Manifestations contre la Loi Travail : une impasse ?

Les manifestations se suivent et se ressemblent : une succession discontinue de « journées de grève » ou de « journées de mobilisation ». Pour quel résultat ?

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Manifestation contre les ordonnances Macron by Jeanne Menjoulet (CC BY 2.0)

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Manifestations contre la Loi Travail : une impasse ?

Publié le 24 septembre 2017
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Par Dominique Andolfatto1.

L’histoire sociale contemporaine bégaie-t-elle ? Chaque réforme, quelle que soit sa méthode – à la hussarde ou négociée – conduit irrémédiablement à des cortèges battant le pavé et se répétant jusqu’à épuisement. Cette séquence est elle-même marquée par une montée en tension, qui culmine habituellement avec un blocage de dépôts de carburant ou autres actions coup de poing. Puis la réforme entre en application…

Dans l’histoire récente, on se rappellera de la réforme des retraites de 2010 ou, plus proche encore, de la loi travail de 2016. Dans les deux cas, des modifications importantes sont intervenues et, concomitamment, une douzaine de journées de manifestation se sont succédé, face auxquelles les gouvernements, contrairement à leurs prédécesseurs de la fin du XXe siècle, n’ont que peu, sinon rien cédé.

Les mêmes séquences seraient-elles en train de se répéter à l’occasion des ordonnances Pénicaud qui modifient, de nouveau, le Code du travail ? On pourrait le penser.

Des manifestations en échec

L’échec des précédents cycles de manifestations en 2010 et en 2016 (voir les graphiques 1 et 2) interrogent tout de même sur cette forme d’action collective que privilégient les syndicats français : une succession discontinue de « journées de grève » ou de « journées de mobilisation ». Or, si celles-ci peuvent rassembler beaucoup de monde (les chiffres des participants font toutefois débat entre syndicats, services de police et chercheurs), leur objectif n’est évidemment pas seulement celui-ci. Sauf à penser que les syndicats ne poursuivent une forme de rédemption au travers de mobilisations populaires compte tenu d’une incapacité à peser sur la réforme.

Graphique 1 : Les manifestations contre la réforme des retraites (2010)


En milliers de manifestants (sources : chiffres de la police ou des syndicats).

Graphique 2 : Les manifestations contre la loi « travail » (2016)


 En milliers de manifestants (sources : chiffres de la police ou des syndicats).

L’immobilisme syndical

À la veille de la publication des ordonnances Pénicaud, plusieurs organisations syndicales affirment qu’elles ne sont « pas demandeuses d’une modification du Code du travail » et la défense du statu quo semble leur tenir lieu de stratégie.

Pour sa part, l’opinion publique est elle-même partagée face aux ordonnances : elle se répartit en trois sous-ensembles, indiquait une étude Viavoice du 18 septembre 2017 : un tiers des personnes interviewées soutiennent les manifestations, un autre tiers s’y opposent, un dernier tiers s’en désintéressent. Quelque 63% estiment également que « les forces syndicales et politiques opposées aux ordonnances ne sont pas suffisamment unies.»

Dans un tel contexte – et bien qu’en France l’issue d’un mouvement social soit très aléatoire –, il est probable que le dénouement de la pièce en train de se jouer sera comparable à ceux des mouvements sociaux de 2010 et 2016. De fait, elle semble commencer comme en 2016, avec un peu plus de 200 000 manifestants (selon les chiffres de la police) et, déjà, se profile le blocage de dépôts de carburants. Il est vrai que le chiffre de 200 000 manifestants, sans être négligeable, est assez faible comparé au nombre de salariés (23,4 millions de personnes) ou à celle des actifs ayant un emploi (26,2 millions).

Cela reste également modeste par rapport au nombre de syndiqués revendiqués par les organisations syndicales – 2,8 millions – même si la réalité se rapproche plutôt de la moitié de ce chiffre. Mais la mobilisation relativement faible peut s’expliquer aussi par le caractère très technique donné à la réforme du Code du travail – le plafonnement des indemnités prud’homales ou la fusion des institutions représentatives du personnel ne parlent pas à tous – même si les motifs de mécontentement ne manquent pas dans toutes les catégories qui composent la population française.

