Réussite scolaire : lever le tabou de la paresse

En banalisant les comportements de paresse, ou en dénigrant les vertus de persévérance et d’effort, on contribue à compromettre l’ascension sociale des jeunes d’aujourd’hui.

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Réussite scolaire : lever le tabou de la paresse

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 4 septembre 2017
- A +

Par Matthieu Grimpret.1

Si l’on en juge par ses initiatives et prises de position passées, ainsi que par ses premières décisions, le nouveau ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, pourrait bien faire de la rentrée scolaire 2017 le préambule d’un certain retour aux fondamentaux réalistes (par opposition aux expérimentations idéologiques) de l’instruction.

Quelle instruction ? Quelles intentions ?

Qui dit « réaliste », dit d’abord « objectif » : avant de décider quoi que ce soit, a-t-on suffisamment réfléchi à ce que l’on veut ? Si oui, l’a-t-on expliqué aux premiers intéressés, à savoir les jeunes, les enseignants et les parents ? La question peut paraître grandiloquente mais elle s’impose : pour la part qui revient à la Nation dans l’instruction de sa jeunesse, quelle forme veut-on donner à cette dernière ? Quel esprit ? Quels savoirs ? Quels savoir-faire ? Quels savoir-être ? La réponse dépend certes des intentions, mais aussi du contexte, marqué notamment par l’économie de l’immatériel telle que l’ont présentée Jean-Pierre Jouyet et Maurice Lévy dans leur rapport de 2007, lequel, dix ans après sa publication, n’a rien perdu de sa pertinence.

Adapter les savoirs à l’échelle du monde

Précisément, un objectif très simple peut d’ores et déjà être énoncé pour le système scolaire français. Il n’est sans doute pas suffisant mais il est indiscutablement nécessaire : mettre les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être à l’échelle qui convient aujourd’hui, c’est-à-dire celle du monde entier. Il y a dans cet enjeu une dimension quasi-homothétique : puisque, par rapport au siècle dernier, les habitants de cette planète vont plus loin, plus vite, plus souvent et en plus grand nombre, ils vont devoir, immanquablement, apprendre davantage.

Le défi qui nous attend tous, mais plus particulièrement ceux qui sont aujourd’hui en situation d’instruction « basique » (école, collège, lycée, université), ce n’est pas seulement d’apprendre autrement, ou d’apprendre autre chose, c’est surtout d’apprendre davantage.

Ne nous y trompons pas ! Connaître les bases des codes informatiques les plus répandus, ce qui va bientôt sembler une évidence, ne dispensera pas de savoir par cœur ses tables de multiplication, au contraire ! Parler convenablement l’anglais, l’espagnol et l’indonésien, ne rendra pas caduque l’exigence de maîtriser parfaitement sa langue maternelle ! Et la virtuosité dans le maniement du traitement de texte ne remplacera pas l’aisance orthographique et syntaxique.

On en vient à l’autre élément d’une approche réaliste de l’instruction : qui dit « objectif » dit « moyen(s) » pour l’atteindre. Être en phase avec les contraintes, et les ressources, du monde d’aujourd’hui impose d’apprendre plus. Apprendre plus implique de lever un tabou : celui de la paresse de certains élèves et étudiants. Reconnaissons-le sans détour, même si cela heurte les benoits de la pédagogie positive : certains élèves et étudiants ne travaillent pas assez car ils sont paresseux – ou plutôt, la précision est importante, car ils ne luttent pas suffisamment contre la paresse.

La paresse, cause d’échec scolaire

Nous sommes tous plus ou moins paresseux, et différemment selon les domaines : un élève pourra être champion de natation et incapable d’aligner trois mots en devoir sur table. Lutter contre la paresse est un travail de longue haleine, qui engage tout l’être, dans son corps, son cœur et son esprit. Un travail à recommencer chaque jour.

