réactions peuvent être totalement contre-intuitives, tout comme celles des acteurs économiques.
    Quelle confiance peut-on accorder à un Etat qui viole allégrement les lois ?
    En quoi cette spoliation de la propriété immobilière peut-elle accroître la capacité à rembourser sa dette ? La propriété immobilière ne vaut que par les services qu’elle rend et par la valeur que veut bien lui accorder un acheteur. C’est par ailleurs un actif très peu liquide. C’est donc une garantie aléatoire dans la réalité ? Qui va vouloir acheter de l’immobilier à un état en faillite, surtout quand celui-ci ne respectera pas ce droit ?
    C’est donc une fumisterie qui va ruiner la confiance et donc la valeur des choses.

    • @breizh
      Effectivement. Je rajoute, néanmoins quant à cette défiance de l’état, que ce n’est pas quelque chose qui va arriver mais qui est en cours depuis des lustres.

      • @David J
        Effectivement, j’ajoute que ce qui est en cours depuis des lustres, c’est une entreprise de démolition : après avoir cassé l’industrie, ils veulent casser la propriété immobilière. Ce n’est pas un Etat, c’est un tracto-pelle piloté à distance sans visibilité.

    • @breizh
      Bonjour,
      « Qui va vouloir acheter de l’immobilier à un état en faillite, surtout quand celui-ci ne respectera pas ce droit ? »
      Normalement personne de sensé n’achèterait quoique ce soit soit à l’Etat. Surtout si celui-ci revendique, chypre, une partie de ce que qu’il aura cédé. Les propriétaires actuels ne sont possesseurs de leurs terrains que sur une profondeur de quelques centimètres, dans le plan, ils n’en seraient même plus en possession, puisque l’Etat se réaccaparerait les sols.

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