Les cryptomonnaies sont-elles immorales ?

Comment arbitrer entre la liberté de disposer sans entrave (et secrètement) de son argent, et la nécessité de transparence imposée par l’ordre public ?

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Les cryptomonnaies sont-elles immorales ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 8 septembre 2017
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Par Jean-Baptiste Pleynet.

Les crypto-devises ont une réputation sulfureuse de monnaie du crime, des pirates et flibustiers. Cette réputation est partiellement légitime (car des criminels les ont utilisées et les utilisent toujours), et partiellement surfaite (le sont-elles plus que l’argent liquide ?). Loin de parler, chiffres et études à l’appui, du bien-fondé ou non de cette image, intéressons-nous au débat philosophique : outil du crime, ou devise de la liberté ?

Afin de répondre à cette question, nous rappellerons les enjeux, les spécificités et les concepts liés aux crypto-devises et plus largement au monde économique et financier.

L’AML, ou la surveillance généralisée des opérations financières

Si la Justice est aveugle, elle ne peut intervenir et juger sans voir.

Pour cela, le monde financier a introduit le concept d’Anti Money Laundering, en bon français la « lutte contre le blanchiment d’argent et financement du terrorisme ». Le principe de base est d’empêcher les organisations criminelles et terroristes de disposer librement des sommes qu’elles possèdent. Pour ce faire, il est nécessaire d’apporter une traçabilité toujours plus grande à tous les flux financiers.

D’abord déployé pour barrer la route au financement du terrorisme (le 11 septembre 2001 a été un catalyseur fort de l’AML moderne), ce principe d’enquête s’étend désormais largement à toutes les contraintes fiscales. Pour caricaturer, disons que l’on est passé de la traque de Ben Laden à la recherche des impôts impayés.

Se pose alors une question : comment arbitrer entre la liberté de disposer sans entrave (et secrètement) de son argent, et la nécessité de transparence imposée par l’ordre public ?

Petits rappels sur la blockchain

Une blockchain est un registre distribué. En cela, sur une blockchain classique, il est possible de consulter le solde ainsi que les opérations de toutes les adresses utilisées sur le réseau. On ne parle alors pas d’anonymisation mais plutôt de pseudonymisation, en cela que s’il est possible de faire le lien entre une personne et une adresse, il est alors possible de remonter la liste de ses opérations et de son patrimoine.

Certaines blockchains, comme Monero, vont cependant plus loin, permettant de garantir un anonymat des transactions, cachant le « qui donne combien à qui ».

Un second point qu’il est important de garder en tête est qu’une crypto-monnaie n’a pas de banque centrale. Par son caractère distribué, personne n’a, entre autres, la main sur le processus de création monétaire (exemple : le dernier Bitcoin sera miné en 2140).

L’impératif du secret

Si l’on n’a rien à se reprocher, alors on n’a rien à cacher. Cet adage simpliste est pourtant contestable. Il est nécessaire pour beaucoup (pour ne pas dire pour nous tous) de faire parfois entorse à la sacrosainte traçabilité des flux financiers.

Voici, à titre indicatif, certaines dépenses que l’on souhaite cacher à ses proches, son banquier et même son administration :

  • La médecine, surtout si elle est lourde ou esthétique
  • L’Adult Entertainment, raison pour laquelle plusieurs établissements ou sites internet sont connus pour maquiller leurs noms sur les relevés de cartes bancaires, remplaçant leur nom par celui de restaurants par exemple
  • Dans la même veine, tout ce qui relève de l’adultère, du simple achat d’un cadeau à la transmission à un enfant illégitime
  • La constitution d’un patrimoine secret, souvent à l’abri du regard de son conjoint ou de sa famille, en vue d’une séparation ou simplement d’un peu plus d’autonomie financière

Ces situations n’ont peut-être rien de reluisant mais sont pourtant bien réelles, elles sont notre quotidien, et elles sont pour certaines nécessaires et inévitables.

Sans parler de la simple volonté que l’on peut avoir de ne pas se sentir observé par qui que ce soit, quand bien même cette personne serait assermentée.

Une définition fluctuante du criminel

Prenons pour acquis que la lutte contre le terrorisme et le crime plus généralement justifie des mesures drastiques. Mais qu’est-ce qu’un criminel ?

L’actualité récente nous donne malheureusement trop souvent des exemples incontestables.

Mais l’Histoire, et bien tristement encore le monde contemporain, sont remplis de cas où les simples contestataires à l’idéologie dominante sont considérés comme criminels ou terroristes. On les appelle alors les dissidents, les résistants, les activistes, etc. Un exemple parmi tant et tant d’autres : le Dalaï-Lama est considéré comme un terroriste par les autorités chinoises, et a dans le même temps reçu le prix Nobel de Paix.

Les lois sont relatives à une époque et à un pays (donc une zone géographique) bien précis. Ce qui est un crime quelque part aujourd’hui ne l’a pas toujours été ou ne l’est pas ailleurs. La notion de criminel ou de hors la loi est donc fondamentalement relative.