Mais surtout, un travail qui nécessite un effort de lucidité et d’humilité. Pas de victoire (toujours provisoire) sur la paresse si l’on ne la regarde pas en face, si l’on ne la nomme pas, si l’on ne s’avoue pas ses failles, si l’on ne se reconnaît pas à la fois victime d’une inclination profonde et coupable de laisser-aller.

Or, enquête faite, la question de la paresse (et son corollaire, celle de l’effort) n’est, à notre connaissance, jamais soulevée dans les rapports internationaux (PISA, UNESCO…) ou nationaux (Institut Montaigne, Fondation Jean Jaurès, Terra Nova…) qui pointent, à juste titre, les performances médiocres du système scolaire français. Comment prétendre réformer et améliorer ce dernier sans au moins évoquer ce qui en constitue le talon d’Achille structurel ?

Lutter contre la paresse

Il n’y a certes pas de recette magique pour lutter contre la paresse. En outre, la puissance publique rechigne à se mêler d’une question qui lui semble relever du domaine moral – ce qui n’est pas faux, puisqu’elle engage la vertu au sens le plus classique du terme.

Il y a pourtant des moyens pour atténuer les ravages de la paresse à l’école : d’abord, comme évoqué plus haut, en parler, en recourant par exemple au procédé du groupe de parole ; ensuite, repenser l’évaluation en y incluant des outils de motivation concrète et immédiate (la bonne vieille récompense, adaptée au XXIe siècle) ; de même, actionner le levier de l’émulation par les pairs, en jouant sur le contrôle mutuel entre élèves ; autre piste, l’articulation intelligente entre l’éducation physique et sportive et les autres disciplines autour de la notion d’effort… Bref, la paresse est un phénomène psychologique, moral et physique suffisamment complexe pour qu’on puisse l’aborder de mille manières.

Mais plus largement, ce sont tous les acteurs de la société qui doivent se sentir et se savoir investis d’une responsabilité en la matière – et notamment ceux qui communiquent avec les jeunes, pour des raisons commerciales (grandes marques d’habillement, de divertissement, d’alimentation) ou éducatives (clubs sportifs, associations, enseignants et, bien sûr, parents et familles).

En banalisant les comportements de paresse, ou en dénigrant les vertus de persévérance et d’effort, ils contribuent à compromettre l’ascension sociale des jeunes d’aujourd’hui, sapent le capital humain dont ils auront besoin demain et donc, par facilité ou manque d’imagination, scient la branche sur laquelle ils sont assis.

  1. Enseignant, essayiste, fondateur du cabinet de coaching scolaire Objectif Post Bac. Dernier livre paru : Le coaching scolaire (Eyrolles).
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  • pas si clair la paresse… pas si clair de faire porter le poids de l’échec seulement sur l’élève puisque il y a un enseignant, un élève et un corps de connaissance..
    La paresse au contraire selon moi de la fainéantise est un trait de caractère…et en conséquence on ne y peut rien on est paresseux ou non… je serais curieux qu’on me donne un méthode autre qui me permet de savoir si l’Échec d’une élève tient à sa « paresse » ou au fait que de l’enseignant soit mauvais ou que l’enseignement soit inintéressant et que l’élève soit suffisamment intelligent pour s’en rendre compte…

    Peut on enseigner n’importe quoi à n’importe qui ? je n’en sais rien..
    la paresse mais aussi la stupidité peuvent servir d’alibi ultime pour expliquer l’échec non pas de l’élève mais du système.

    J’insiste ,si paresse de caractère il y a , si stupidité il y a , le diagnostic doit en être fait AVANT…

    Dans l’idéal , un enseignant devrait être capable de dire au parents et à l’enfant après un examen préalable je peux t’enseigner ou sinon..je peux vous conseiller un collègue qui sait gérer un tel enfant.

