La praxéologie est-elle une théorie du choix rationnel ?

Une réflexion sur la place de Ludwig Von Mises dans les théories économiques d’aujourd’hui.

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La praxéologie est-elle une théorie du choix rationnel ?

Publié le 4 août 2017
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Par Adrien Faure.

Dans cette réflexion sur la praxéologie de Ludwig von Mises, je montrerai d’une part que la praxéologie est une théorie du choix rationnel et d’autre part qu’elle résiste aux critiques formulées par le philosophe Alexander Rosenberg à l’encontre de ce type de théories.

Praxéologie, théorie de l’utilité et axiomatico-déductivisme

Les théories du choix rationnel, qui composent la science économique (non inductiviste), reposent sur une réduction du moteur de l’action individuelle (ce qui motive l’action individuelle) au comportement rationnel individuel, et du comportement rationnel individuel à la maximisation individuelle de son utilité.

Autrement dit, tous les désirs des individus sont réduits à des comportements maximisant l’utilité individuelle. Comme le dit Rosenberg : « Rationality was (…) defined as the maximization of available utility, and all agents were assumed to be rational. » Comme nous l’avons vu dans la première partie de cette série d’articles sur la praxéologie, Mises s’appuie sur un axiome qui me semble symétriquement similaire qui est celui de la minimisation de la désutilité.

On peut ici observer, par conséquent, une convergence de vue entre lui et les théoriciens du choix rationnel sur ce point. Rosenberg mentionne aussi sur ce sujet que les théories du choix rationnel s’appuient sur des conceptions ordinales ou cardinales de l’agent maximizer d’utilité, la conception cardinale de l’utilité impliquant aussi la transitivité des préférences.

Or, Mises défend une conception cardinale de l’utilité. En conséquence de quoi, la praxéologie de Mises semble avoir la forme d’une théorie du choix rationnel, telle que décrite par Rosenberg, arc-boutée sur une théorie de l’utilité cardinale (bien qu’il faille rappeler que Mises parle d’agent minimizer de sa désutilité plutôt que maximizer de son utilité).

Ces constatations, bien que nécessaires à l’établissement d’une identité méthodologique entre théorie du choix rationnel et praxéologie, ne sont pas suffisantes, et il convient d’aborder un autre élément potentiel de convergence méthodologique qui est celui du caractère axiomatico-déductiviste de la praxéologie.

Les théories du choix rationnel sont-elles des axiomatico-déductivismes, comme la praxéologie de Mises ? Rosenberg répond à cette interrogation par l’affirmative de la façon suivante : « Mathematical economists were able to show that most of the important results of theoretical economics (…) could be derived from a set of assumptions about rational choice. »

Ainsi, bien qu’une « assumption » n’atteigne pas forcément un même degré de certitude qu’un axiome , il semblerait que la praxéologie ne soit pas une méthode aussi originale que Mises le supposait, mais une forme de théorie du choix rationnel. Puisque la praxéologie de Mises est une théorie du choix rationnel, la question suivante qu’il convient de se poser consiste à se demander si la praxéologie de Mises peut répondre aux critiques de Rosenberg à l’encontre de ce type de théories.

La praxéologie face à la critique rosenbergienne de la théorie du choix rationnel

La plupart des critiques que Rosenberg formule à l’encontre des théories du choix rationnel ne concernent pas la théorie praxéologique de Mises. En effet, en postulant le caractère totalement subjectif des croyances, des désirs et des préférences des individus, Mises ne rentre pas dans le débat concernant la relation entre croyances, désirs et actions.

Mais il y a tout de même une critique de Rosenberg qui concerne la construction théorique de Mises et c’est sa critique de la théorie de l’individu comme maximizer de son utilité, qui concerne la position symétrique de Mises selon laquelle l’individu est minimizer de sa désutilité.

Rosenberg affirme en effet que :

There is a much more immediate problem facing rational choice theory : the trouble with the claim that all economic agents are (…) utility maximizers is that it just seems false. People frequently seem to do things that preclude the maximization of their utility. Consider acts of altruism, charity, or the frequent willingness to settle for good enough when the best may well be available.

