Perturbateurs endocriniens : le revirement de Macron

Après l’intransigeance de Ségolène Royal sur les perturbateurs endocriniens, le pragmatisme d’Emmanuel Macron détonne.

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Emmanuel Macron by Ecole polytechnique(CC BY-SA 2.0)

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Perturbateurs endocriniens : le revirement de Macron

Publié le 18 juillet 2017
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Par André Heitz1.

Nous avons vu dans l’article précédent que le règlement « de la Commission » qui a été adopté le 4 juillet 2017 (projet ici) énonce des principes dont la portée dépendra de la façon dont ils seront appliqués.

Ils ont réitéré l’approche « risques » plutôt que « dangers » déjà consacrée dans le règlement de base ((CE) N° 1107/2009). Ils ont forcément déplu aux jusqu’au-boutistes du « principe de précaution ». Ceux-ci avaient une alliée : la France de Mme Ségolène Royal. Mais…

Exit la France de Mme Ségolène Royal…

La France – on peut écrire de Mme Ségolène Royal (qui s’était vu offrir des fleurs en récompense de son militantisme anti-glyphosate, le 25 mai 2016) – avait épousé la position intransigeante des « ONG » (nous mettons des guillemets car nombre d’entre elles sont des entreprises actives dans la communication, incorporées sous forme d’associations, et certaines sont des faux-nez pour de puissants intérêts économiques).

Le 4 juillet 2017, la France de M. Emmanuel Macron a changé de camp ; seuls le Danemark, la République Tchèque et la Suède ont voté contre la proposition ; la Hongrie, la Lettonie, la Pologne et le Royaume-Uni se sont abstenus.

… avec une « fuite » à Paris

C’est le moment de relire « Perturbateurs endocriniens : les scientifiques alertent sur le laxisme de Bruxelles » du Monde de M. Stéphane Foucart et Mme Stéphane Horel, daté sur la toile du 17 juin 2017.

En chapô :

Craignant un revirement de la France sur le dossier, trois grandes sociétés savantes appellent les États membres à rejeter le projet de la Commission européenne visant à réglementer ces substances.

Comment pouvaient-elles craindre, ces sociétés, un revirement de la France, si ce n’est grâce à une « fuite » et à une alerte par certaines « ONG » ? Comment ne pas croire que ces sociétés ont été instrumentalisées pour une tentative de sabordage de la nouvelle position française ?

La déception du militantisme anti-pesticides

Dans Le Monde toujours, les hérauts de la cause anti-perturbateurs Stéphane Foucart et Stéphane Horel (cette dernière fut une collaboratrice du Corporate Europe Observatory, très en pointe sur le sujet) n’ont pu s’empêcher de manifester leur dépit après le vote du 4 juillet 2017 : « Perturbateurs endocriniens : la France capitule ». Avec une choquante expression d’europhobie, mâtinée d’anti-germanisme :

Paris s’est finalement incliné devant Berlin. La Commission européenne a fini par obtenir, mardi 4 juillet en comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale, un vote favorable des États membres à son projet controversé de définition réglementaire des perturbateurs endocriniens (PE), ces substances chimiques, omniprésentes dans l’environnement et les objets de consommation courante.

Cela doit vraiment être trop compliqué de comprendre que la France n’a pas seulement rejoint l’Allemagne, mais aussi 19 autres États membres. Et qu’il est difficile de prétendre qu’on a raison contre tous les autres, ou presque.

Générations Futures, par exemple, a eu une réaction plus mesurée avec « Perturbateurs endocriniens : la France permet l’adoption de critères insuffisants pour protéger la santé humaine et l’environnement ! »… on ne va tout de même pas se fâcher avec M. Nicolas Hulot… Et ils l’ont fait en se tapant dans le dos. Voici la bonne parole de M. François Veillerette, maintenant directeur et porte-parole salarié de GF :

Néanmoins la pression de Générations Futures et des autres ONG impliquées a clairement obligé le nouveau gouvernement à se saisir du sujet des perturbateurs endocriniens et à faire des propositions au niveau européen et national en la matière que nous allons analyser en détail. Générations Futures reste totalement mobilisé pour faire avancer ce dossier à ces deux niveaux !

