Plafonner les indemnités prud’homales n’est pas ultralibéral

Le plafonnement – appelée aussi « barémisation » – des indemnités prud’homales constitue un des points faisant consensus entre syndicats français et libéraux.

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Plafonner les indemnités prud’homales n’est pas ultralibéral

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 11 août 2017
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Par Jonathan Frickert.

Point-clef du programme économique annoncé par l’ancien candidat devenu chef de l’État, la loi Travail version « Macron » a franchi début août un cap décisif avec l’adoption au Parlement du projet de loi d’habilitation autorisant le gouvernement à réforme le code du travail par ordonnances.

Un projet qui fait grincer des dents depuis l’annonce de candidature d’Emmanuel Macron à la présidence de la République à l’automne dernier. Dans les rangs insoumis, on se prépare donc à une lutte sans merci face à « l’ultralibéralisme extrêmement radical » du projet de réforme.

Pourtant, le plafonnement – appelée aussi « barémisation » – des indemnités prud’homales constitue un des points faisant consensus entre syndicats français et libéraux.

Un engagement commun et paradoxal qui fait de l’ombre à une réforme que certains espèrent pouvoir comparer aux réformes Hartz marquant le mandat de Gerhard Schröder au début des années 2000. Ce point précis de la réforme nie ainsi le principe le plus élémentaire de responsabilité en cherchant sa justification dans l’inflation législative.

Une responsabilité déjà bornée

Actuellement, l’indemnité pour licenciement abusif est régie en droit français par l’article L 1235-3 du Code du travail, qui dispose qu’en cas de jugement du conseil des prud’hommes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, « le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis ».

En cas de refus du salarié ou de l’employeur, « le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l’employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois » et ce en plus de l’indemnité légale de licenciement.

Cette indemnité est due dès lors que le salarié dispose de 2 ans d’ancienneté dans l’entreprise si celle-ci dispose d’au moins 10 salariés. Le salarié ne doit pas avoir bénéficié d’une indemnité forfaitaire de conciliation.

On constate donc l’existence de garde-fous légaux, déjà présents en droit français, bornant l’indemnisation du salarié, qu’il s’agisse du plancher des 6 mois ou des conditions d’ancienneté ou encore d’état de la procédure. Le projet de loi Pénicaud vient renforcer cette dimension.

Du barème indicatif au référentiel obligatoire

L’objectif est ici d’encadrer la réparation du préjudice subi par le salarié, hors cas spécifiques, afin de répondre à une demande de visibilité formulée depuis plusieurs années et qui a failli entrer dans le droit français très récemment.

L’idée d’un barème indemnitaire date au moins de la loi dite Macron 2 de 2015 via son article 266 censuré par le Conseil constitutionnel. Le juge constitutionnel avait notamment considéré que le texte ne prenait pas suffisamment en compte les situations individuelles et méconnaissait le principe d’égalité devant la loi.

Après avoir tenté de faire à nouveau passer cette mesure dans la loi dite El Khomri, et face à la contestation que cette loi a provoquée, la mesure a été abandonnée au profit d’un barème indicatif.

Pourtant, dès 2015, le projet de celui qui était à l’époque candidat reprend l’idée. En recherchant sur le site d’En Marche, il est facile de retrouver la proposition du candidat : « Nous instaurerons un plafond et un plancher pour les indemnités prud’homales pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (hormis les cas de discrimination, de harcèlement, etc.). Le plancher permettra de protéger les droits des employés. Le plafond donnera aux entreprises une visibilité et une assurance qui permettront de lever les freins à l’embauche en CDI ».

Une fois la période électorale passée, cette proposition trouve un début de concrétisation dans l’article 3 du projet de loi d’habilitation voté au début du mois.

Celui-ci mentionne que « le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi afin : 1° De renforcer la prévisibilité et ainsi de sécuriser la relation de travail ou les effets de sa rupture pour les employeurs et pour les salariés de droit privé ».

