Cyberdépendance : la technologie est-elle toxique ?

Professionnels de santé, parents, pédagogues, gagneraient à promouvoir un discours réaliste, proactif et inventif en matière de nouvelles technologies, afin de dépasser le cadre réducteur de la peur, de l’angoisse de la modernité.

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Cyberdépendance : la technologie est-elle toxique ?

Publié le 13 octobre 2017
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Par Farid Gueham.
Un article de Trop Libre

Internet et les jeux vidéo appartiennent maintenant à notre quotidien, ce qui ne les empêche pas d’être régulièrement au centre de polémiques. On leur prête volontiers une influence négative sur les nouvelles générations.

C’est ainsi que depuis quelques années, le concept de « cyberdépendance » est utilisé pour évoquer l’usage abusif qui peut être fait de ces technologies ». Pascal Minotte, auteur, psychologue et chercheur à l’Institut Wallon pour la Santé Mentale, nous rappelle que l’addiction et la dépendance au virtuel n’est toujours pas répertoriée comme une pathologie dans la classification internationale des troubles mentaux.

Mais la notion d’addiction a étendu son périmètre et plus aucune conduite ne semble pouvoir y échapper.

L’addiction au virtuel à l’adolescence serait une stigmatisation plus qu’un véritable diagnostic, un jugement qui ferait courir le risque de figer un enfant et sa famille dans une mauvaise compréhension de ses propres difficultés.

Pour Serge Tisseron, le débat relève également d’une querelle entre modernes et anciens « le problème le plus préoccupant autour des jeux vidéo et d’internet : que s’opposent autour d’eux des jeunes qui y voient de plus en plus une nouvelle Amérique à conquérir et des adultes qui les diabolisent au risque d’incompréhensions graves, voire d’affrontements ».

De vieilles angoisses pour une nouvelle donne sociale

La quasi-totalité des évolutions techniques et culturelles ont généré leur lot d’espoirs, d’appréhensions et d’inquiétudes. « L’écriture, l’imprimerie, la presse, le cinéma, la radio, la télévision et maintenant les Technologies et de l’information et de la Communication (T.I.C) dont font partie d’internet et les jeux vidéo, ne font pas exception à la règle ».

Les plus de trente-cinq ans se sont toujours méfiés de l’influence des nouveautés techniques sur l’avenir, l’éducation ou la psyché de leurs enfants. Des inquiétudes qui s’articulent autour de thématiques récurrentes : les nouveaux médias risqueraient de remplacer la « vie réelle » et l’héritage des générations antérieures dans l’apprentissage des principes moraux, tout en entretenant un imaginaire excessif et malsain.

Mais comme le souligne Pascal Minotte, « ce qui est à craindre n’est pas tant la technophobie que la jeunophobie, une attention soutenue et très ambivalente portée à nos ados ».

Cyberdépendances : une expression à questionner

L’expression cyberdépendances connaît un certain succès depuis les années 90, dans le prolongement des concepts de « toxicomanie sans drogue, évoqué dès 1949 par Otto Fenichel.

Parmi les écueils à éviter, l’assimilation d’internet à une substance toxique qui, en plus de diaboliser un outil aujourd’hui largement répandu et quotidiennement utilisé par des millions de personnes, permet d’identifier un bouc émissaire confortable.

« En effet, d’un côté, la personne dépendante peut se percevoir comme sujet passif, pris dans les filets des espaces virtuels aux pouvoirs addictogènes irrésistibles, et de l’autre l’entourage peut faire l’économie d’une réflexion plus profonde sur ce qui manque et/ou fait souffrance ». 

Les périmètres des concepts sont encore plus complexes lorsque l’on envisage la cyberdépendance sous le prisme de l’adolescence : la quête identitaire, la fragilité psychologique, imposent une prudence absolue en matière de diagnostic.

Les usages problématiques

Internet offre des opportunités et une accessibilité à des contenus très divers. Associés à la possibilité de rester anonyme derrière son écran, ces nouveaux usages modifient nos moyens d’expression et nos comportements en ligne.

« Par exemple, la disponibilité permanente et abondante de contenus pornographiques de toutes orientations et la possibilité d’y accéder incognito crée une situation inédite. À ce niveau, on peut penser qu’Internet permet à certaines personnes d’exprimer des dimensions de leur sexualité jusque-là auto-réprimées ».

Les maux virtuels

Au-delà des dangers de la dépendance, d’autres dérives suscitent l’intérêt de l’opinion publique. Les contenus toujours plus violents, les images toujours plus choquantes, l’overdose et la scénarisation pornographique contribuent au formatage de l’éducation affective et sexuelle des adolescents.

Pour les plus âgés, ce flux immodéré participe également à une remise en cause radicale des notions de vie privée, du lien social ainsi qu’une série de problèmes cognitifs, propres à la génération Google (troubles de l’attention, dysorthographie, etc…).

De la même façon, notre rapport au temps et à l’espace est bouleversé « confondre réel et virtuel serait, en l’occurrence, vouloir décoder nos existences à la lueur de l’exceptionnel, du « photogénique ». Le débat autour de la violence dans les jeux vidéo en est un exemple ». 

T.i.C et lien social

Notre époque est traversée par un paradoxe : alors que les moyens de communication n’ont jamais été aussi nombreux, il semblerait que nous soyons de plus en plus confrontés à la solitude. « Nous pouvons articuler cette question autour de trois inquiétudes : premièrement, nous serions tentés de fuir les « vraies » relations au profit de relations virtuelles. Ensuite, nous serions portés à nous « enivrer » d’une multitude de relations superficielles au détriment de relations profondes et durables. Et enfin, Internet créerait des bulles dans lesquelles se retrouvent ceux qui se ressemblent ». 

Dans une certaine mesure, les usages problématiques d’internet pourraient impliquer une forme d’isolement. Mais le tableau n’est pas si noir qu’il n’y paraît.

Comme le rappelle Pascal Minotte, nous devons nous demander quels sont les autres lieux de socialisation à disposition de tout un chacun, et des adolescents en particulier. « À une époque où les attroupements de jeunes dans les cages d’escalier sont synonymes de délinquance juvénile ».

Aux États-Unis, Danah Boyd dans son étude Why Youth ( heart ) Social Network sites explique comment le déficit d’espaces publics jeunes est un élément  d’explication dans l’engouement de ceux-ci pour les réseaux sociaux et les messageries instantanées.

Internet est à l’image de notre société, faite de communautés, d’effets « bulles », comme l’expliquait Philippe Ricaud lorsqu’il observait la tendance des communautés d’internautes à se retrouver en « constellations de groupuscules sans lien entre eux ». 

Quoiqu’il en soit, professionnels de santé, parents, pédagogues, gagneraient à promouvoir un discours réaliste, proactif et inventif en matière de nouvelles technologies, afin de dépasser le cadre réducteur de la peur, de l’angoisse de la modernité.

Pour aller plus loin :

–                « Why teens love social media », The Berkman Center for Internet and Society, Harvard University.

–                « Danah Boyd : antrhopologue de la génération numérique », Le Monde.fr

–                « Effet écran » et « effet bulle ». Socialisation par les nouveaux médias », Philippe Ricaud, Champsocial.com

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  • L’addiction fait manifestement partie de la stratégie marketing d’un certain nombre de vendeurs de jeux vidéo et autres réseaux sociaux. Les parents sont aussi désarmés pour lutter contre ces addictions que contre les autres, et il faut bien dire qu’il est difficile de trouver des activités concurrentes attrayantes sans paraître vieux jeu.

  • Les commentaires sont fermés.

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