Populisme : la revanche des campagnes

Le déséquilibre des territoires serait ainsi une tendance structurelle de notre modernité et l’explication centrale du vote populiste dans les démocraties occidentales.

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Populisme : la revanche des campagnes

Publié le 5 octobre 2017
- A +

Par Erwan Le Noan.
Un article de Trop Libre

Les élections allemandes ont été marquées par le score de l’AfD. Le résultat a été commenté et les électeurs du parti finement observés : ils ont des revenus plus faibles, des emplois moins qualifiés et habitent dans des zones plus isolées que la moyenne des Allemands1.

Comme dans de nombreux autres pays occidentaux, une ligne de fracture géographique se dessine ainsi dans les électorats, entre ceux qui vivent dans les villes intégrées de l’économie mondiale et ceux qui en sont exclus.

Ce clivage constitue un prisme d’analyse qui pourrait expliquer beaucoup des résultats électoraux récents : depuis la victoire d’Emmanuel Macron à celle d’Alexander Van der Bellen (Autriche) ; depuis le succès du Brexit à celui de Donald Trump en passant par la popularité de Viktor Orban (Hongrie), d’Andrej Babis (République Tchèque), du gouvernement Szydlo (Pologne) ou de l’Union des paysans et verts (Lituanie) ; mais aussi dans l’effondrement des sociaux-démocrates (du PS français à son homologue roumain, jusqu’à la défaite de Matteo Renzi).

Le triomphe des villes

La mondialisation a été marquée par le « triomphe des villes », qui agglutinent talents et ressources2. Cette concentration se démultiplie : les métiers qualifiés des hautes technologies génèrent plus d’emplois que ceux d’ouvriers ; selon Enrico Moretti, le rapport est même de 1 à 53. Dans le même temps, les prix et exigences urbaines tiennent durablement éloignés les milieux les plus modestes.

Le déséquilibre des territoires serait ainsi une tendance structurelle de notre modernité et pour, Philip Auerswald4, l’explication centrale du vote populiste dans les démocraties occidentales.

L’économiste a formé ce constat en superposant trois cartes américaines : celle de la progression du vote républicain entre 2008 et 2012, celle des morts par overdose et celles des morts par suicide. Leur ressemblance est impressionnante : on y retrouve des régions affectées identiques, comme les Appalaches, à la dramatique réalité sociale – si bien décrite dans Hillbilly Elegy de JD Vance.

Difficiles relations avec les élus locaux

La France n’échappe pas à cette analyse. Le sujet rejoint d’ailleurs une des faiblesses apparentes du gouvernement actuel qui dit peu sur la ruralité, rien sur les services publics et entretient des relations difficiles avec les élus locaux.

Ces animosités sont en partie liées au contexte politique (les collectivités sont à droite), mais la gronde croissante est aussi révélatrice d’une méfiance vis-à-vis d’un gouvernement jugé condescendant, technocratique et hypercentralisé, qui ne rate pas une occasion de renforcer son contrôle sur la démocratie locale.

D’une implacable rationalité sur le papier, les pistes envisagées par le gouvernement (coupes budgétaires, disparition de certains départements, réduction du nombre d’élus, etc.) oublient que les élus locaux sont souvent plus que des représentants (bénévoles) : ils assurent un rôle essentiel et incontournable dans la vie sociale quotidienne.

Les élections récentes doivent être une alerte pour tous et particulièrement le gouvernement : de façon paradoxale, s’il n’y prend garde, son action pourrait non pas réduire le populisme mais au contraire contribuer à le nourrir, en fragilisant le lien social local. N’oublions pas qu’après Barack Obama, c’est Donald Trump qui a été élu…

 

Sur le web

  1.  Wall Street Journal, 25 septembre.
  2.  Ed Glaeser, The triumph of the city.
  3.  Enrico Moretti, The new geography of jobs.
  4.  The origin of populist surges everywhere.
Voir les commentaires (15)

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  • Le sevrage est difficile en somme et les campagnes veulent de la redistribution, or pour les politiques ils n’en valent plus la peine.

    • Peut-être est-ce surtout que les urbains n’envisagent pas d’intégrer les bouseux dans leur monde global, et préfèrent rester entre eux à l’intérieur des périphériques et se débarrasser du problème en jetant quelques rations au-delà de la muraille par la redistribution.

      • J’aime sincèrement votre image MichelO!
        Encore un faiseur d’idées géniales et technocratiques dont le cursus a formaté un seul contact avec les réalités…. en école ! 😉

        On fait dire ce qu’on veut à des statistiques ( et surtout ce qu’on veut cacher)
        La meilleure qualité de la vie en dehors des agglomérations, vous remettez en cause? Bruits, airs viciés, tumulte, stress, déplacements difficiles, à la campagne? Les spécialistes du stress, des problèmes psychiques, ils proposent des thérapies en ville?
        Continuez à avoir ce genre d’analyses limitées et préparez vous à vivre des moments difficiles!

        L’incompétence crasse des technocrates et l’honnêteté douteuse des élus sont les vrais catalyseurs de ce pseudo « populisme ».
        En Allemagne il est clair que les 3/4 des électeurs de l’AfD ne partagent pas leurs « idées » (quand ils en ont! car ils ont plus d’émotions infantiles que de réflexion). La votation est contre mais aucunement pour un programme.
        En France je ne sais pas, mais j’imagine que l’abstentionnisme conséquent est révélateur du même rejet des électeurs d’un « état totalitaire » (limitation indirecte des libertés) comme des élus douteux.