    En ce qui me concerne un enfant qui s’entraîne dur pour nager..n’est PAS un paresseux…

    Il y a quelque chose d’effrayant de penser que tout enfant DOIT pouvoir s’intéresser à toute matière ayant été choisie pour constituer une partie de son enseignement…Il y a quelque chose d’effrayant de penser qu’ne enfant soit absolument docile..enfin bref…ça m’ennuie beaucoup cet article, surtout qu’à mon avis la question est surtout de savoir pour on doit payer pour les enfants des autres ..à fonds _peut être-perdus, pour un enseignement décidé par des gens rendus omniscients par on ne sait quelle grâce.

    • @ Jacques Lemiere: C’est le poids de la responsabilité des enfants; mais responsabilité très relative au fonds puisque il est inscrit dans la génétique du vivant de ne pas trop dépenser pour mieux durer, c’est l’utilité des dépenses de chasse en fonction du profit tiré de la proie; c’est pourquoi un groupe de proies sait côtoyer ses prédateurs.
      Le levier qui me semble être le meilleur, parce que les humains en veulent toujours plus, rester à jouer en laissant faire le software est suicidaire, c’est le goût de la chose faite, qui mènera à la chose à faire. La réalisation de soi par l’action. Les enfants aiment bien faire puisque c’est une manière de se voir complimenté ou récompensé, ce qui signifie conforté et rassuré. Ceci est l’élan dont ils ont besoin pour tenter de continuer à faire par leurs seuls moyens. Les oiseaux de sont pas jetés du nid, et pourtant, en quinze jours généralement suivant les espèces, ils le quittent! Mais tout ceci, cette autonomie et cette puissance populaire au réel service de notre civilisation sont-elles dans l’intérêt des étatistes et des Soros…?

    • Bonjour jacques lemiere

      Je ne pense pas que l’article culpabilise les enfants avec une présupposée ‘paresse’.
      Apprendre présuppose un effort, une attention soutenue sur un devoir, une souffrance consentie pour réussir, le contraire de la doxa actuelle; Apprendre en s’amusant, laisser les enfants découvrir par eux-mêmes (réapprendre la roue), ne pas noter (traumatisant) etc..

      J’ai tjs été paresseux, à l’école, au travail. J’ai tjs fuis le travail inutile, et dieu sait que ce n’est pas cela qui manque. Mais j’ai tjs fait le minimum (à l’école 1H/semaine), et je connais de nbreuses personnes qui ne le font pas et elles, elles sont réellement paresseuse (ou stupide).

      • le mot seul est une culpabilisation et la paresse est un péché…mais bon..
        très paresseux à l’école aussi pourtant de bons résultats..système fait pour des gens comme moi….
        Il faut bien comprendre que l’article pose d’abord que c’est aux enfants et aux parents de s’adapter à un système éducatif…système éducatif qui au passage peut être jugé mauvais comparativement à d’autre pays…
        Il y a toujours chez beaucoup de personnes des certitudes qui me gênent, j’ai trop entendu d’enseignants se plaindre des élèves et rejeter sur eux la totale responsabilté de leur echec..
        Or quand un élève échoue à apprendre ( peut des conneries d’ailleurs) c’est une responsabilité quelque peu partagée mais d’abord celle de l’enseignant..
        la paresse des élèves n’explique pas grand chose..et je le répète qu’est ce que ça peut foutre..

        • Non non

          Le chapeau de l’article est clair:
          « En banalisant les comportements de paresse, ou en dénigrant les vertus de persévérance et d’effort, on contribue à compromettre l’ascension sociale des jeunes d’aujourd’hui, et on sape le capital humain dont ils auront besoin demain. »

          Par un refus de la sélection on (le ministère) met tout le monde à égalité. Plus personne ne redouble (cela ne sert à rien) plus de classe de niveau, collège pour tous (loi haby 75!!), bac pour tous, mention TB pour tous, bientôt polytechnique pour tous.

          Il n’est pas question de pêché, juste de réalisme, étudier, c’est dur. Il faut se faire violence, et nous sommes dans un état-maman qui veut exclure toute souffrance (c’est tropinjuste).

          Il est vrai, aussi, qu’en France, l’échec est une faute, alors que l’échec est normal dans le processus d’apprentissage.