Des propos lénifiants de M. Nicolas Hulot…

Pour sa part, le ministre Nicolas Hulot a tenu des propos lénifiants pour consoler, entre autres, le militant Nicolas Hulot :

On n’a pas gagné la guerre définitivement (…) mais ce texte ouvre une brèche.

Et encore :

Quand je suis arrivée ici au ministère, le texte devait passer en exemptant un certain nombre de substances ‘présumées’. On a fait en sorte de faire entrer dans le champ de la définition un certain nombre de substances qui ne sont pas avérées mais qui sont présumées, ça permet d’élargir le spectre et d’appliquer ce que j’appelle le principe de précaution.

… relevant probablement de la vantardise

Est-ce exact ? Peut-être, peut-être pas. Comme souvent, ce règlement communautaire est un capharnaüm rédactionnel. Mais selon le charabia du considérant 4,

La détermination des propriétés de perturbation endocrinienne à l’égard de la santé humaine devrait être fondée sur des preuves d’origine humaine et/ou animale, permettant ainsi l’identification des substances perturbatrices endocriniennes tant connues que présumées.

C’est du charabia car si une substance est connue, il n’est nul besoin de détermination… Mais si le mot « présumé » a été introduit dans l’annexe du règlement de la Commission– le texte devant modifier l’annexe II du Règlement (EC) No 1107/2009 – cela constituera une avancée pour la bonne compréhension d’un texte qui, à notre sens, englobait déjà clairement les substances « présumées ».

Faut-il du reste rappeler que les définitions les plus communément admises des perturbateurs endocriniens sont celles élaborées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 2002 ?

Un perturbateur endocrinien est une substance ou un mélange de substances, qui altère les fonctions du système endocrinien et de ce fait induit des effets néfastes dans un organisme intact, chez sa progéniture ou au sein de (sous)- populations.

Un perturbateur endocrinien potentiel est une substance ou un mélange exogène, possédant des propriétés susceptibles d’induire une perturbation endocrinienne dans un organisme intact, chez sa progéniture ou au sein de (sous)-populations.

Et que, selon le considérant 2 du règlement de la Commission, « … il convient donc de fonder les critères pour la détermination des propriétés de perturbation endocrine sur ces définitions de l’OMS » (notez aussi le pluriel, « ces définitions ») ?

Pas question de lâcher pour les « ONG »… et pourtant…

Mais les « ONG » récriminent en considérant que les critères exigent un niveau de preuve très – trop – élevé. Dit encore Générations Futures :

Les critères exigent un niveau de preuve très élevé, ce qui rend l’identification des substances comme des EDC très difficile et risque d’entraîner de longs retards.

C’est cocasse : les « ONG » (c’est ici un argument concocté par la « coalition » d’« ONG ») se plaindraient de retards dans l’autorisation de mise sur le marché d’une substance ?

À l’évidence, les « ONG » souhaitent pouvoir écarter du marché nombre de produits phytosanitaires sur la base de suspicions de perturbation endocrinienne. Les exigences posées dans le règlement ne sont pourtant pas excessives.

Sauf à considérer, par exemple, que l’on doit aussi pouvoir interdire pour cause de perturbation endocrinienne une substance pour laquelle on n’a pas pu montrer que « l’effet néfaste est la conséquence d’une mode d’action endocrinien ». C’est ce qu’il faut pourtant déduire de certaines de leurs prises de position.

Notons que s’il y a effet néfaste, la substance en cause risque d’être recalée pour ce simple fait, qu’il y ait perturbation endocrinienne ou non. Cette constance dans l’opposition au texte a, en dernière analyse, toutes les caractéristiques de l’escalade d’engagement et du déni de réalité.