Rosenberg ajoute qu’en conséquence la théorie de l’individu comme maximizer de son utilité est « unfalsifiable, (…) false or vacuously true ». Mises répond à ces critiques de la façon suivante. Premièrement, il nie toute compétence à un observateur extérieur à x pour se prononcer sur le caractère valable, désirable ou rationnel des actions des désirs et des préférences de x :

La fin ultime de l’action est toujours la satisfaction de quelque désir de l’homme qui agit. Comme personne n’est en mesure de substituer ses propres jugements de valeur à ceux de l’individu agissant, il est vain de porter un jugement sur les buts et volitions de quelqu’un d’autre. Aucun homme n’est compétent pour déclarer que quelque chose rendrait un homme plus heureux ou moins insatisfait. Le critiqueur tantôt nous dit ce qu’il croit qu’il prendrait pour objectif s’il était à la place de l’autre ; tantôt, faisant allègrement fi dans son arrogance dictatoriale de ce que veut et désire son semblable, il décrit l’état du critiqué qui serait le plus avantageux pour le critiqueur lui-même.

Deuxièmement, Mises nie que des comportements altruistes ou charitables soient des comportements individuels qui ne visent pas à maximiser son utilité ou à minimiser sa désutilité.

Établir [que le but ultime de l’action de l’homme est toujours la satisfaction d’un sien désir] ne se rattache en aucune façon aux antithèses entre égoïsme et altruisme, entre matérialisme et idéalisme, individualisme et collectivisme, athéisme et religion. Il y a des gens dont le but unique est d’améliorer la condition de leur propre ego. Il en est d’autres chez qui la perception des ennuis de leurs semblables cause autant de gêne, ou même davantage, que leurs propres besoins.

Toutefois, il faut noter une différence entre ce que critique Rosenberg et ce que défend Mises : Mises ne considère pas que les individus maximisent leur utilité quand ils agissent, mais seulement qu’ils cherchent à maximiser leur utilité / minimiser leur désutilité, sans prétendre aucunement qu’ils y parviennent automatiquement.

Autrement dit, Mises admet la possibilité de l’échec de l’individu à maximiser son utilité / minimiser sa désutilité : x peut souhaiter obtenir A, parce qu’il pense que cela maximise son utilité, en faisant B, et échouer à obtenir A.

Cet échec n’annule pas le caractère rationnel de l’action, mais met simplement en évidence que l’action de x est rationnel à l’instant t où x agit, mais pas forcément à l’intant t + 1, après que x a eu, par exemple, accès à de nouvelles informations (par exemple sur le caractère approprié ou non de l’usage du moyen B pour obtenir A).

Ce décalage entre ce qui est souhaité, l’action entreprise pour obtenir ce qui est souhaité, et ce qui est obtenu finalement, fait dire à Mises que les individus vivent dans un état d’incertitude et qu’ils agissent toujours en spéculateur : c’est-à-dire qu’ils cherchent toujours à anticiper du mieux possible ce que sera le futur et adaptant leurs actes à ces anticipations.

Les arguments présentés ci-dessus renforcent selon moi la théorie de l’utilité de Mises. Toutefois, ils ne répondent pas à la critique rosenbergienne d’infalsifiabilité et de vacuité véridique (to be vacuously true).

Cependant, il me semble que l’on peut répondre à ces critiques (1) que la théorie de l’utilité de Mises n’est visiblement pas vide puisqu’elle permet de parvenir à des conclusions instrumentalement efficaces, compte tenu de sa capacité à expliquer le fonctionnement de l’économie de marché notamment, et (2) que l’infalsifiabilité n’est peut-être pas un critère de rejet pertinent d’une théorie hors du domaine des sciences naturelles.

À vrai dire, à partir du moment où on sort d’un cadre de recherche naturaliste (logico-positiviste) et que l’on entre dans un cadre de recherche alternatif, on peut plausiblement supposer que les critères pour évaluer la réussite ou le succès d’une théorie changent eux-aussi (à autre méthode, autres critères d’évaluation du succès de la méthode).

Par conséquent, le caractère falsifiable d’une théorie n’est peut être pas un critère valable dans le cadre de recherche des théories du choix rationnel pour évaluer si une théorie est scientifiquement relevante . Selon moi, ces éléments de réponse sont suffisants pour que l’on puisse considérer que la théorie misesienne de l’utilité résiste à la critique de Rosenberg.

Dans la prochaine partie de ma réflexion sur la praxéologie de Ludwig von Mises, j’aborderai ce qui la distingue des autres théories du choix rationnel : son caractère ouvertement prescriptif.