Cela dit, le choix d’actions « coup de poing », à la forte capacité de nuisance, tel le blocage des dépôts pétroliers, traduit aussi l’impasse dans laquelle se trouvent les syndicats français. Beaucoup de salariés ne votent pas ou plus aux élections professionnelles qui sont censées fonder la légitimité des organisations syndicales. Seuls 43% des salariés inscrits ont participé à ces élections lors de la période 2012-2016 et même simplement 27% si l’on prend en compte l’ensemble du salariat hors fonction publique.

Le plus étrange paraît qu’aucune leçon n’ait été tirée des échecs de 2010 et 2016, sauf à déplorer un pouvoir autoritaire et une sorte de fatalité. Est-ce l’éclatement et l’institutionnalisation des acteurs syndicaux qui seraient finalement en cause ? Un ancien ministre du Travail portait récemment un jugement sévère à leur égard, énonçant que les syndicats, comme les organisations d’employeurs, « se comportent souvent en boutiquiers plus soucieux de défendre leurs propres intérêts que ceux qu’ils sont censés représenter ».

Un autre point aveugle ne serait-il pas que ne soit pas discuté le contexte économique globalisé, sans compter les aspirations au changement que manifestent les transformations politiques – pour le moins inédites et profondes – intervenues en France au printemps 2017 ?

Agir sur la réalité

En fait, comme nous l’avons déjà souligné avec Dominique Labbé, pour agir sur la réalité, il ne suffit pas de partager des intérêts et des idées avec un grand nombre d’autres personnes, d’avoir conscience de cet intérêt commun et, donc, de défiler ensemble. Trois conditions supplémentaires doivent être réunies :

  • une organisation capable de transformer ce mécontentement individuel en une force collective, c’est-à-dire, d’abord, en adhésions ;
  • un mécanisme, tel des caisses de grève ou de solidarité, qui permette d’indemniser les participants à l’action afin de dépasser le stade de l’arrêt de travail symbolique et de mettre les employeurs, privés ou publics, ou le pouvoir politique, dans de réelles difficultés, sinon leur infliger des dommages économiques, afin qu’ils ne soient pas tentés de prolonger l’épreuve de force et acceptent de négocier et de modifier leurs intentions ;
  • des revendications acceptées par la majorité des adhérents et des négociateurs en capacité de négocier de façon cohérente et d’égal à égal avec les employeurs et les pouvoirs publics.

Dans la France d’aujourd’hui, aucune de ces conditions n’est réunie. Le mouvement syndical est désuni. Il n’a pas de projet commun, sauf ne rien changer. Il est minoritaire. Enfin, il n’existe pas de véritables caisses d’entraide et les syndicats conçoivent toujours la grève comme une sorte de sacrifice auquel doivent consentir les salariés.

Les défilés et les « journées d’action » masquent mal cette impuissance fondamentale des syndicats français. Dans ces conditions, le gouvernement et le patronat peuvent envisager l’avenir avec sérénité.

Sur le web-Article publié sous licence Creative CommonsThe Conversation

  1.  Professeur des Universités en science politique, Université de Bourgogne.
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  • Merci pour cet utile rappel des chiffres. Je n’ai jamais compris pourquoi on dénonçait le statu quo tout en le défendant mordicus

  • je ne vois pas pourquoi manifester ,de toute façon les ordonnances ont été approuvées. En plus les français ont décidé que Macron serait président nous n’avons plus qu’une chose a faire ,subir ,se taire et continué a travailler

    • Subir et continuer à travailler, peut être.
      Se taire, surtout pas ! Il faut continuer à débattre, analyser, proposer.
      … ou alors arrêter de se plaindre…

  • bah , il faut croire que les Français ne sont pas si mécontents de macron puisqu’au dire de certains médias sa côte de popularité est remonté de 10% , comme ça , du jour au lendemain….comme le disait le sieur sarkozy en son temps : en France , tout est possible……

  • Le comptage des manifestants est sans doute la seule technique qui régresse dans notre science du 21e siècle, et où la politique d’un pays se détermine en fonction de chiffres sur lesquels plane une incertitude de 1 à 5, voire plus, et dont pas un acteur de la vie publique ne se soucie de réduire l’ampleur de l’incertitude alors que ce serait simple et pas cher. Dans un tel contexte d’irrationalité, notre économie ne peut être que perdante, blocages ou non, car il lui faudrait pour se développer un cadre logique et sensé.