Ces « ONG » ont eu des alliés parmi les États. Ainsi, lors du tour de table du 18 mai 2017, un État membre et un État de l’EEE ont opiné, et le compte rendu a retenu :

En ce qui concerne la disposition révisée sur la plausibilité biologique, ils ont réitéré qu’ils souhaiteraient que les critères puissent identifier les PE pour lesquels il n’y a pas suffisamment de preuves et que les critères devraient refléter le fait que la science n’est pas encore prête à établir un lien de causalité entre le mode d’action endocrinien et l’effet néfaste.

Étonnant paradoxe ! Et pourtant, le règlement prévoit des approches fondées sur le poids de la preuve (« weight of evidence »).

Des revendications absurdes

Trois sociétés d’endocrinologie – The Endocrine Society, the European Society of Endocrinology et The European Society for Paediatric Endocrinology – ont suivi des « ONG » (ou se sont laisser manipuler) et demandé que le « système d’identification [soit] fondé sur le danger, sans dérogations basées sur le risque » (texte ici).

Pour rappel de la différence : l’électricité en 220 volts est un danger ; mais avec une bonne installation (une mesure de protection évitant l’exposition) il n’y a pas de risque.

La motivation est claire : la croisade anti-pesticides. Mais les critères pour les pesticides ayant vocation à être transposés dans d’autres domaines, cela reviendrait en pratique à interdire la pilule contraceptive ou les traitements hormonaux de substitution de la ménopause ; le bisphénol A dans le plastique des pare-chocs de voiture ; des produits alimentaires comme le soja… Irresponsable !

La position est également infondée : le point 3.6.5 de l’Annexe II du Règlement (CE) N° 1107/2009 – le règlement de base qu’il s’agit de compléter – a retenu comme base, avec une formulation alambiquée qui laisse certes grandement à désirer, le risque et non le danger.

L’exception pour les insecticides perturbateurs endocriniens

Il y a eu – et il y a toujours – un autre point de friction. Le texte en cause est le suivant :

Si le mode d’action prévu pour la protection des plantes de la substance active évaluée consiste à contrôler des organismes cibles autres que les vertébrés via leurs systèmes endocriniens, les effets sur les organismes du même phylum taxonomique que celui ciblé ne seront pas considérés pour l’identification de la substance comme ayant des propriétés perturbatrices endocriniennes par rapport aux organismes non ciblés.

Il a été introduit à la demande de l’Allemagne, et cela est bien sûr interprété comme une revendication du « lobby » de l’agrochimie.

Traduction : soit un insecticide à mode d’action endocrinien, mais il affecte aussi des insectes (ou des crustacés, arachnides ou myriapodes) non cibles : le caractère endocrinien ne sera pas retenu contre lui, mais de ce fait seulement. Le considérant 7 précise :

Les substances actives ayant un tel mode d’action prévu ne peuvent cependant être approuvées que si, à la suite d’une évaluation des risques et en tenant compte des exigences spécifiques en matière de données établies par le règlement (UE) No 283/2013 de la Commission, leur utilisation n’entraîne pas d’effets inacceptables sur les organismes non cibles, y compris sur des organismes du même phylum que l’organisme cible.

Interprétation : pas de quoi fouetter un chat… mais cela reste dans l’assortiment de critiques et de récriminations des « ONG ». À ce propos, M. Nicolas Hulot a déclaré :

… nos agences vont les étudier [les « exceptions allemandes »], en vérifier la dangerosité et les sortir du marché si la dangerosité est avérée. Nous avons obtenu 50 millions pour la recherche indépendante et que l’Europe revoit sa stratégie sur ces perturbateurs endocriniens en y incluant pas seulement ceux qui se trouvent dans les pesticides, mais aussi ceux dans les emballages, les cosmétiques et les jouets.

La bouillie pour le fan-club

M. Nicolas Hulot n’a pas manqué de s’adresser à son fan-club. Il a déclaré selon l’AFP :

Dans ce front, qui fait face à une résistance des lobbies, une résistance culturelle aussi parfois, une brèche est ouverte, qui ne va pas se refermer […] il faut aller plus loin. […] On a gagné une bataille mais pas la guerre.