Cet objectif suppose notamment, dans le b) du 1°, la modification des « dispositions relatives à la réparation financière des irrégularités de licenciement, d’une part, en fixant un référentiel obligatoire […] et, d’autre part, en modifiant en conséquence, le cas échéant, les dispositions relatives au référentiel indicatif […] ainsi que les planchers et les plafonds des dommages et intérêts fixés par le même code pour sanctionner les autres irrégularités liées à la rupture du contrat de travail » ainsi qu’en « adaptant les règles de procédure et de motivation applicables aux décisions de licenciement ainsi que les conséquences à tirer du manquement éventuel à celles-ci ».

Le texte propose donc l’instauration d’un référentiel obligatoire afin de renforcer la prévisibilité et la sécurité de la relation de travail. On contraint donc un peu plus le juge dans son travail.

Une négation du principe de responsabilité

Cette mesure rappelle inévitablement au juriste le principe de réparation intégrale du préjudice, issu de divers régimes de responsabilité et consistant à laisser au juge la liberté d’apprécier le montant d’indemnisation en fonction du préjudice subit par la victime.

On retrouve ce principe dans le droit français des obligations dans les anciens articles 1147 et 1382 du Code civil devenus 1231-1 et 1240 depuis la réforme de 2016.

L’idée d’une barémisation est donc, philosophiquement du moins, une contrainte supplémentaire qui pourrait très bien finir par passer dans le droit français du fait du caractère spécifique du droit du travail et des nombreuses atteintes déjà incluses dans notre législation.

La réparation intégrale concrétise un des principes fondamentaux du libéralisme : la responsabilité. Découlant naturellement de la liberté, ce principe se caractérise par la prise en compte des conséquences des actions humaines (cf. Frédéric Bastiat). Ainsi, chaque individu est responsable de ses actes vis-à-vis d’autrui.

Le travail du juge consiste justement, dans une perspective libérale, à déduire logiquement la responsabilité de chacun dans les cas d’espèce qui lui sont soumis. Ainsi, en renforçant la réglementation du travail du juge en matière d’indemnisation, le principe de responsabilité se voit une nouvelle fois écorné.

Ce faisant, nous vidons également le principe assurantiel de sa substance. L’assurance est un mécanisme permettant de prévenir un risque. En l’espèce, il s’agit du risque contentieux aboutissant au paiement de lourdes indemnités prud’homales couvert par le contrat d’assurance prud’hommes.

Le renforcement de l’encadrement des indemnités en cas de licenciement abusif provoque une prévisibilité légale qui, en nuisant au principe de responsabilité, nuit par là même à toute logique assurantielle.

Sur le plan de l’analyse économique, enfin, il est intéressant de tenter une projection des risques que pourrait provoquer la barémisation des indemnités de licenciement abusif.

Prenons le cas de l’individu rationnel employant un salarié. Si l’absence de recul quant au barème indicatif issu de la loi El Khomri ne nous permet pas d’avoir d’éléments concrets, nous pouvons aisément spéculer à partir de notre simple logique.

La première conséquence qui vient à l’esprit est une facilitation du licenciement. S’il a pu être démontré que faciliter le licenciement favorise paradoxalement l’embauche, il faut pour cela ne pas bloquer inutilement les embauches, par l’instabilité législative, de prix du salaire ou d’accès à la formation par exemple.

La seconde conséquence pourrait être une augmentation des contentieux pour harcèlement et discrimination, non touchés par l’encadrement des indemnités.

Vrai problème, fausse réponse : un classique du mal français

Pourtant, le problème est bien réel : le contentieux social peut aboutir à des indemnisations allant parfois à prêt d’un million d’euros. Des sommes qui peuvent tuer purement et simplement certaines entreprises.

Certains jugements de conseils des prud’hommes entraînent des liquidations et donc des licenciements économiques. Le cas de la société Magma Distribution, qui mit la clef sous la porte pour une affaire d’heures supplémentaires impayées est symptomatique.