    • Apparemment, les techniques neutres semblent exister. Il y a des années de cela, un reportage télévisé a présenté une entreprise qui proposait un logiciel couplé avec des caméras vidéo à même de compter les personnes présentes dans une foule. Quelque chose sur les mêmes principes que la reconnaissance faciale.
      Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais compris pourquoi les organes de presse ne font pas leurs propres comptages, ni pourquoi ils donnent les estimations des autres sans prendre la peine de les vérifier.

      • @ xc
        Oui, en Belgique un policier compétent dans le domaine, a bien expliqué le comptage des manifestants (1 à 2 personnes maximum / m2 mais 0 par m2 où il n’y a personne, histoire de ne pas allonger artificiellement le cortège!) et il semblait s’y fier puisque les policiers ne comptent pas dans le cas de manifestations policières!

        Sans le dire ouvertement, il laissait entendre que les techniques de la police étaient au point mais largement dépassées par les chiffres des organisateurs qui mesuraient plutôt au pif! Ce que je crois volontiers quand on double ou triple les chiffres des policiers! J.L.Mélenchon, hier, c’est un bide!

        La presse, bien sûr n’engage pas de frais, elle ne fait que citer les 2 chiffres!

      • Aux USA, ce sont les médias qui comptent par eux mêmes les manifestants.

        • @ AxS
          Oui, quand il s’agit des grands médias, vendus, lus et connus internationalement dont nous-mêmes connaissons les titres: les gazettes plus ou moins locales, voire nationales, n’ont pas les mêmes exigences coûteuses, les subsides étant déjà dispatchées autrement!…

  • Notons que toutes ces manifestations sont contre…,contre tout ce qui change.
    On en déduit donc que ces soit-disantes « forces de progrès » sont, en réalité, des forces de régression ou de conservatisme absolu.
    On en déduit aussi que les 6 millions de chômeurs et les 8 millions de pauvres conviennent parfaitement à ces forces de…décadence?

    • @ Gerald555
      Non, c’est toute la France qui est conservatrice, intrinsèquement, tant on a dépeint son passé en couleur d’or et de rose, en lui inculquant cette fierté nationale devenue chauviniste, incapable de se remettre régulièrement en question depuis … au moins 40 ans!

  • Ces manifestants sont sourageux où on bcp de temps à perdre à moins que cela soit des loisirs pour eux. En 2017 ,une pétition semble bien plus appropriée à ce genre de problèmes..insignifiants pour la majorité des français ( en CDI ou aimant leur patron ou simplement fonctionnaires) et qui n’intéresse pas grand monde.
    Quand on bosse normalement , nos syndicats nous em…..de , pire que les démarcheurs à domicile voulant vous vendre à tout prix un truc que vous ne voulez pas.

  • Un gros flop et tant mieux car mélenchon est un homme dangereux révisionniste en sus !!!!

    La rue aurait viré les nazis ?????? Il faudrait que pépère revoit l’histoire de France !

  • quand je lis les commentaires cela me fait un peu sourire . je vais vous dire , on l a’ tous dans le c.l

  • Un referendum, et ensuite interdiction de toute manif.
    Sinon, c’est la dictature de la minorité agissante.

  • baisser la tête les moutons !!!
    il y a eu un certain 1er Ministre droit dans ces bottes et d’honnêteté condamné par la justice…
    qu’une retraite de 1200 euros c’est une bonne retraite….
    mais ce bouffon présente chaque année des frais remboursable entre 80 000 à 100 000 euros …
    +retraite +maire etc …

    • @ Lou fabe
      Mais J.L.Mélenchon est évidemment comme les autres: « faites ce que je dis, pas ce que je fais! ».

      Il a trouvé son créneau et sa place, il adapte son discours mais il défendra sa place au sommet dans tous les cas de figure!

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