Salariés/indépendants : la frontière se brouille, et alors ?

La dichotomie traditionnelle entre salariat et travail indépendant est en effet en train de devenir anachronique, balayée par une multitude de nouvelles formes d’emploi hybrides.

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Salariés/indépendants : la frontière se brouille, et alors ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 29 septembre 2017
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Par Trevor Smith.

Hasard du calendrier, peut-être, le Gouvernement a entamé sa première rentrée en lançant de front deux thèmes de réforme s’intéressant au travail du XXIème siècle : la refonte du Code du travail par ordonnances, d’une part, et un plan « en faveur des travailleurs indépendants », d’autre part.

Le premier chantier s’adresse aux salariés uniquement, le second aux indépendants seulement, maintenant ainsi une séparation artificielle qui est pourtant de plus en plus difficile à tenir…

Une frontière de plus en plus floue entre salariat et travail indépendant

La dichotomie traditionnelle entre salariat et travail indépendant est en effet en train de devenir anachronique, balayée par une multitude de nouvelles formes d’emploi hybrides : indépendants économiquement dépendants, portage salarial, CDI intérimaire, salariés sans patron,…

Les travailleurs des plateformes numériques, à l’instar d’Uber ou Deliveroo, ainsi que certains franchisés dépendants, incarnent tout particulièrement cette difficulté de classer certains actifs : sont-ils des autoentrepreneurs libres de mener leur activité comme ils le souhaitent, ou au contraire des salariés des plateformes, soumis à un lien de subordination ?

Certains pays ont d’ailleurs voulu réguler cette zone grise à mi-chemin entre travail indépendant et salariat, entre mission temporaire et contrat à durée indéterminée, en créant les statuts de « parasubordination » en Italie (co-co-co), de « travailleur indépendant économique dépendant » en Espagne (trade), ou encore de « quasi-salarié » en Allemagne (Arbeitnehmerähnliche Personen).

Le développement du phénomène des slashers 

En parallèle de ce brouillage des frontières, la France connaît l’émergence du phénomène des slashers, ces actifs qui cumulent plusieurs emplois, sous divers contrats et statuts, dont souvent celui d’autoentrepreneur. Ils seraient aujourd’hui plus de 4 millions, avec une tendance particulièrement marquée chez les plus jeunes : 21% des moins de 30 ans ont plus d’une activité professionnelle !

La croissance de ces nouvelles formes d’emploi ne saurait être interprétée comme l’illustration d’une plus grande précarité des travailleurs. Au contraire, selon une étude de 2016 menée par le Salon SME, 70 % des slashers ont fait le choix d’être pluri-actifs afin de pouvoir augmenter leurs revenus, vivre de leur passion, être leur propre patron, préparer une reconversion ou une création d’entreprise…

La démultiplication des formes d’emploi hybrides et le développement de la pluri-activité permettent à de nombreux travailleurs d’explorer un modèle différent de celui du salariat classique, avec différents équilibres à trouver pour chacun, entre indépendance juridique et indépendance économique.

La promotion du seul CDI à temps complet ne fait donc plus aucun sens, car les attentes vis-à-vis du travail sont très diverses, tant pour les individus que pour les entreprises.

Une insécurité juridique limitant le potentiel de croissance du travail indépendant

Pourtant, le potentiel de croissance du travail indépendant est limité par la législation, du fait d’une insécurité juridique majeure pour les entreprises : le risque de requalification en emploi salarié d’un contrat commercial entre un travailleur indépendant et un donneur d’ordre.

En effet, pour la Cour de cassation, « l’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ».

Ainsi, un contrat signé entre deux personnes parfaitement d’accord sur ses modalités peut théoriquement être requalifié sans leur approbation ! Dans la pratique, cette épée de Damoclès peut surtout être brandie par un travailleur indépendant si la relation avec son client tourne mal…

Et les sanctions judiciaires encourues en cas de condamnation n’ont pas grand-chose à envier à celles pouvant être prononcées par les Conseils de Prud’hommes : le donneur d’ordre peut en effet voir sa responsabilité pénale engagée, risque jusqu’à trois ans d’emprisonnement (!) et s’expose à une amende salée de 225.000 euros.

La restitution au travailleur indépendant des avantages sociaux qu’il aurait pu percevoir en tant que salarié (congés, 13ème mois, protection sociale, œuvres du CE, décompte des heures supplémentaires, etc.) s’impose également.

De leur côté, les organismes sociaux peuvent également s’engouffrer dans la brèche pour réclamer des cotisations sur toutes les sommes versées au travailleur indépendant finalement reconnu comme salarié, avec rattrapage sur les cinq dernières années.

À ce titre, on pourra citer l’exemple d’Uber, poursuivi par l’URSSAF d’Île-de-France pour faire requalifier ses chauffeurs, aujourd’hui considérés comme indépendants, en salariés, avec à la clef un redressement qui signerait à coup sûr la fin des activités de la plateforme en France.

Des statuts à faire converger vers le libre choix

Comment sécuriser les relations entre travailleurs et indépendants ? En assumant un même modèle de protection sociale pour tous les actifs, qu’ils soient indépendants ou salariés. En effet, la première motivation évoquée pour requalifier un contrat commercial en emploi salarié est de donner au travailleur indépendant les droits sociaux dont il aurait pu profiter en tant que salarié. L’équité en matière de protection sociale la rendrait donc largement sans effet.

Attention en revanche, il ne devrait pas être question de contraindre tous les actifs dans un même moule de protection sociale, comme le Gouvernement semble l’envisager avec l’adossement programmé du RSI au régime général de Sécurité sociale.

Une telle solution ne permettrait pas en effet de répondre aux différentes attentes des actifs, qui sont tout autant variables que leur rapport au travail. Elle serait également peu viable économiquement pour des régimes de protection sociale exsangues.

L’heure est au contraire venue de considérer chacun comme un adulte responsable, capable de choisir sa protection sociale en fonction de ses attentes et de sa situation, que ce soit pour la maladie, le chômage ou la retraite.

Laissons chaque actif s’assurer librement contre ces différents risques auprès de l’organisme de son choix, avec la liberté de sélectionner l’offre la plus adaptée à ses besoins : la dichotomie entre statuts d’indépendant et de salarié sera alors très vite dépassée.

L’histoire longue avait conduit à une libération progressive du travail subordonné, le salariat étant venu remplacer l’esclavage puis le servage. Depuis plusieurs décennies pourtant, cette évolution est obérée par la démultiplication des règles tenant tant au droit du travail qu’à celui de la protection sociale, censée protéger des actifs, qu’elle ne fait néanmoins qu’entraver.

Le moment serait venu de reprendre la marche vers la liberté.

 

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