          Un enfant en échec c’est peut-être le prof (j’en ai connu des pathologiques), mais il existe aussi des gamins qui ont plus de mal que les autres. Mais la structure se défend, et l’échec scolaire est son échec.

          Ceci étant dit, je ne défendrai pas le mammouth, qu’il faut euthanasier, laisser les enfants étudier sous la stimulation de leur parents.
          Relire I Illich deschooling society.

  • Quand les enseignants ne sont plus que les rouages d’une grande broyeuse, vous voudriez que les enfants partent à l’école la fleur au fusil ?

    Lorsqu’un enfant a compris son rôle de combustible social, soit il résiste, soit il choisit l’auto-déstruction (15% du total des décès, le suicide représente la deuxième cause de mortalité chez les moins de 20 ans).

    Et si finalement, la paraisse était la moins mauvaise forme de résistance ?

  • Et oui.
    Le travail , c’est bon pour ceux qui n’ont rien à faire….

  • La paresse est de l’ordre de l’intime. Les enseignants n’ont pas beaucoup de pouvoir sur celle de leurs élèves, même s’ils peuvent se référer à eux-mêmes, à leurs bonnes études, couronnées de succès. Mais, mettons-nous suffisamment en valeur la profession de professeur? Elle n’a jamais été vraiment valorisée, donnée en exemple.
    La lutte contre la paresse est dans le camp de la famille, les parents, père et mère. Ceci explique la transmission de l’ambition à l’intérieur des classes sociales déjà favorisées (par leurs efforts). Si elles en ont la volonté, elles disposent en plus de l’argument de l’exemple.

  • n’est on pas libre d’être paresseux ? 🙂

    • Absolument, tant qu’on assume soi-même les conséquences de cette paresse.

      • absolument..et c’est ce qui devrait faire tilt chez l’auteur..pourquoi s’inquiète il de cela?
        Enseignement obligatoire avec un programme parfois inepte décidé par des gens essentiellement élus…

  • Je souscrit au fond de l article: la paresse et le manque de motivation pour faire des efforts est un probleme.

    Par contre, je doute qu on doive apprendre davantage comme l ecrit l auteur. Je vois 2 objections:
    – une tete bien faite au lieu d une tete bien pleine. Avez vous deja eut des etudiants chinois (ou asiatique en general). Il sont les champions du bourrage de crane mais par contre quand il s agit d appliquer ce qu ils ont appris, c ets nettement moins glorieux, des que ca sort des sentiers battus
    – il y a des connaissances obsoletes. a une ceratine eopque on apprenait a extraire les racines carres a la main (ou l usage de la regle a calcul) . Qui sait encore le faire aujourd hui ? plus personne et ca ne sert plus a rien ! De meme, ma grand mere etait capable de reciter la listes de tous les departements, j en suis bien incapable. Ce qui est important change: a une certaien eopque, il etait impensable de faire carriere sans etre latiniste. aujourd hui c est de parler anglais. Il est possible que dans 100 ans le francais ait subi le sort du provencal (que quasiment plus personne ne parle)

    • Cdg a beaucoup d’humour… Belle démonstration de l’inutilité de la maîtrise de la langue française et de la réflexion critique.

    • « eût plutôt la tête bien faite que bien pleine, et qu’on y requit tous les deux »
      Curieusement, la deuxième partie de la phrase est systématiquement occultée.

  • L’ennemi c’est l’ennui. On peut zapper, les distractions médiatiques sont calibrées pour les fameuses « 30 secondes d’attention » et les gratifications doivent être immédiates.
    Dans ces conditions, difficile de proposer des activités/démarches/enseignements nécessitant quelque austérité et des étapes peu exaltantes par elles-mêmes.

    P. – S. Je remercie l’auteur, M. Grimpret, pour son article écrit en un français correct, voire châtié, même si j’ai quelques réserves quant au contenu.
    P. – P. – S. Et je remercie également « GN » pour son utile rappel quant à la citation de Montaigne !

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