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  • Je pense malheureusement que vous vous trompez.
    En premier lieu, l’infalsifiabilité est évidemment un problème – si quelqu’un vous présente une autre théorie tout aussi infalsifiable, laquelle choisirez-vous? vous n’avez par définition aucun moyen de trancher, et vous retombez inévitablement dans un échange dogmatique sans espoir d’en sortir.
    En second lieu, la théorie du choix rationnel comme explication totale des comportements est effectivement soit fausse, soit vide de sens. Elle est est effectivement assez efficace pour décrire les marchés parce que les comportements irrationnels, du moins à long terme, vont dans tous les sens (par définition), et ne peuvent donc constituer une tendance – la seule tendance lourde étant celle des comportements rationnels qui vont cahin-caha dans le même sens, et ce d’autant plus que vous laissez l’information s’échanger par le système de prix.
    Cela n’empêche que cette théorie du choix rationnel est fausse ou vide si on en fait une explication totalisante. Le problème n’est pas seulement épistémologique (l’incertitude nous fait commettre des erreurs) il est aussi psychologique: souvent je ne veux pas savoir parce que savoir est douloureux, et je préfère ma satisfaction immédiate. Par exemple, le smicard qui s’achète le dernier IPhone – désolé pour l’exemple bateau – sait très bien qu’il serait plus rationnel de conserver son argent pour pouvoir payer son loyer ou manger jusqu’à la fin du mois. Alors bien sûr, vous pouvez décrire ce comportement comme « rationnel » parce qu’il maximise la satisfaction de son auteur qui a une préférence pour le court terme, mais alors le mot « rationnel » ne veut plus dire grand-chose, et en tout cas pas le sens que l’on donne à ce mot en général (méfiez-vous toujours quand les mots que vous utilisez sortent de leur sens courant, c’est le début de la pensée totalitaire). Oui, l’homme est en partie rationnel, mais il est aussi bête, fou, irrationnel par moment. Et bien entendu, je ne nie pas que des comportements apparemment irrationnels ou à l’utilité apparemment nulle sont en fait parfaitement explicables « rationnellement » (le mariage comme façon de procréer et donc d’être entretenu dans sa vieillesse, le don comme façon d’engager des relations sociales dont on espère un retour plus important, etc.) mais il faut bien voir que les gens ne sont souvent pas conscients de cette utilité – ils font vraiment un don de façon désintéressée, sans arrière-pensée, quand bien-même cette convention sociale du don est effectivement utile aux individus et à la société, ce qui explique pourquoi elle persiste.

    • @ Bruno Dandolo

      Vous êtes bien gentil de prendre ça au sérieux: une thèse avec des aspects « axiomiques » à accepter tels quels, parce que l’auteur le dit: non, nier toute contestation dans une invention aussi fumeuse: je refuse tout net, pas du tout impressionné par des néologismes!

      Qui et où parle-t-on encore de « praxéologie »?

      Une doctrine prônant le rationnel et niant tout le reste dans le cerveau humain (émotionnel, attachements, éducation, sensuel, physique, sexuel etc …) est déjà un délirant pur et dur! Et imposer de l’axiomique dans une rationalité, c’est un oxymore!

  • @Bruno Dandolo
    Merci pour votre commentaire.
    Ce n’est qu’en vertu de son auto-observation que l’expérimentateur de la praxéologie est susceptible de se trouver dans un état déterminé et

    d’attribuer à partir de ses croyances subjectives , des fonctions signifiées

    à tort comme objectives à l’objet de sa cogitation c’est à dire les fondements

    axiomatiques de la praxis : en réalité , au lieu d’une automaticité dans la pensée

    mécanique , il y a ne serait ce qu’au niveau de l’inconscient , la volonté , c’est à

    dire un pouvoir du libre arbitre , lequel ne peut être dirigé du dehors même

    par des axiomes fussent ils de nature apodictique ; en définitive tout n’est

    que concepts irrationnels.

    • @ Xeravian
      Vous aussi, avez raison: nous imposer ce « plaisir solitaire » qui consiste à faire de ce que je pense à l’instant X, une théorie où grâce aux arguments « axiomiques » que j’ai inventés, j’invente une théorie à ambition écono-socio-politico-narcissique que les générations suivantes apprendront – peut-être – ce qui laissera mon nom dans l’histoire!
      Rien de vraiment scientifique!
      Que des considérations de pseudo-sciences humaines!
      C’est « nul »!, À oublier très vite!

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