La leçon de marketing d’Obélix et compagnie

Au-delà du divertissement et de la raillerie des méthodes de management, la bande dessinée pourrait-elle exercer un pouvoir de mémorisation des outils clés du management ?

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La leçon de marketing d’Obélix et compagnie

Publié le 26 juillet 2017
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Par Séverine Le Loarne.
Un article de The Conversation

« Quand j’étais petit garçon, je repassais mes leçons, en chantant… » La fin de la chanson ne précise pas si le petit garçon a finalement bien retenu ses leçons, mais l’hypothèse que le chant permettait de mieux retenir les conjugaisons et les règles de multiplications semble être validée…

Répétition, intonation… Les recherches sur l’apprentissage, en particulier d’une langue, mais pas que – souvenez-vous de l’apprentissage de vos règles de multiplication – sont quasi-unanimes : le chant facilite la mémorisation !

Mais qu’en est-il des autres supports artistiques ? Et, qui plus est, pour un apprentissage des outils ou concepts clés du management ?

À l’heure où les innovations pédagogiques font rage pour capter l’attention des managers débordés, inviter les cadres pressés à apprendre plus vite, ou pour immerger des étudiants dans un contexte qui, par définition, ne connaissent pas encore, je vous invite à réfléchir sur l’apprentissage pédagogique au travers du 9e art et, ainsi, de rendre hommage à Obélix et Compagnie…

Au-delà du divertissement et de la raillerie des méthodes de management, la bande dessinée pourrait-elle exercer un pouvoir de mémorisation des outils clés du management ? La réponse est définitivement oui… à quelques bémols près…

Le recours aux arts dans l’apprentissage de l’art du management

Même s’il existe en France les Sciences de Gestion et que le CNRS lui co-consacre sa section 37, le management est un « art ».

Qu’est ce que cela signifie ? Il existe peut-être des lois permettant de décrire ou d’anticiper le comportement d’un consommateur, d’un employé… mais point de recette. Comme le forgeron, le manager apprend le management par l’expérience. Comme le forgeron, il dispose d’outils, mais sans apprentissage préalable, même avec du talent, les premiers résultats risquent d’être très décevants…

Les écoles de management ont intégré ce constat depuis longtemps : pour former les futurs managers, plus possible de présenter les grandes lois que certains épistémologues remettent d’ailleurs en cause.

Avec l’avènement de la génération Y ou Z, il n’est d’ailleurs pratiquement plus possible pour le formateur de capter l’attention des étudiants que Michel Serres nomme affectueusement « Petite Poucette ».

Les trois A

Aussi, l’enseignement du management se doit d’être « AAA » (attentif, appliqué, actif). Il permet alors l’acte de mémorisation, lequel se décompose en trois phases : l’encodage, le stockage et le rappel. Pour mobiliser ces 3 A, il n’y a pas mieux que les arts !

A comme Attentif : sans attention de la part de l’impétrant, pas d’encodage. Elle est nécessaire pour que l’un des sens puisse capter l’information à transmettre et la mettre en mémoire.

Comment faire pour capter l’attention de Petite Poucette qui vient en cours en étant tiraillée entre les mails personnels, les messages sur Facebook. Fermer les outils de communication (ordinateurs, smartphones) ? Certes, mais comment fermer les soucis personnels ou les pensées qui lui traversent l’esprit ?

La méthode bien connue pour favoriser l’attention est… la contrainte : « Attention, ce point pourrait faire l’objet d’une question à l’examen… »

Au-delà de la contrainte, l’attention de la personne se fait naturellement lorsque l’objet de l’attention plait : les révolutions en architecture sont souvent utilisées pour expliquer les ruptures de paradigmes technologiques en cours d’innovation, le film culte 12 hommes en colère l’est tout autant pour aborder les questions d’éthique…

A comme Appliqué : enseigner les outils, les lois oui, mais surtout les présenter dans un contexte concret. La question à se poser est simple : à quoi servent-ils ? Dans quel contexte ? Quelles sont leurs limites d’application ?

Tel est le secret du stockage de l’information que l’étudiant qui fonctionne par association entre le contexte souvent connu et le nouveau concept, enjeu de la mémorisation. Le stockage est donc favorisé par les mises en situation au travers de cas pédagogiques, de préférence réels.

Le dessin et la maquette blanche sont les outils de prédilections largement répandus pour appliquer un cours d’innovation et inviter les étudiants à expliquer l’idée d’innovation qu’ils souhaitent développer pour répondre à la problématique posée.

A comme Actif : l’apprentissage implique la dernière phase de l’acte de mémorisation, le rappel. L’activité comme action de la part de l’étudiant qui consiste à re-appliquer, re-mobiliser la connaissance encodée.

Là souvent, les démarches artistiques sont souvent sollicitées : la construction d’une tour permet par exemple aux étudiants de tester et de comprendre leurs capacités créatives…

Au-delà de la mode managériale, la BD

Curieusement, jusqu’à peu, le recours à la bande dessinée était peu usité… D’un côté, le monde de la BD qui raille l’entreprise, voire n’en parle pas du tout… de l’autre le monde de l’entreprise qui, à moins d’être un éditeur, se préoccupe peu de BD…

Tout au plus, Glénat avait initié une agence de communication – Glénat Concept – avec un dessinateur et créateur de BD – Roger Brunel – qui avait fait un détour par le passé dans une agence de communication.