Pourtant, ce n’est évidement pas le montant, souvent justifié, qui pose question, mais le caractère très obscur de la législation française. Si nul n’est censé ignorer la loi, que faire lorsque le droit français souffre à la fois d’une complexification galopante et d’une inflation folle ?

Si le juriste est tenté d’avoir un réflexe corporatiste afin de libérer l’embauche de spécialistes, cela pose la question plus profonde de la complexité législative.

La barémisation fait partie de ces réponses de l’État aux problèmes posés… par l’État lui-même. Cette même logique conduit à l’idée d’un droit à l’erreur ou à la naissance des aides au logement à la fin des années 1940.

La solution est pourtant à la fois simple et terriblement révolutionnaire pour un pays étatisé comme la France. Si le problème vient d’une imprévisibilité des conséquences des conflits de travail, cela suppose donc que le droit n’est pas assez clair.

Le droit du travail, comme de nombreux autres, aurait ainsi tout intérêt à être toiletté afin de gagner une lisibilité dont les employeurs comme les salariés ont besoin et qui fait cruellement défaut à notre pays.

La seconde solution, applicable cumulativement ou alternativement, serait une libéralisation du marché de l’assurance pour garantir la sécurité face aux risques contentieux. Deux solutions qui remettront de la confiance dans les relations individuelles et collectives de travail.

Si certains souhaitent comparer le projet avec les réformes Hartz, emblématiques du réformisme allemand des années 2000, il faut se garder de lancer des comparaisons hâtives.

Les réformes Hartz ont été divisées en quatre phases : flexibiliser le marché du travail, faciliter les emplois peu qualifiés, libéraliser la création d’entreprises et réorganiser l’assurance-chômage.

Si la loi Pénicaud semble se diriger vers une libéralisation du marché du travail, le gouvernement ne semble pas vouloir s’attaquer à la question des assurances-chômage.

Dire cela est un euphémisme, puisque l’exécutif souhaite un élargissement des droits à l’assurance-chômage en cas de démission, contrairement à la loi Hartz IV rendant le chômage moins attractif que l’emploi afin d’éviter toute complaisance. La réforme Pénicaud entre dans la même logique que l’étatisation de notre système de protection sociale.

Ce point du projet montre également ce que sont les faux-amis du libéralisme : les chefs d’entreprise qui, sous couvert de demander moins de fiscalité et moins de contraintes, quitte à demander des avantages à l’État, se croient et sont vus comme libéraux.

La loi Pénicaud constituera probablement une avancée vers plus de libéralisme dans les relations de travail, mais reste parasitée par la présence de mesures typiquement clientélistes vis-à-vis de l’électorat qui a mis au pouvoir la nouvelle majorité.

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  • Le problème n’est pas dans le juridique, mais dans la phrase aussi vague qu’imprécise de la formulation « sans cause réelle ni sérieuse ». Ce que l’employé (ou le syndicat qui le défend) considère comme telle ne l’est sans doute pas par l’employeur qui sait, lui, pourquoi il licencie, car on ne licencie jamais pour le plaisir (contrairement à ce que croient ou font semblant de croire les allumés de la CGT). Tant qu’on ne modifiera pas cette formule creuse et laissant la plus grande latitude à des « juges » prud’hommaux, on n’avancera pas.

  • J’ai également toujours été perplexe face à cette formule, « sans cause réelle et sérieuse » ».
    Que ce soit l’opinion immédiate du licencié et de ses défenseurs est logique, mais comment un juge peut il juger l’opportunité d’un licenciement pour cause économique? Il ne peut y avoir débat qu’en cas de faute, dont il faut évaluer la gravité. Je pense que ce sont ces « tarifs » arbitraires qui bloquent l’évaluation convenable du préjudice.
    Il devrait y avoir des possibilités de conventions, négociées entre avocats de parties, et présentées aux parties, et, en cas d’accord, soumises à l’accord du juge. Là, on a l’impression que le juge est seul à décider.

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