        • Pour info, j’ai fréquenté les Ecoles parisiennes dans la décennie 70 (j’y ai reçu, entre autres, une solide formation en statistiques mathématiques, que j’ai continué à développer toute ma carrière), et depuis les villes moyennes et les villages de cambrousse. Je peux vous assurer qu’il est infiniment plus facile de traiter les causes du bruit, de la pollution de l’air, du tumulte, des situations stressantes, des bouchons, en faisant évoluer les villes qu’en déménageant à la campagne où ce sont d’autres problèmes, qui eux sont insolubles dans le contexte actuel, qui apparaissent. 100 km et 6 mois pour un rendez-vous d’ophtalmo, la liaison 3G qui ne fonctionne qu’à certaines heures de la journée, sortir dans la rue (et sous la pluie) pour envoyer un SMS, une dépendance totale envers vos proches si pour une raison ou une autre vous n’avez pas de voiture, et bien sûr, aucune perspective d’amélioration, et la condescendance de vos contacts professionnels qui ne comprennent pas que vous ne soyez pas connecté 24/7 aux mêmes éléments de contexte qu’eux.

          • L’auteur reprend les fines observations des résultats du AfD: il y en a 3, le salaire faible, moindre qualification et zone isolée.

            Si les deux premiers sont assez fondés, le dernier est complètement à coté de la plaque
            Triste si on s’en tient au titre de l’article !
            Regardez svp la carte :
            http://www.focus.de/politik/videos/erfolg-bei-bundestagswahl-nur-in-einem-wahlkreis-bekam-die-afd-keine-fuenf-prozent_id_7636409.html

            sa théorie ne se confirme que dans la « Sächsiches Schweiz » et en Bavière où les petites cités sont éloignées de 6 à 12 km. Pour le reste, l’urbanisation est très différente de la France.
            Commentaires de Focus (assez voisin de Contrepoint mais moins de théories), les électeurs de l’AfD sont simplement les mécontents de partout, mais surtout des villes.
            Ces sont des Allemands qui constatent et pas le Wall Street Journal!
            C’est énervant de lire de pompeuses conneries d’éditorialistes bobo !

            Chacun son avis sur ville ou campagne!
            Allez j’enfile une combi et j’ai encore une heure pour nager dans l’atlantique en regardant le soleil dorer les Pyrénées!
            Quelle horreur !!! 😉

      • ce qui par du principe que les « campagnes » ne sont pas des acteurs économiques viables…

  • Voir dans « les métiers qualifiés des hautes technologies  » le moteur du développement des villes est-il si sur. N’est-ce pas plutôt le l’augmentation ininterrompue des prélèvements et dépenses publiques et la centralisation administrative.
    En France c’est indéniable, mais même aux USA c’est aujourd’hui Washington DC qui a le plus gros revenu par habitant.

  • Villes talentueuses contre campagnes bouseuses. Allez ça recommence, on mélange tout, de la Lituanie, du Trump, on saupoudre de Brexit, on ajoute deux références, et hop, l’affaire est bouclée, vas-y-mange libéral !

    Exactement comme pour l’antifascisme, l’anti-populisme c’est aussi du populisme. Ouvrez les yeux, traversez Paris à pieds avant d’écrire que « les prix et exigences urbaines tiennent durablement éloignés les milieux les plus modestes ».

    • Je pense que vous faites allusion aux SDF. Un SDF n’est ni urbain ni campagnard, il n’est pas inscrit sur les listes électorales et n’est, dans les débats politiques, qu’un objet que les populistes instrumentalisent.

  • Le talent vient à toute les « sauces »…
    La SNCF aussi embauche des « talents » !
    Dit monsieur ,c’est quoi un talent ?

  • C’est une conséquence de l’étatisme.
    De tous temps les impôts sont drainés par la capitale et dépensés en priorité sur place.
    C’était déjà vrai du temps des Grecs, de Rome, les grandes villes d’Europe correspondent aux duchés du XII siècle, et Paris est la caricature du non respect du principe de subsidiarité.
    Par exemple si on a un budget pour construire un pont, en ville cela va desservir des milliers de personnes, à la campagne quelques centaines, donc le pont sera construit en ville alors que tout le monde y a contribué.
    Les campagnes ont toujours été spoliés par ce mécanisme, et la domination culturelle de la ville en est à la fois la cause et la conséquence.

  • Quand vous prenez comme moi les transports de banlieue en dehors des heures de pointe et observez l’électorat qui les empruntent, et quand vous visitez ensuite des villages peuplés d’anciens ou de « néo-ruraux » ,vous comprenez immédiatement ce qui est en train de se passer dans le pays, et l’origine d’un certain vote « populiste » loin des villes, que nos grands sociologues de génie considèrent comme un mystère. Dans la même veine, quand on agrège des sondages pré-Brexit aux Royaume-Uni, on s’aperçoit que ce fut un stable 50/50 jusqu’au 5 mai 2017. Et ensuite, les indécis ont commencé à voter « leave ». Le 5 mai fut le jour de l’élection du Maire de Londres….
    Les grandes métropoles sont désormais des divas mondialisées, prétentieuses, superficielles et souvent parasitaires, gavées par leur prédation fiscale et leurs dettes exponentielles.

  • Tableau de Debat-Ponsan. Ce serait bien de pouvoir lire clairement le nom de l’artiste. Il se peut que dans quelques années, les gens aient envie de nature pour travailler efficacement et élever sa famille dignement, mais pas pour se mettre à l’élevage de brebis avec un diplôme d’ingénieur.

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