Et pourtant, depuis une toute petite décennie, les deux mondes se rapprochent. L’avènement du story telling montre aux entreprises le pouvoir communiquant de la bande dessinée et invite de multiples jeunes pousses à proposer des services de communication en BD : Sydo, Cartoonists, l’entreprise de Françoix-Xavier Chenavat… autant d’exemples de managers reconvertis à leur passion première.

C’est presque oublier que les dessinateurs de BD ont souvent parlé de l’entreprise et du management, certes pas toujours en des termes élogieux, mais souvent justes.

La meilleure illustration ? La leçon de marketing que Caius Saugrenus, jeune diplômé de l’ENA (École Nouvelle des Affranchis) fait à Jules César dans Obélix et Compagnie !

Tous les outils clés développés par le célèbre professeur de stratégie marketing Philip Kotler sont là : la notion de valeur (ce qui est important aux yeux du consommateur et ce qui va déclencher l’acte d’achat), le produit (le menhir, mais qui ne sera pas acheté pour ses propriétés esthétiques ou pratiques, mais simplement parce que le voisin en a un).

Et enfin les 3 P : Prix, mode de Promotion et Place ou lieu de Vente, le tout pour définir une stratégie d’attaque des concurrents…

Les ingrédients de la guerre économique, comme mode de remplacement de la guerre « traditionnelle » sont eux aussi présents… jusqu’aux soulèvements des populations des pays voisins qui souffrent d’un surplus de production car, leur main d’œuvre devenue trop chère, ils proposent des menhirs moins concurrentiels que ceux issus des pays étrangers, à savoir les menhirs égyptiens ou grecs…

Je ne détaille pas plus l’histoire, au risque de l’édulcorer et renvoie le lecteur à la saine lecture d’Obélix et Compagnie. Je constate simplement que cette planche de BD contient en substance les ingrédients pour une bonne pédagogie avec les 3A :

-l’Attention de par l’effet de surprise que son usage peut créer au sein d’un cours. Impossible pour l’étudiant de passer outre la planche. Même s’il cherche à tromper l’ennui, la planche offre une échappatoire évidente !

-l’Application… au contexte de la guerre économique et du business du Menhir…

-l’Action : la lecture suscite un inévitable échange sur le repérage des outils du marketing ou des fondamentaux de l’économie et sur le caractère généralisable de cette lecture peut-être cynique, du moins critique, du management.

La BD : la poupée russe de l’enseignement du management ?

Le recours à la planche d’Obélix et Compagnie semble donc être un excellent vecteur de pédagogie. Il en est de même de planches moins connues… à condition de savoir les utiliser à bon escient. Je nomme la BD « l’outil pédagogique poupée russe » car il offre plusieurs niveaux de lecture, et, par conséquent, d’apprentissage.

Le premier niveau consiste à utiliser la planche comme un outil pédagogique que l’étudiant peut être amené à lire seul. Que tire-t-il d’une telle lecture ? Selon nos expériences, l’attention est plutôt bonne : il est très rare que les étudiants ne lisent pas les planches demandées et ils sont capables de retrouver sur la planche certains éléments, mais ne peuvent pas toujours les relier à un contexte réel.

Le second niveau repose sur l’enseignement à partir de la planche que les étudiants ont préalablement lue. Le rôle du professeur est de tirer parti de l’encodage et faciliter le stockage du concept à expliquer en le reliant avec une situation présentée dans la planche, mais dont l’étudiant n’a pas nécessairement conscience.

Cette phase se déroule plutôt bien à condition que l’étudiant ait déjà été en contact avec le contexte évoqué. En l’occurrence, je peux vous assurer qu’expliquer les 3P à un étudiant chinois qui n’a jamais été en contact avec Astérix et Obélix n’est pas une mince affaire et que l’exercice d’apprentissage est peu concluant même si cet étudiant est de bonne volonté et a bien géré la phase d’encodage.

Le résultat est similaire lorsque j’enseigne un concept à partir d’une planche de BD qui relate l’histoire d’une entreprise que les étudiants connaissent peu ou qui agit sur une activité peu connue : la connaissance tacite manque.

Le dernier niveau d’analyse consiste à inviter les étudiants non seulement à lire la planche de BD, à leur enseigner le concept associé en soulignant le contexte, mais en invitant les étudiants à agir.

Cette action peut consister en une explication écrite ou orale d’une transposition du concept à une autre situation qu’ils choisissent – leur entreprise lorsqu’ils sont en formation continue par exemple. Ce troisième niveau est le minimum qui garantit une mémorisation et une compréhension du concept au moins sur le moyen terme (deux mois après le cours).

The ConversationÀ l’heure où les MOOC et l’auto-apprentissage du management à distance avec peu d’interaction avec l’enseignant sont plébiscités, l’enseignement du management en BD est très certainement une mode mais une mode qui garantit une mémorisation, à condition de la maintenir en présentiel.

Séverine Le Loarne, Professeur Management de l’Innovation & Management Stratégique, Grenoble École de Management (GEM)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Créer un compte Tous les commentaires (2)
  • « AAA »: comme les andouilles?

  • Je ne comprends pas… C’est du second degré?! J’ai lu (et relu) Obélix et compagnie quand j’avais autour de 8 ans, et croyez moi ou pas j’en avais déjà compris l’essentiel. Lorsque je suis rentré en école de commerce, quelques années plus tard donc, j’aurais aimé en apprendre davantage…

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