Les acteurs économiques traités de « lobbies » par un ministre de la République apprécieront…

Et, s’agissant des insecticides à mode d’action endocrinien :

J’ai hésité mais j’ai contré ce handicap en actant auprès du Premier ministre, avec la ministre de la Santé Agnès Buzyn, qu’on pourra unilatéralement interdire ces substances sur notre territoire selon leur dangerosité. […]. Nous, nous appliquerons un principe de fermeté.

Un « principe de fermeté » ? C’est nouveau ! Quelle base juridique ? Quelle compatibilité avec nos obligations (librement consenties) européennes et mondiales (OMC par exemple) ?

Plus généralement :

… le texte était insuffisant en l’état mais si je ne le votais pas, on laissait encore plus longtemps sur le marché des produits dont la dangerosité était avérée.

C’est une chose grave que d’affirmer que « des produits dont la dangerosité [est] avérée » sont sur le marché. M. Nicolas Hulot devrait réaliser qu’il est maintenant ministre, plus bateleur d’estrade.

La suite

La procédure de réglementation avec contrôle permet au Conseil (qui ne bougera pas) et au Parlement Européen de bloquer le règlement s’il : outrepasse les compétences d’exécution de la Commission ; n’est pas compatible avec l’objectif ou le contenu de l’acte juridique ; outrepasse les compétences ou le mandat de l’UE. Ce droit de veto est généralement valable trois mois.

Les « ONG » vont donc se tourner vers leurs amis au Parlement Européen. C’est déjà fait dans la médiasphère !

L’EFSA et l’ECHA sont en train d’élaborer un document d’orientation conjoint sur les perturbateurs endocriniens avec l’appui du Centre Commun de Recherche de la Commission Européenne.

Un document de planification a été publié le 20 décembre 2016. Un projet de document d’orientation sera disponible pour la consultation du public en automne. Il sera finalisé avant que les critères ne commencent à s’appliquer.

Ce qu’en pense l’industrie

Pour l’Association Européenne de Protection des Plantes (ECPA) les critères tels qu’adoptés « ne permettent pas aux autorités de distinguer clairement les substances qui ont un réel potentiel de nuisance de celles qui ne l’ont pas » et qu’ils « auront un impact disproportionné et discriminatoire sur les agriculteurs européens. »

C’est peut-être trop tôt pour une telle affirmation. Beaucoup dépendra de l’application des critères – notamment du document d’orientation. Mais le fait est que les critères prétendument scientifiques ne sont pas enthousiasmants.

  1. André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.
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  • En ces matières, moins on en sait, plus on est péremptoire. C’est le cas de tous ceux que vous citez. Espérons que la raison aura le dernier mot.

    • Ne comptez pas la dessus! Je pense que les choses ne vont que s’aggraver, car on constate en occident une décadence intellectuelle. Ce sont nos élites, censées être plus cultivées que le français moyen, qui sont des militants écologistes rejetant tout ce qu’on leur a appris concernant les sciences et la médecine pour sombrer dans le new-age et ses élucubrations! Un sondage a montré que les gens considèrent que la science a apporté plus de méfaits que de bienfaits. Les abrutis sont incapables de se rendre compte qu’ils n’ont jamais vécus aussi vieux et en bonne santé, grâce à la science. Ils opposent celle-ci à la nature, ignorant qu’elle est l’observation et étude de la nature. Pour être plus idiots est impossible!

  • Une seule solution : interdire la recherche, comme il est prévu pour la fragmentation du gaz de schiste.
    Ainsi plus aucun risque, encore moins de danger. Et Saint Principe de Précaution sera satisfait.

  • Bonjour,

    Vous dénoncez un charabia général, pourriez-vous énoncer en conclusion une doctrine simple et pragmatique?

    Merci.

  • Post Scriptum:
    Déclaration de feu Franz-Josef Strauß, der C.S.U. Vorsitzender
    (Die Welt, Freitag 2. März 1984):
    « Die zehn Gebote Gottes enthalten 279 Wörter. Die Verordnung der Europäischen Gemeinschaft über den Import von Karamellbonbons umfaßt exakt 25911 Wörter ».

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