Rappelons-nous que dans certains pays, le travail des femmes (ou même simplement le fait pour elles de conduire une voiture) ou l’homosexualité sont considérés comme étant hors la loi.

L’auto-organisation

L’absence de contrôle salvateur d’un État central n’implique pas pour autant la porte ouverte à tous les abus.

Certains exemples montrent une auto-organisation de la part des différentes communautés blockchain, et des initiatives sont faites pour limiter la marge de manœuvre des malhonnêtes. Loin d’être parfaites, ces initiatives sont malgré tout un sérieux caillou dans la chaussure des forbans digitaux qui s’imaginaient les crypto-devises comme un eldorado du crime de masse.

La création d’une base de données (blacklist) d’adresses liées à des opérations unanimement reconnues comme criminelles ou délictuelles est un exemple concret et réel des solutions naturellement mises en place par l’écosystème blockchain. Ainsi, il devient très difficile pour les auteurs de délits majeurs d’écouler leurs devises mal acquises.

À titre d’illustration, dans le cas des ransomwares qui ont récemment défrayé la chronique (comme WannaCry), les comptes Bitcoin liés à ces logiciels sont sous haute surveillance, y compris par des robots Tweeter, et jusqu’à présent les sommes déposées dessus n’ont pas pu être dépensées.

Ces méthodes d’AML sur blockchain sont d’ailleurs utilisées par toutes les plateformes de trading sérieuses (Kraken, Bitstamp, etc.), et même ouvertes au grand public.

De la vraie valeur d’une monnaie

Qu’est ce qui donne à une monnaie (qu’elle soit fiduciaire ou cryptographique) sa valeur ?

La réponse est simple : c’est la confiance qu’a le marché dans le système monétaire qui donne sa valeur à une monnaie. Effectivement, on rappelle que les deux types de devises ont la même valeur intrinsèque (à savoir aucune) puisque les monnaies classiques ne sont plus convertissables en or depuis des décennies. Pour le dire autrement, elles sont toutes aussi virtuelles.

Dans le cas d’une monnaie étatique (voir supra-étatique pour l’euro), c’est donc la confiance du marché dans la politique du gouvernement et de la banque centrale de cet État qui fait la valeur. Pour résumer (trop) simplement 200 ans de science économique, disons qu’une politique économique fonctionnelle fera une monnaie forte, une politique économique hasardeuse entraînera une dévaluation, et enfin une politique de type planche à billets entraînera une inflation galopante.

Dans le cas d’une crypto-monnaie, c’est la confiance dans le protocole qui sous-tend le système (à savoir la blockchain) qui fait la valeur. Ce protocole est connu à l’avance, et surtout immuable.

En quoi a-t-on le plus confiance, en la capacité des hommes à gérer une monnaie, ou en un protocole informatique ? C’est cette question qui détermine la valeur relative des crypto-devises par rapport aux devises fiduciaires.

Un jugement de riche

L’auteur de cet article a la chance de vivre en Europe, comme la plupart de ses lecteurs, et qui plus est en zone Euro.

Nous vivons alors dans une zone économique prospère, avec une monnaie forte et fiable (quoi qu’on en dise), et avec des libertés publiques très satisfaisantes.

Mais nous l’avons vu, tous n’ont pas cette chance. Certains peuples n’ont aucune confiance possible en leur monnaie, qui se dévalue à grands pas, détruisant ainsi leurs maigres économies, ou qui n’est pas convertible dans d’autres devises.

D’autres n’ont pas la liberté de protester sans risques de sévères sanctions, notamment économiques.

D’autres enfin n’ont pas le droit de travailler afin de gagner une indépendance financière, le plus souvent vis-à-vis de leur mari.

À toutes ces personnes, les crypto-monnaies, par leur anonymat et leur décentralisation, apportent une réponse providentielle.

Conclusion

À l’écart du débat moralisateur des censeurs des pays riches, les crypto-devises s’imposent d’abord par les pays où les libertés économique et politique font défaut (Chine, Venezuela, Turquie, et malheureusement bien d’autres), offrant à ces citoyens une chance inespérée de reconquérir une autonomie vis-à-vis d’un pouvoir qu’ils jugent corrompu ou incapable, avec comme conséquence fâcheuse l’ouverture d’une brèche pour la pratique d’activités criminelles (puisque la Liberté est criminelle dans certains États).

Ce sempiternel débat est déjà le même avec les outils de communication moderne (réseaux sociaux, messageries cryptées), qui servent tout autant les révolutions populaires que les attentats.

Pour répondre à l’interrogation que nous avions en ouverture, les crypto-devises sont les deux : malheureusement parfois utilisées par certains criminels, et certainement employées pour garantir des libertés fondamentales.

La question à se poser est donc plutôt : les crypto-devises sont-elles un mal nécessaire ?

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